Une lutte pour la vie

Monsieur M.

Traduction de Cécile Lobut

p. 53-54

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Monsieur M., « Une lutte pour la vie », Revue Quart Monde, 258 | 2021/2, 53-54.

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Monsieur M., « Une lutte pour la vie », Revue Quart Monde [En ligne], 258 | 2021/2, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10333

Texte traduit de l’allemand par Cécile Lobut.

Si l’espèce humaine continue à se multiplier et à s’étendre de manière incontrôlée, la nature n’aura aucune chance. Dans ce cas, ce sera aussi la fin pour l’Homme qui fait partie de la nature. Avant, j’avais pris vaguement conscience de cela, à côté du travail. Maintenant j’ai du temps pour y réfléchir. La Terre, la nature te donnent tout ce dont tu as besoin. Tu te nourris bien de la Terre ! Il est difficile de faire comprendre cela aux gens. Ils ne voient pas qu’ils détruisent leurs propres bases d’existence. Les enfants de Fridays for Future1 ont raison. Ce sont eux qui vont trinquer. Et que peuvent faire les Indiens d’Amérique du Sud lorsqu’on vient forer leur sol pour le pétrole et qu’une fuite pollue tout ? Ou bien lorsque leur forêt tropicale est défrichée et remplacée par des plantations d’huile de palme ? Chez nous, les petits paysans doivent souvent payer les pots cassés.

C’est un cercle vicieux ; il faudrait une dixième Merveille du Monde pour l’arrêter. Et nous contribuons tous à ce cercle vicieux – chacun de nous, même celui qui n’a pas grand-chose..., même la mobylette dont j’ai besoin parce que je n’ai plus assez de souffle pour marcher ou pédaler. Certains ont même « besoin » de deux véhicules. Mais pourquoi avoir un SUV ? Pourquoi pas une voiture normale ? Mais, après tout, celui qui a de l’argent peut le dépenser comme il le souhaite. « La justice climatique » ? « Que chacun ait le même droit d’utiliser l’atmosphère sans trop la polluer » ? Ce sont des rêves ! Comment pourrait-on imposer cela ? Ce serait une atteinte aux libertés individuelles. Quand j’étais à la rue, ça m’est arrivé d’aller chercher un bon alimentaire au bureau paroissial. Mais sinon ? Tu ne peux quand-même pas me dicter ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Chacun doit décider par lui-même comment il se débrouille avec ses sous.

Le revenu minimum est de toute façon trop bas. Il ne te suffit pas pour participer à la vie sociale. Dans les sondages beaucoup disent qu’ils s’en sortent, pour ne pas se découvrir, ne pas montrer de point faible. Beaucoup n’osent même pas aller demander les minima sociaux. Le personnel soignant qu’on a tant acclamé doit faire grève pour toucher plus de blé. On ne se soucie même pas d’eux. Les petits, on les tient en laisse trop serrée, et les grands, on leur fourre tout dans le sac. Tu ne peux rien contre ça. Ou alors il faudrait renverser le système social. Dans ce cas, même celui qui n’a rien ne sera pas de la partie. Car il pense : Alors je ne toucherais plus rien du tout. Car les riches n’hésiteraient pas à mettre leur argent à l’étranger. Et l’État n’aurait plus de rentrées d’argent.

Si on ajoute une taxe carbone au prix du carburant, alors les personnes démunies ne pourront plus se servir de leur véhicule. Cela va encore toucher les mauvaises personnes. Le gros bonnet – le privilégié – s’en fiche. Car il en a les moyens. J’entends par là le chef d’entreprise dictant aux hommes politiques ce qu’ils ont à faire, avec comme moyen de pression les emplois.

Chez moi il fait froid l’hiver. Car au-dessus de moi, il y a le grenier qui n’est pas isolé. En été, c’est le sauna ; en hiver, la cave ; c’est comme ça que je vis. Si je pouvais faire comme je voulais… Je ne m’y suis toujours pas habitué. Mais je dois faire de mon mieux avec ce que j’ai. C’est une lutte pour la vie.

1 Fridays for Future ou Youth for Climate est un mouvement de jeunes qui se mobilisent pour la justice climatique et sociale, la protection de l’

1 Fridays for Future ou Youth for Climate est un mouvement de jeunes qui se mobilisent pour la justice climatique et sociale, la protection de l’environnement et de la biodiversité.

Monsieur M.

Âgé d’environ 65 ans, Monsieur M. est célibataire et retraité depuis quelques années.
Mécanicien de métier, il a aussi travaillé dans le nettoyage des bâtiments et comme manœuvre des forains, et a survécu des années sans domicile fixe. Il est rentré dans sa région d’origine, l’Oberfranken (en Bavière, Allemagne), où il est en lien avec ATD Quart Monde à travers le projet F.I.T. « Visible, mais pas muet non plus » qui, depuis 2014, organise des cérémonies pour le 17 octobre dans la petite ville de Naila. Voici sa contribution en 2020 sur le thème Gagner ensemble la justice sociale dans la protection du climat !

CC BY-NC-ND