Que diriez-vous pour vous présenter ?
J’ai suivi une formation d’ingénieur agronome puis j’ai fait une école de commerce. Je suis partie ensuite deux années comme volontaire en Haïti car je voulais donner du sens aux questions de justice sociale et de rencontre au delà des frontières.
J’ai participé en tant que chargée de projet à l’action d’un mouvement paysan, le MouvmanPeyizanPapay, très engagé dans l’amélioration des conditions de vie et la conscientisation du monde paysan, si déconsidéré en Haïti. Cette expérience a été fondatrice pour moi : j’y ai découvert combien certains vivaient dans la précarité, au jour le jour, mais aussi combien la rencontre est possible avec des personnes a priori très éloignées de mon vécu et de ma culture.
J’ai ensuite dirigé à Toulouse (quartier du Mirail) un centre de formation de formateurs et de responsables et j’ai découvert la réalité de vie des populations et la richesse du monde associatif des « quartiers ».
Puis j’ai dirigé le programme Maroc avec Handicap International. Et je me suis trouvée confrontée à cette autre fragilité qu’est le handicap.
J’ai également mené des actions de conseil et de formation pour des cabinets toulousains et parisiens.
Comme j’aimais jouer et chanter, j’ai pris une année sabbatique pour me former à l’art dramatique. Depuis 2004, je travaille avec différentes compagnies en tant que comédienne et metteure en scène.
Quelle est votre action à Toulouse ?
Depuis 15 ans avec la Compagnie Canal’Art, nous puisons dans la « boîte à outils » du théâtre pour aider les personnes à se mettre en mouvement, pour recueillir leur expression par le jeu théâtral, pour favoriser le dialogue et les échanges.
Nous intervenons notamment dans les quartiers dits « sensibles » de la politique de la ville1, afin de favoriser l’expression des habitants, enfants comme adultes ainsi que des professionnels présents à leurs côtés. Nous intervenons, avec nos outils, à la demande et en partenariat avec les structures qui les accompagnent au quotidien. Par exemple en ce moment nous mettons en place un cycle de quatre séances avec des mamans d’enfants de maternelle sur le sujet : « Au-delà des écrans, qu’est ce que je peux faire avec mon enfant ? » Ces séances sont l’occasion pour elles de s’exprimer au-delà de la parole en sollicitant le corps, les émotions et l’imaginaire, c’est à dire tout l’être. À partir de ce qui va émerger, nous produirons des saynètes qui seront jouées devant d’autres parents, à l’occasion de « théâtre‑débats ».
Précisez-nous ce qu’est le « théâtre-débat »…
Le théâtre-débat est une approche inspirée du « théâtre de l’opprimé » d’Augusto Boal2.
Nous jouons des saynètes qui introduisent des échanges entre les participants. En quelques minutes, la situation est exposée concrètement et efficacement à travers la saynète. Le public peut s’identifier aux personnages. L’humour permet de relativiser et de dédramatiser. La situation renvoie des émotions qui peuvent être partagées en parlant des personnages pour parler de soi. L’animation des échanges favorise le partage d’expérience et la prise de recul et reconnaît les ressources de chacun. C’est un outil qui facilite les échanges entre pairs. Ce n’est surtout pas une conférence ni une leçon. Nos saynètes ne montrent pas « ce qu’il faut faire ». Elles posent des questions.
Pour nous, le théâtre est un moyen privilégié de recueillir la parole des personnes. Par exemple, nous allons animer une action avec un centre social autour du thème « Parlons violence ». Nous ne savons pas encore ce que cela produira.
Nous utilisons également le théâtre avec des enfants et des jeunes sur les questions de relations filles-garçon, d’usage des écrans, de vivre-ensemble, etc.
Comment avez-vous travaillé en Haïti ?
Nous avons été sollicités par une ONG haïtienne, CROSE, qui coordonne un réseau de groupements paysans dans la région de Jacmel au sud-est de Haïti. L’idée était de travailler avec un groupe de femmes (petites vendeuses,…) venant de quartiers assez proches de Jacmel autour des violences faites aux femmes et aux petites filles.
Ces femmes s’étaient constituées en collectif, et le projet était de les accompagner dans la création d’outils de sensibilisation auprès de jeunes, garçons et filles de 10 à 15 ans. Nous leur avons proposé des ateliers de théâtre trois après-midi par semaine pendant deux semaines. Elles ont adhéré avec enthousiasme. Les exercices de théâtre leur ont permis de se rencontrer autrement, de s’exprimer, de prendre confiance en elles, d’échanger avec les autres, de rire ensemble.
Une de nos préoccupations était que la dynamique puisse continuer sans nous. Nous avons demandé à un jeune comédien haïtien, formé au théâtre-forum, de continuer à accompagner le groupe. Le 25 novembre, pour la Journée internationale pour l’éradication des violences faites aux femmes, elles ont mené des actions de sensibilisation en jouant des saynètes dans des écoles.
J’ai trouvé très intéressant de voir comment ces outils théâtraux pouvaient être utilisés en Haïti. J’ai été émerveillée de voir comment les femmes s’en sont saisies, et ce qu’elles en ont fait.
Nous travaillons avec toutes sortes de personnes, pas seulement des personnes dites en difficulté. Le théâtre est un outil très puissant pour travailler sur les représentations, la communication, l’estime de soi, la confiance, etc. Il permet à chacun de s’exprimer et de se mettre en mouvement.