Les idées fausses sur les jeunes suivis en Protection de l’Enfance

p. 40-43

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« Les idées fausses sur les jeunes suivis en Protection de l’Enfance », Revue Quart Monde, 271 | 2024/3, 40-43.

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« Les idées fausses sur les jeunes suivis en Protection de l’Enfance », Revue Quart Monde [Online], 271 | 2024/3, Online since 01 March 2025, connection on 25 March 2025. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11483

Le comité des jeunes de la protection de l’enfance regroupe des jeunes de 13 à 22 ans, qui ont la parole dans le cadre de l’Observatoire départemental de la protection de l’Enfance des Pyrénées-Orientales (ODPE66). Depuis 2017, le département a à cœur de donner la parole aux jeunes à partir de leurs préoccupations, ainsi que de réfléchir à des pistes d’action pour améliorer les services et les pratiques professionnelles.
Dix jeunes ont travaillé sur le thème des idées fausses sur les jeunes en protection de l’enfance pendant plusieurs semaines : Luckas, Sonia, Cassy, Timéo, Mickaël, Clément, Chloé, Lucas, Rosa et Naïma. Cela faisait plusieurs années qu’ils attiraient notre attention régulièrement sur ce sujet.
Cinq jeunes ont pu présenter ce travail collectif lors de la journée d’étude du 5 décembre 2023 organisée par le PRDS (Pôle ressources en développement social), et intitulée Quel pouvoir d’agir face aux situations de violences institutionnelle et sociétale.

Pourquoi est-ce que nous venons parler des idées fausses ?

C’est important de parler des idées reçues pour ouvrir les yeux aux personnes sur la violence de leurs propos, qui peuvent nous mettre en souffrance. Tout le monde a des préjugés, l’école, les professionnels, les autres jeunes sur les jeunes placés.

Les gens en sont restés à la DDASS1, alors forcément ils ont des idées fausses. Et comme ils n’ont pas vécu le placement, ils ne peuvent pas comprendre.

Les gens ont un portrait robot en tête des jeunes suivis en protection de l’enfance. Ça bloque leur vision. Dès que tu dis « je suis placé », ça change le regard.

À force d’entendre des préjugés, nous ça nous rabaisse et on finit par y croire.

Malheureusement, on n’a pas écrit toutes les idées reçues ; il y en a beaucoup d’autres.

Idée reçue n° 1 : les jeunes en foyer sont tracassés mentalement

Un·e jeune disait : « Lors de mon inscription dans un internat au lycée, quand la CPE2 a appris que j’étais placée, elle ne voulait plus me prendre. Elle pensait que les enfants placés sont des personnes tracassées mentalement. »

Idée reçue n° 2 : les jeunes en foyer sont des délinquants

Un·e jeune disait : « Au collège, quand j’ai dit à une copine que j’étais en foyer elle a eu une réaction vive : ‘Pourquoi t’es en foyer, tu ne fais pas de bêtises !’ » 

Un·e jeune disait : « Quand il a su que j’étais placé, un pote m’a dit : ‘On va pouvoir faire encore plus de conneries’. »

Il y a beaucoup de films sur les enfants placés qui déforment et qui montrent que nous sommes tous cons ou délinquants. C’est souvent ce que l’on voit dans les films ou les reportages sur les foyers, et ça donne une fausse image de la réalité. « Quand un film sort sur les foyers, s’il n’y a pas de baston ça ne marche pas. »

Idée reçue n° 3 : les jeunes filles en foyer sont toutes des putes

Un·e jeune disait : « J’ai déjà entendu une professionnelle dire d’une fille placée : ‘Vous voyez comment elle s’habille, comme une pute’. »

Nous les filles nous entendons souvent cette idée : que nous sommes prêtes à coucher avec n’importe qui, que nous cherchons ça avec nos attitudes, notre manière de nous habiller.

Nous devons parfois nous défendre de rumeurs entre adultes qui portent sur ça ; ils s’appellent tous au téléphone pour en parler.

Idée reçue n° 4 : Les jeunes placés ont tendance à ne pas s’en sortir

Un·e jeune disait : « Lors d’une conversation, on a pu me dire que pour une jeune placée je m’en sortais bien. »

Cela veut dire que les jeunes placés ont tendance à ne pas s’en sortir. C’est comme une fatalité.

Idée reçue n° 5 : les jeunes en foyer sont pauvres et orphelins

Un·e jeune disait : « Au collège je me suis faché·e avec une copine. Elle m’a dit : ‘Moi au moins j’ai des parents !’ »

Un·e jeune disait : « Un jour, les parents d’un ami m’ont dit : ‘Si tu veux, on t’adopte’. Mais moi j’ai des parents, je n’ai pas besoin d’être adopté·e ! »

L’image des jeunes du foyer renvoie à l’idée qu’on est orphelins. Les gens confondent le foyer avec l’orphelinat, mais on est tous différents. On n’est pas à la SPA3, on n’est pas des animaux à l’adoption !

Idée reçue n° 6 : les jeunes en foyer sont soit des criminels, soit des cas psychiatriques sortis trop tôt de l’hôpital psy 

Un·e jeune disait : « J’ai entendu ça dans la rue, je suis resté·e bête. »

Idée reçue n° 7 : les jeunes placés sont vulgaires et mal polis

Un·e jeune disait : « J’habite à côté du collège et comme que je sonnais au portail du foyer j’ai entendu des collégiens dans mon dos dire qu’on est tous vulgaires et malpolis. »

Idée reçue n° 8 : les jeunes placés posent souvent des problèmes

C’est ce qu’on entend le plus souvent. Comme s’il y avait une étiquette « foyer » sur chacun de leur dossier.

Un·e jeune disait : « À la vie scolaire, à l’intendance, ils font des dossiers scolaires pour nous. On est dans le viseur, j’ai des potes qui font plus de conneries que moi mais qui n’ont rien. »

Un·e professionnelle disait : « Lors de mes recherches de contrat d’apprentissage avec les jeunes, j’ai souvent entendu des patrons dire que les jeunes de protection de l’enfance manquaient de sérieux et posaient des problèmes de comportement. J’ai eu beaucoup de refus. Maintenant, quand je me présente, je ne parle pas du foyer dans un premier temps, et ça se passe mieux. »

Idée reçue n° 9 : les jeunes placés sont des handicapés mentaux

Un·e jeune disait : « Les gens disent de nous qu’on est handicapés psy. »

Un·e jeune disait : « Alors que je parlais avec quelqu’un dans la rue avec mon éducatrice, la personne m’a dit que c’était un établissement d’handicapés, j’étais vexée»

Quand on dit de nous qu’on est pauvres, il y a une vérité dedans : on est pauvre financièrement, mais aussi humainement parce qu’on n’a pas une vie normale. Nous n’avons pas le même soutien que les autres, et nous vivons souvent avec la peur qu’on nous dise : « À 18 ans, tu pars ! ».

Les idées fausses ont un impact au niveau relationnel, amical et professionnel. Par rapport aux professionnels, souvent quand ils entendent qu’on est à l’Aide sociale à l’Enfance, ils nous prennent en pitié. Ou malheureusement, ils pensent qu’on est de mauvaises personnes, des voleurs.

Parfois les gens se braquent, ils ne nous parlent plus, les amis nous tournent le dos. Parfois ils vont nous prendre en pitié. Parfois ils vont s’en servir pour nous rabaisser, par exemple s’ils savent que tu n’as pas tes parents.

En fait, c’est mieux que les personnes apprennent à nous connaître avant de savoir, sinon on est directement fichés. Souvent on essaie de ne pas en parler, de le cacher parfois, parce que pour être embauché c’est compliqué. Ça peut faire peur.

Un·e jeune disait : « On m’a déjà dit : ‘T’as pas une tête à aller en foyer’. Comme s’il fallait avoir une tête pour ça ! Comme si on pouvait savoir, rien qu’en nous voyant ! »

Un·e professionnelle disait : « Dans ma vie privée, quand j’explique mon travail, on me dit : ‘Les pauvres, ils font de la peine’. »

C’est normal d’arrêter les idées fausses ; ça ne se fait pas de dire des choses comme ça sur les jeunes ! Nous espérons qu’en vous présentant notre travail aujourd’hui, ça permettra de trouver des outils, des moyens nécessaires pour faire avancer les visions des gens sur nous.

Lors de la journée d’étude, des échanges ont eu lieu entre les jeunes et les professionnels présents

Voici quelques extraits :

– Est-ce que les éducateurs et les assistants sociaux ont des idées fausses sur vous ?

« Bien sur, on en entend souvent et ça vient de partout. Par exemple : ‘Viens pas te plaindre si tu te fais agresser avec ta tenue’ ; ‘Ça lui plairait à elle de se faire violer’ ; ‘Regardez-les ces jeunes, on va jamais avancer avec eux’. »

– Concernant le poids des mots, et l’utilisation du jargon professionnel : quel impact sur vous ?

« Quand au foyer on nous parle de ‘transfert’ alors qu’on part en vacances, ou bien de ‘vêture’ alors qu’on va juste faire les magasins ou les soldes… ça ne donne pas l’impression d’avoir une vie normale. Quand je parle de la vie extérieure au foyer, je parle de la vraie vie. Au foyer, tu es avec des gens que tu ne connais pas, tu es avec des éducs qui changent tout le temps. On ne se sent pas en sécurité pour l’avenir. Si on pouvait se parler avec des mots simples, de tous les jours, ce serait bien. »

– Quelles sont les attentes des jeunes de la protection de l’enfance vis-à-vis des professionnels ?

« Nous attendons des professionnels qu’ils puissent nous soutenir, nous épauler. Mais pas avec de la pitié ou de la compassion.

Dans notre éducation, on nous conseille de nous remettre en question sur nos préjugés alors même que les professionnels ne font pas cet effort et se confortent entre eux sur leurs préjugés.

Ce qu’on pourrait attendre des professionnels, c’est de ne pas se sentir seuls détenteurs du savoir. Nous les jeunes nous avons aussi un savoir. »

– Comment font les jeunes pour survivre avec cette violence du quotidien ?

« D’abord on cherche à comprendre, à savoir les raisons de notre placement, et qu’on nous l’explique. On apprend à l’accepter. On survit, car on n’a pas le choix. On cherche de l’aide là où on peut : éducateurs, amis, famille, psy…

Les raisons d’être placé ne sont pas compréhensibles pour l’enfant. Donc il n’arrive pas à avancer dans sa vie. On est arraché à notre vie sans qu’on ait notre mot à dire, c’est une violence d’être arraché. Donc il y a trois étapes pour nous : il faut d’abord qu’on sache pourquoi, qu’on nous explique, et qu’on accepte. Les trois étapes à retenir pour nous sont : chercher/comprendre/accepter. »

1 Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, service de l’État français en charge de la protection de l’enfance avant qu’elle ne

2 Conseillère principale d’éducation.

3 Société protectrice des animaux.

1 Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, service de l’État français en charge de la protection de l’enfance avant qu’elle ne soit confiée aux départements par la loi de 1983.

2 Conseillère principale d’éducation.

3 Société protectrice des animaux.

CC BY-NC-ND