Des lieux uniques

Patrice Bessac

p. 30-32

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Patrice Bessac, « Des lieux uniques », Revue Quart Monde, 272 | 2024/4, 30-32.

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Patrice Bessac, « Des lieux uniques », Revue Quart Monde [En ligne], 272 | 2024/4, mis en ligne le 01 juin 2025, consulté le 13 juin 2025. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11540

Sa participation aux Universités populaires Quart Monde en novembre 2023 a été pour l’auteur l’occasion d’une réflexion dont il nous fait part ici.

Participer aux Universités populaires Quart Monde a été pour moi une expérience profondément humaine et enrichissante. J’avais déjà entendu parler du travail exceptionnel mené par ATD Quart Monde, mais c’est seulement en prenant part à ces rencontres que j’ai véritablement mesuré la force de ce mouvement, et surtout, l’impact concret qu’ont les universités d’ATD Quart Monde sur la vie de tant de personnes.

Des lieux uniques

Ces universités sont des lieux uniques. Ici, bien que non élues, des personnes vivant en situation de grande pauvreté partagent autour d’une table les préoccupations de tous les citoyens et des militants des partis politiques, avec une focalisation différente. Chacun·e vient avec son histoire, ses combats, ses doutes. Alors ensemble, nous bâtissons des ponts entre des mondes souvent trop éloignés. Ce n’est pas seulement un lieu de débat ou d’échange d’idées ; c’est un lieu où la voix des plus fragiles est placée au centre. Cette approche de bon sens est finalement rare et pourtant essentielle dans notre quête pour une société plus juste.

Trop souvent, les personnes qui vivent la précarité sont exclues des discussions qui les concernent directement. Ici, c’est tout l’inverse : ce sont elles qui nous guident, qui nous rappellent l’urgence de notre action. J’ai ainsi été particulièrement frappé par l’intensité des échanges. Chaque témoignage résonnait d’une manière qui dépassait les simples mots. Derrière une prise de parole, il y avait une vie, une lutte quotidienne contre l’indifférence, la pauvreté, et les systèmes injustes qui maintiennent des millions de nos concitoyen·nes en marge. Pas « une marge » mais une multitude. La singularité de chacune et chacun faisait la richesse et la diversité des expériences partagées. Que l’on parle de la notion de « quartiers », d’accès aux droits, de logement, d’éducation ou de santé, chaque intervention apportait une lumière nouvelle sur ces problématiques, trop souvent abordées de manière abstraite dans les discussions publiques.

Ce qui distingue les Universités populaires Quart Monde, c’est la chaleur humaine qui s’en dégage. Ces rencontres ne sont pas simplement des espaces de parole où l’on dénonce les injustices. Elles sont aussi, et peut-être surtout, des lieux où l’on objective ses problématiques, ses interrogations, où l’on trouve de la force dans l’expérience de l’autre. J’ai senti une solidarité sincère entre les participant·es, une volonté de se soutenir mutuellement. Il y a dans ces échanges une humanité précieuse. À plusieurs reprises, je me suis retrouvé bouleversé par la dignité et la résilience de ceux qui, malgré les épreuves qu’ils traversent, continuent de se battre pour un avenir meilleur, non seulement pour eux-mêmes, mais pour leurs enfants, leurs voisin·es, leurs ami·es et l’ensemble de notre société.

Pour bâtir des engagements

J’ai été particulièrement touché par les témoignages de celles et ceux qui, dans leurs quotidiens, souffrent de ne pas réussir à s’engager pour faire vivre leurs quartiers. Ils nous rappellent que la pauvreté, loin d’être une fatalité, est avant tout sociale et aussi le produit d’injustices structurelles qu’il est de notre devoir de combattre. Ils m’ont rappelé aussi qu’il n’y a pas d’autre solution pour un épanouissement sain que d’être utile à sa communauté, quelle qu’elle soit. Ce croisement des savoirs, cette écoute mutuelle, sont des outils puissants pour déconstruire les préjugés et bâtir des solutions concrètes.

En tant que maire, je me suis toujours efforcé de placer la justice sociale et l’écoute des problématiques des habitant·es au cœur de mon action. Mais ces rencontres m’ont rappelé que, trop souvent, nous avons tendance à concevoir des politiques publiques sans inclure celles et ceux qui sont en première ligne. Les participant·es de ces Universités populaires nous ont démontré, avec une lucidité implacable, que toute politique conçue « pour » eux, sans eux, est vouée à l’échec. Leur connaissance intime des obstacles qu’ils rencontrent au quotidien est indispensable pour élaborer des politiques efficaces et justes.

Des creusets d’idées de transformation sociale

J’ai également été frappé par la richesse des propositions qui ont émergé au fil des discussions. Ces Universités ne sont pas seulement des lieux de diagnostic des maux de notre société, elles sont aussi des creusets d’idées pour la transformer. Les participant·es ont exprimé des idées audacieuses et inspirantes pour repenser notre rapport à la pauvreté, à la solidarité, et à la dignité humaine. Par exemple, certaines interventions ont porté sur la manière dont les services publics pourraient être repensés pour mieux répondre aux besoins des populations les plus vulnérables, ou pour traiter les problématiques d’insalubrité et de nuisances dans les quartiers. D’autres ont souligné l’importance de l’accès à l’éducation et à la formation, non seulement pour les enfants, mais aussi pour les adultes qui souhaitent continuer à s’enrichir tout au long de leur vie. Il ne s’agit donc pas seulement de fournir des réponses techniques à des problèmes sociaux, mais de recréer du lien, de donner une place à chacun dans la société. Trop souvent, la pauvreté est traitée comme une anomalie à corriger, une réalité que l’on gère de manière bureaucratique, sans s’interroger sur les causes profondes de cette exclusion. Ce que j’ai appris lors de ces rencontres, c’est que la pauvreté est avant tout une question de lien social. Ce ne sont pas seulement des ressources matérielles qui manquent aux personnes en grande précarité, mais aussi la reconnaissance, la considération, le sentiment d’avoir quelque chose à apporter à la société.

Qui interpellent notre rôle d’élus

En sortant de ces Universités populaires, je me suis engagé à porter ces voix au sein de la mairie de Montreuil. Nous devons redoubler d’efforts pour construire une ville où personne ne se sent laissé pour compte. Cela passe par des politiques concrètes, bien sûr, mais aussi par un changement de mentalité, une nouvelle manière d’envisager notre rôle d’élus. Nous devons être à l’écoute, non seulement des experts, mais aussi, et surtout, de celles et ceux qui vivent les conséquences directes de nos décisions. Ces Universités populaires m’ont rappelé pourquoi j’ai choisi de servir le bien commun. Elles m’ont redonné de l’énergie, de la détermination, et une vision renouvelée de ce que pourrait être une société véritablement démocratique, où chacune et chacun, quelle que soit sa condition, a une place, une voix, un rôle à jouer. Je tiens à remercier chaleureusement toutes les personnes que j’ai rencontrées lors de ces journées. Vous m’avez rappelé que la politique, au fond, ce n’est pas une question de chiffres ou de dossiers. Vous êtes la preuve vivante que la solidarité, l’entraide, et la justice sociale ne sont pas de vains mots, mais des réalités que nous devons faire vivre, ensemble, chaque jour.

Patrice Bessac

Patrice Bessac est le maire de Montreuil (Seine-Saint-Denis, région Île-de-France).

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