Les bénévoles adoptent un comportement résolument surprenant pour ceux qui les observent et qui ne font pas partie de ce microcosme. La normalité s’approche plutôt d’échanges contractualisés, qui se concrétisent en une offre de force de travail et le versement d’une rémunération en contrepartie. Toutefois, les contributions volontaires sont bien présentes dans notre société. Les pratiques sont diverses et parfois invisibilisées. Il est d’ailleurs à noter que nombre de bénévoles ne se définissent pas comme des bénévoles. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il n’existe pas de statut de bénévole, par conséquent la représentation d’une frontière du bénévolat se retrouve indéterminée et poreuse.
Malgré les injonctions à participer à la création de richesses monétaires, les bénévoles poursuivent leurs pratiques. Cette attitude s’avère d’autant plus étonnante que cette activité est censée être menée pour le compte d’autrui. Ainsi, il est pertinent de se demander quelles sont les véritables motivations des bénévoles, comment les dons d’activités se réalisent et de quelle manière s’adapter aux particularités de chacun pour offrir la meilleure expérience possible.
Un statut de bénévole en construction
Cela peut paraître surprenant mais il n’existe pas de statut officiel de bénévole. C’est à dire qu’il n’y a pas de disposition législative qui détermine les droits et obligations des bénévoles, ce qui conduit à l’impossibilité d’établir un contrat bénévole. Pourtant le mot « bénévole » apparaît bien dans certains textes, comme dans la loi Bataillon du 15 avril 2014 visant à soutenir l’engagement bénévole, mais il s’agit bien ici d’aider le bénévole, pas le contraindre.
Cependant, diverses déclarations nécessaires auprès d’institutions ou de l’État amènent vers l’apparition progressive d’un statut, en officialisant les rôles des bénévoles. Par exemple : déclaration des dirigeants bénévoles aux greffes des associations, demandes de subventions auprès de lecompteasso.associations.gouv.fr, indication des noms des bénévoles sur les Cerfa1, désignation de responsable auprès d’une banque, déclaration d’un nombre de bénévoles auprès d’assurances, représentation auprès du tribunal, déclaration des heures bénévoles en comptabilité, remise de médailles par l’État.
Les multiples définitions du bénévolat
À l’inverse de l’inexistence d’un statut de bénévole, il existe une profusion de définitions du bénévolat. Les Nations unies, l’Organisation internationale du travail, la Charte européenne des bénévoles, de multiples chercheurs francophones ou non, chacun propose sa propre définition du bénévolat. La définition la plus communément admise comporte trois dimensions qui sont la liberté de choix, la non rémunération et l’action vers autrui. Cependant il convient d’ajouter une quatrième dimension comme l’indique Lionel Prouteau2. En effet le contexte dans lequel se déroule cette activité importe. En l’absence de définition officielle, la proposition du Conseil économique, social et environnemental de 2022 est souvent considérée comme la référence :
« Le bénévolat est l’action de la personne qui s’engage librement, sur son temps personnel, pour mener une action non rémunérée en direction d’autrui, ou au bénéfice d’une cause ou d’un intérêt collectif. »3
Ainsi pour qualifier une personne de bénévole, il faudrait que les critères répondant à ces quatre dimensions soient vérifiés. Or c’est bien la difficulté, car chacune de ces dimensions est sujette à discussion. Afin de déterminer les frontières du bénévolat et de distinguer les multiples définitions possibles, nous utilisons un outil graphique : le carré du bénévolat. Chaque côté représente une frontière et en se questionnant sur ces quatre critères, nous pouvons considérer si cette activité est bénévole ou non. Pour que l’activité soit bénévole, il faut que les quatre réponses soient affirmatives, ce qui permet de représenter graphiquement l’activité à l’intérieur du carré et non pas à l’extérieur.
Commençons par nous questionner sur le critère de non rémunération. Selon les pays il peut être admis que le versement de faibles indemnités soit possible. D’ailleurs, les Anglo-Saxons utilisent le mot « volunteer » qui regroupe à la fois les volontaires indemnisés et les bénévoles. D’autre part, certains peuvent considérer que des défraiements ou des repas ou des invitations sont des rémunérations. En fonction des réponses, chacun se construit sa propre définition du bénévolat en excluant ou incluant dans le carré l’activité.
Carré du bénévolat
Loïc Damey
Les questionnements sur la liberté de choix sont aussi variés. Demandons-nous si un président d’association que personne ne veut remplacer est libre, si un aidant familial a le choix, si un étudiant qui effectue un stage non rémunéré pour valider son diplôme est bien libre, ou si l’exécution d’une activité pour obtenir une aide financière est un choix personnel.
Concernant le contexte, certaines propositions de définitions ne considèrent pas comme du bénévolat les activités réalisées dans le cadre domestique. À chacun de se demander si les actions exécutées pour sa famille, ses cousins, ses voisins, ses amis, rentrent dans le cadre du bénévolat ou si le bénévolat ne peut se pratiquer qu’en association.
L’action vers autrui pose aussi question. La bonne attitude bénévole consiste à donner sans attendre en retour. Or nous pouvons nous demander si un professeur bénévole, un artiste bénévole, un responsable d’association ne reçoivent pas en retour et donc si finalement ils n’agissent pas aussi pour eux‑mêmes.
Donner et recevoir
Généralement, les motivations citées par les bénévoles sont : aider les autres, s’engager, contribuer, faire plaisir, défendre une cause, transmettre des compétences, apprendre, trouver un lien social, passer un moment convivial, se sentir utile. Afin de classer ces motivations et d’expliquer le comportement bénévole, la théorie du don et contre-don de Marcel Mauss4 nous semble très adaptée. Le principe repose sur une triple obligation de donner, recevoir, puis rendre. Ainsi, en commençant par l’action de donner, un processus se met en place qui oblige celui qui a reçu à rendre, car la personne se sent endettée. Afin de conserver une image digne et respectable, le bénéficiaire se doit d’équilibrer la balance.
En observant ce triptyque « donner, recevoir, rendre », il apparaît que donner n’est qu’une étape transitoire qui mène à recevoir. Le processus peut s’enclencher à partir d’une démarche citoyenne et offrir à la personne du lien social, un sens à sa vie, un épanouissement personnel, une meilleure santé selon Malet et Bazin5. Si le point de départ du don ne vient pas toujours d’un calcul par intérêt personnel, il est à noter que tout don mène à un contre-don. Alain Caillé6 précise que « tout don n’est pas gratuit » même s’il existe une marge de jeu entre donner, recevoir et rendre. Pour Norbert Alter, le don en retour ne vient pas nécessairement de la personne qui a reçu le don. Cela peut être de la gratitude, de la reconnaissance, un sentiment d’utilité ou se réduire à « donner pour éprouver le sentiment d’exister »7.
Les comportements bénévoles
En nous appuyant sur une enquête8 réalisée par entretiens semi-directifs auprès de bénévoles sur l’île de La Réunion, nous avons pu dégager trois types de comportements bénévoles. Il est frappant de voir à quel point certaines personnes se considèrent comme exclusivement donatrices dans un premier temps puis reconnaissent donner et recevoir. D’autres personnes ont conscience de ce double objectif et d’autres encore vont jusqu’à planifier le contre‑don.
Un contre-don imprévu. Ces bénévoles pratiquent le bénévolat en se présentant comme des personnes altruistes. Leur motivation affichée est de pouvoir aider autrui. Cependant elles constatent après coup ce que cela leur apporte personnellement. Le témoignage de G. est éloquent : « Mon objectif, c’était vraiment d’accompagner les personnes en situation d’illettrisme, public en grande difficulté notamment. Franchement moi j’ai adoré faire ce que j’ai fait. » Ainsi en ayant comme première intention d’aider les personnes en situation d’illettrisme, G. a pris beaucoup de plaisir. Un autre exemple : M. nous dit que « le fait de partir dans cette association m’a permis de découvrir un autre métier ». C’est en s’impliquant dans cette association que ce bénévole a acquis des compétences.
Un don pour autrui, mais aussi pour soi. Ces bénévoles ont conscience que donner leur apportera quelque chose en retour. Cet acte ne résulte pas d’un calcul, c’est une démarche spontanée. Cependant les personnes ont une expérience préalable du bénévolat qui leur permet de voir l’acte bénévole comme un tout, incluant donner et recevoir. F. nous dit : « Je donne de mon temps pour les autres, pour participer à quelque chose. » C’est une sorte de don de temps en échange de lien social obtenu grâce à l’activité bénévole. L. va dans le même sens en précisant : « J’allais donc rencontrer des gens en même temps que j’allais dépanner des objets. » C’est en aidant des personnes que L. parvient à avoir une vie sociale.
Un don pour obtenir ce que je veux. Certains bénévoles vont jusqu’à identifier des pratiques qui permettent d’allier les actions réalisées pour autrui et leurs objectifs personnels. Après réflexion et choix, ces personnes planifient leur bénévolat pour obtenir ce qu’elles désirent. Ainsi, B. nous parle de son expérience d’éco-volontariat, qu’il a effectué bénévolement dans des associations autour de la nature et de l’environnement. « En fait on a trouvé une nouvelle manière de voyager, en aidant les autres et en participant avec la hauteur de nos connaissances pour les associations qui nous tenaient à cœur. » En aidant des associations, il a pu voyager et soutenir les causes qui sont importantes pour lui. De même, P. nous expose sa démarche : « Avec un des parents dont les deux fils étaient gardés avec mon fils à moi, on a discuté, on a dit : ‘comment tu vas faire à la rentrée ?’ On a dit ‘il faudrait qu’on monte une garderie’. » Dans cet exemple, P. a pris la décision de s’engager bénévolement dans la création d’une garderie dans l’objectif de faire garder son fils.
Préconisations
Afin de proposer la meilleure expérience possible aux bénévoles, il convient de se poser quelques questions en lien avec la définition propre à chacun du bénévolat. Y a-t-il une indemnisation ? Si oui, alors la motivation peut être biaisée. Est-ce vraiment un choix ? S’il y a un caractère contraignant alors l’implication peut être moindre. Est-ce qu’un membre de sa famille est dans l’association ? Après le départ de l’un, l’autre partira probablement aussi. Est-ce que l’activité est réalisée pour autrui, sans attendre en retour ? En cas de démarche flagrante pour un intérêt personnel, les relations avec les autres bénévoles peuvent être altérées.
Après avoir identifié le comportement d’un bénévole, il est souhaitable de s’adapter pour que la relation se passe au mieux. Lorsque le contre-don est imprévu, il convient de s’assurer malgré tout que la personne reçoive bien les retours classiques du bénévolat, c’est-à-dire la convivialité, la satisfaction de défendre une cause et la possibilité d’acquisition de connaissances. Lorsque le contre-don est conscientisé, il est alors envisageable d’adapter l’activité afin de favoriser des conséquences potentielles en adéquation avec des préférences exprimées par le bénévole. Lorsque le contre-don est planifié, il est plus facile de comprendre le comportement de la personne et de répondre à ses demandes, mais l’incertitude et l’absence de garantie permettent de conserver cette attitude non contraignante qui caractérise le bénévolat.

