Une innovation pour garantir l'accès aux soins

Valérie Ollivier

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Valérie Ollivier, « Une innovation pour garantir l'accès aux soins », Revue Quart Monde [Online], 190 | 2004/2, Online since 05 November 2004, connection on 14 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1357

La cellule DETRES : une expérience innovante de la Caisse primaire d’assurance maladie du Calvados.

Index de mots-clés

Santé, Solidarité

Index géographique

France

En 1988, la réalité de la précarité n’est que très peu admise et prise en compte, tant par l’opinion que par les institutions et les services publics. Seul le monde associatif tente de faire entendre la voix et les besoins des populations les plus en difficulté. Le Mouvement ATD Quart Monde vient de publier un constat réalisé à la Guérinière, quartier « difficile » de Caen1. Il y dénonce les difficultés d?faccès aux soins de toute une partie de la population de ce quartier. L’équipe de direction de la Caisse primaire d’assurance maladie du Calvados se sent interpellée par ce rapport : comment peut-il y avoir une difficulté d’accès aux soins à ses propres portes ? Une réflexion s’engage, qui aboutit à la création, le 16 mai 1988, d’une cellule d’un genre inédit dans l’assurance maladie : DETRES (Détection et traitement de l’exclusion sociale). Trois agents ont été sélectionnés, tous anciens agents d’accueil, habitués et du contact avec la population et des complexités de notre législation. Une mission : détecter les personnes qui n’ont pas accès aux soins parce qu’elles se croient sans protection sociale et tout mettre en œuvre pour leur en attribuer une, dans les meilleurs délais. Les moyens ? Un bureau, un téléphone, mais surtout une affectation spécifique à temps complet à cette mission et une « carte blanche » quant aux moyens pour y parvenir...

Résultat : la création d’un véritable réseau de détection, puis d’un réseau de solution de plus en plus globale. En seize ans, plus de quatre-vingts un mille personnes ont ainsi vu leurs droits à la protection sociale rétablis, et donc leur accès aux soins ouvert et garanti.

Pourquoi cet échec des systèmes traditionnels d’accueil et de prise en charge ? Pourquoi cette nécessité de mettre en place des dispositifs spécifiques pour que la population ait accès à ses droits légitimes ?

Un paradoxe...

Depuis déjà de nombreuses années, la législation française offre à quasiment toute la population (à l’exclusion des étrangers clandestins) la possibilité d’avoir des droits à l’assurance maladie, ce qui permet l’accès à l’ensemble des prestations offertes par le système de santé français. En clair, le schéma normal est le suivant : toute personne résidant régulièrement sur le territoire français a droit à une couverture maladie. Avoir des droits sociaux en assurance maladie, c’est pouvoir se soigner. Etre exclu de ces droits sociaux équivaut à ne pas pouvoir le faire. Les droits sociaux en assurance maladie sont la condition d’accès à la santé.

Mais le bénéfice de ces droits sociaux n’est pas automatique ! Le droit à la protection sociale existe « en théorie » pour tout le monde. Mais pour rendre ces droits réels et effectifs, il faut concrètement « ouvrir » le droit, comme une porte dont il faut avoir la clé : il faut faire une démarche, y compris pour la Couverture maladie universelle (CMU) et la Couverture maladie universelle complémentaire (CMUC). C’est à partir de cette nécessité que pour certaines personnes le droit théorique ne devient pas effectif. Car il faut « aller se faire (re)connaître » et produire des justificatifs. Si le droit théorique existe pour tout le monde, les portes d’accès à ce droit sont multiples, et des justificatifs sont nécessaires pour savoir par quelle porte on peut entrer : par le travail présent ou passé, en étant ayant droit (conjoint, enfant... ) d’une personne déjà reconnue assurée sociale, en percevant une prestation sociale d’existence (retraite, allocation d’adulte handicapé... ).

C’est là que la situation devient paradoxale : les personnes en situation économique et familiale « normale » n’ont aucune démarche à faire. Ce sont d’autres qui s’en chargent : par exemple les entreprises avec des déclarations automatisées pour leurs salariés, complètement transparentes pour eux et leurs familles. Par contre, les personnes en difficulté économique ont des « ouvertures de droits » plus compliquées et elles ont tous les justificatifs à fournir (bulletins de salaire, talons Assedic..), de même que les personnes en difficulté familiale (femme jusque-là ayant droit de son mari et abandonnée par ce dernier). Cela peut alors devenir un parcours du combattant (course aux justificatifs auprès d’organismes différents... ) Ces personnes, déjà fragilisées par leurs difficultés, ne sont pas toutes en « disposition mentale » pour le faire, et risquent d’abandonner. Des démarches objectivement simples deviennent pour les personnes en difficulté des obstacles insurmontables.

Or les gens le plus en difficulté sociale sont ceux qui sont le plus exposés à des soucis de santé. Donc ceux qui auraient le plus besoin d’un accès direct et simple à la couverture sociale sont ceux qui ont le plus de démarches à faire et le plus de difficultés à l’obtenir. Et justement ils feront moins, peu ou pas la démarche de venir nous voir.

Et un jour, c’est le « pépin » : l’hospitalisation en urgence ! S’il n’y a pas de « justificatif d’ouverture de droits ”, la facture - lourde – arrivera à la maison et il sera impossible de la payer. Après tous les rappels en recommandé arrivera l’huissier. Des dettes de santé peuvent ainsi contribuer à couler financièrement toute une famille.

... et une réponse

Puisque les personnes qui ont le plus besoin d’avoir accès aux droits ne viennent pas vers nous dans nos lieux d’accueil traditionnels, c’est à nous d’aller au-devant d’elles. Comme par définition, nous ne les connaissons pas, sinon elles auraient leurs “ droits ouverts ”, la première et primordiale mission de la cellule DETRES est la détection de toutes les personnes qui sont ou qui croient être sans protection sociale, et qui sont, toutes ou presque, dans des situations de grande détresse et précarité

Ce qui implique de sortir de nos murs. D’où la création en 1988 de cette cellule spécialisée. C’est quasiment une équipe « commando », aujourd’hui de quatre agents à temps plein, à très forte réactivité, très mobile, détachée des contraintes habituelles de production des CPAM, utilisant des moyens et des méthodes non conventionnels.

Pour cette mission de détection, ils ont dès le départ constitué un réseau avec tous les intervenants de terrain au contact de ces personnes, en allant les voir pour leur expliquer leur rôle et surtout l’intérêt pour toute personne de s’assurer de sa protection sociale pour pouvoir accéder aux soins, car c’est trop souvent une préoccupation bien secondaire par rapport au « vital premier » : la nourriture, le toit, la chaleur... Les assistantes sociales, les centres communaux d’action sociale, les foyers d’hébergement ou de réinsertion, les associations ont ainsi été contactés.

Dès que ce réseau est en contact avec une personne sans couverture sociale, il appelle un délégué DETRES, qui se déplace aussitôt pour rencontrer la personne là où elle le souhaite (foyer d’hébergement, mais aussi squat, bistrot, la rue... ). Et le contact se fait de la façon la plus personnalisée et la moins administrative possible (pas de cravate, pas de cartable - ça rappelle trop l’huissier - ; le tutoiement est souvent de rigueur). Le délégué qui a détecté prend en charge le problème jusqu’au bout de sa solution. Il sera l’unique « référent » de la personne.

La deuxième mission de DETRES est bien entendu la solution. Elle est apportée par un deuxième réseau, qui mobilise nos propres capacités et savoirs en interne, mais également ceux de nos partenaires institutionnels qui peuvent apporter des prestations qui vont ouvrir le droit à la couverture sociale (prestations familiales, prestations chômage etc. souvent avec rappels !). Car au-delà d’une accessibilité de la législation maladie, nous privilégions « la réponse la plus globale possible » aux besoins des personnes. Tout ceci dans des délais les plus brefs possibles : 80% des dossiers trouvent une solution en moins de cinq jours (près de 50% le jour même, et 20% le lendemain).

Ces réponses s’organisent aussi collectivement lors de « journées santé » qui mobilisent tous les partenaires autour de petits groupes de personnes en difficulté (personnes ayant le revenu minimum d’insertion, jeunes en insertion etc.) : cela permet d’aller, pour les prestations de la Caisse, du bilan de santé gratuit aux prestations financières exceptionnelles pour faciliter l’accès aux soins, et d’associer les partenaires compétents pour aider à la résolution de problèmes de santé spécifiques comme l’alcool, mais aussi des problèmes de logement, d’électricité.

La cellule DETRES a enfin une mission d’information préventive, en sensibilisant ses relais pour qu’ils intègrent un réflexe « questionnement et accompagnement dans une démarche d’accès aux droits et d’accès aux soins » pour toutes les personnes qu’ils suivent dans leur action de terrain, car si fournir un repas ou un logement est indispensable, il n’y aura d’insertion sociale possible qu’en incluant la problématique santé.

Quelle conclusion tirer ?

Un service public « traditionnel » est en capacité de faire l’analyse des limites de ses modes de fonctionnement habituels pour aller au-devant des publics les plus en difficulté et trouver des solutions pour répondre à cette demande inexprimée.

La presse locale a très vite trouvé le pseudonyme de nos délégués DETRES : « les mousquetaires de la Sécu ». Nous sommes aujourd’hui une cellule de quatre agents à temps plein : deux « anciens » depuis l’origine, et deux femmes nouvellement arrivées, l’une par notre réseau d’accueil, l’autre par notre service d’éducation pour la santé, dont l’action est particulièrement ciblée sur les populations les plus en difficulté. Dans un sens, c’est bien : la Caisse a su évoluer en augmentant les moyens mis à la disposition de la cellule (quatre agents au lieu de trois précédemment). Mais dans un autre sens, c’est inquiétant dans la mesure où cela démontre les besoins croissants d’une population de plus en plus précaire et dont la précarité s’accroît. L’Assurance maladie ne peut pas à elle toute seule prendre en compte l’ensemble de cette précarité croissante, mais elle se doit de tout faire pour que l’accès à la couverture maladie et le droit aux soins qui en découle soient le plus universels possible, pour qu’au moins dans le domaine de l’assurance maladie, l’ensemble de la population ait l’effectivité de l’ensemble de ses droits.

Pour atteindre cet objectif, il nous faut parfois bousculer nos façons habituelles de travailler, pour nous adapter aux besoins particuliers d’une population qu’a priori nous ne connaissons pas mais qui a besoin de nos services. Notre expérience prouve, par sa pérennité, et par sa réussite en termes de personnes aidées et accompagnées, qu’un grand service public comme celui de l’Assurance maladie, sait se mobiliser et se remettre en question. Certes quelquefois, le retour au bureau des délégués DETRES est difficile, pour faire concilier la réalité de terrain dont ils sont imprégnés et la rigidité de nos systèmes réglementaires. Mais cette osmose, a priori presque contre nature, fait justement partie de notre travail et de notre challenge de tous les jours... pour que notre société évolue vers plus de solidarité réelle.

Y a t il des ingrédients miracles ? Non, mais la volonté sans faille d’un conseil d’administration et d’une direction, relayée par des cadres très motivés et par des agents « militants de service public », ce sont là des moteurs puissants d’une dynamique de lutte contre l’exclusion sociale dans sa dimension « droit à la couverture sociale – droit aux soins – droits à la santé ». N’est ce pas l’une des problématiques les plus actuelles ? Car qui ne possède pas ces droits est le plus souvent exclu de tous les autres. C’est pourquoi l’ensemble du réseau assurance maladie a maintenant intégré cette problématique et ces moyens de réponse dans ses objectifs nationaux.

1Pauvreté et précarité économique : enquête dans un quartier populaire de Caen, Ed. Quart Monde, 1986, 43 pages
1Pauvreté et précarité économique : enquête dans un quartier populaire de Caen, Ed. Quart Monde, 1986, 43 pages

Valérie Ollivier

Valérie Ollivier est sous-directrice de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Calvados, cofondatrice et responsable de la cellule DETRES.

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