Un centre d’hébergement familial à Roubaix

Michel d’Haene

p. 38-40

Citer cet article

Référence papier

Michel d’Haene, « Un centre d’hébergement familial à Roubaix », Revue Quart Monde, 179 | 2001/3, 38-40.

Référence électronique

Michel d’Haene, « Un centre d’hébergement familial à Roubaix », Revue Quart Monde [En ligne], 179 | 2001/3, mis en ligne le 05 mars 2002, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1786

Le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) du Cap Ferret  privilégie l’accueil des familles avec l’ambition d’éviter le placement des enfants et de restaurer le rôle des parents.

De l’extérieur, rien ne le différencie des autres immeubles en briques du quartier, mais une fois la porte passée, on entre dans un lieu très convivial : bruits d’enfants, odeur de café et de cuisine dans la salle d’accueil. Madame Himblot, maîtresse de maison depuis plus de vingt ans, prépare ses marmites pour cuisiner un repas avec une des résidentes. Plusieurs couples papotent. Une jeune mère tient un nouveau-né dans ses bras ; le père est là à contempler la vie, il sait qu’il a une place même s’il ne vit pas encore avec la maman. Un autre couple revient de la maternité, accompagné par les parents d’accueil de la jeune mère qui ont toute liberté de venir.

De grandes baies ouvrent sur un jardin, un poulailler, un espace jeu, la cabane des enfants… C’est dans ce cadre que s’élabore l’accompagnement au quotidien. Le jardin d’enfants accueille les petits et, si les parents s’y attardent un moment, il favorise les liens familiaux. Les appartements (F1, F2, F3) peuvent accueillir vingt-quatre familles, en priorité des couples avec jeunes enfants, lorsque celles-ci connaissent des moments de crise (expulsion d’un logement, rupture d’une cohabitation, habitat trop insalubre…).

Ce lieu d’écoute, qui donne envie aux parents de réassumer leurs responsabilités, devient aussi pour l’enfant un lieu de protection.

Quart Monde : Souvent les contrats élaborés lors de l’accueil des familles ne correspondent pas à leurs attentes réelles. Comment faites-vous émerger leurs projets et établissez-vous avec elles un contrat ?

Michel d’Haene : Il faut vraiment réfléchir à ce que l’on propose comme contrats aux personnes en grandes difficultés. Les familles que nous accueillons ici ont déjà signé sans les lire, par obligation et non par choix, de multiples contrats. Par exemple, pour les enfants avec l’aide éducative en milieu ouvert (AEMO), pour les ressources avec la tutelle aux prestations sociales, un contrat d’insertion pour le RMI, éventuellement un contrat TRACE pour le retour à l’emploi.

Le contrat-projet perd toute sa pertinence lorsqu’il part ainsi dans toutes les directions, sans unité, avec de multiples intervenants qui ne se coordonnent pas. Quelle est la maîtrise laissée à la famille là-dedans ?

A la notion du contrat est liée celle du temps. Comment les personnes peuvent-elles s’y retrouver et bâtir quelque chose de cohérent et de personnel quand à chaque contrat correspond une durée différente, fixée non pas en fonction de la réalité familiale mais en rapport avec un temps administratif ? Par exemple, six mois pour un contrat mais, simultanément, la famille devra sur des domaines différents honorer des contrats de trois mois renouvelables, un an ou plus pour d’autres… Elle doit donc rendre des comptes à des dates différentes et à plusieurs personnes.

Pour ne pas mettre la famille devant une signature de plus, lorsqu'elle arrive, nous lui donnons d’abord du temps, celui de la rencontre, de la confiance. Les familles accueillies ici sont des familles dont on exige beaucoup, qui ont toujours dû faire leurs preuves. Elles sont épuisées et ont droit à une pause. C’est souvent la première fois qu’elles ont la clé d’un appartement. Elles ont besoin de temps pour formuler un désir et nous également pour voir comment celui-ci peut déboucher sur un contrat.

Cela se construit à travers des temps formels et informels. Le plus important pour chaque membre de notre équipe, de l’homme d’entretien au directeur, c’est de prendre le risque d’une vraie rencontre, dans laquelle nous gardons la capacité de nous étonner, de nous émerveiller, de faire confiance. C’est cette attitude-là qui fait surgir chez les parents des désirs enfouis, des capacités insoupçonnées, les aident à surmonter leur peur d’aller vers l’inconnu. Nous pouvons les aider, mais ce sont eux qui savent ce qui leur est nécessaire.

Q.M. : Vous pensez que toute la famille peut ainsi avancer et vous avez le souci de la place de l’homme dans la famille…

M.H. : Le « social » tue les hommes. Les institutions les éliminent. Sans travail, ils ne ramènent plus d’argent à la maison. Perçus comme inutiles, ils sont jugés responsables des problèmes que rencontre la famille et en même temps infantilisés.

Souvent, en retour de l’aide qu’on apporte à une famille, on lui demande quelque chose qu’elle n’est pas en mesure de donner sur le moment et c’est là le drame. Pour l’homme, on ne pense qu’à la remise au travail, au « réentraînement à l’effort ». Or, la chose la plus importante pour lui à son arrivée, c’est de sauvegarder l’intégrité familiale. Il a besoin de protéger sa famille de l’intérieur, il ne peut alors la quitter pour aller travailler à l’extérieur. Souvent d’ailleurs la femme ne le supporterait pas. Il faut tenir compte de ça. Nous avons accueilli ici une famille dont l’homme était malade, écrasé. Il rêvait de faire un jardin, nous lui avons donné un bout de terrain à cultiver. Il y passait ses journées. Il fallait voir la fierté des enfants qui du balcon encourageaient leur père. C’est cela qui a remis debout le père et la famille. Avant de « remettre » au travail, il y a des étapes. Par exemple, celle de l’échange d’un coup de main. Lorsque quelqu’un me demande une aide financière, je lui demande ce qu’il peut me donner en échange. C’est lui qui choisit : ce peut être s’occuper de la sono, tenir le bar, garder les enfants d’un autre… Les hommes aiment toucher à la technique, ils aiment bricoler les vélomoteurs, les voitures ; cela se fait sur le parking, je ne veux pas créer un atelier qui structurerait trop tôt. Qu’ils découvrent d’abord ce qu’ils aiment, ce dont ils sont capables. Je mets du matériel et des personnes à leur disposition – ainsi avons-nous employé un menuisier. C’est un bon moyen de s’ouvrir sur l’extérieur et d’être en contact avec le travail, un métier.

Q.M. : A votre avis, quel est le plus important pour les familles que vous accueillez ?

M.H. : On ne peut réparer des années de galère en un an et demi ! Si, plus tard, on leur demande quels ont été les moments positifs dans leur vie, je souhaite que le temps passé ici dans une grande sécurité soit de ceux-là, parce qu’il aura permis aux parents de découvrir les capacités de leurs enfants et aux enfants d’être fiers de leurs parents.

Le placement est toujours un traumatisme, mon expérience professionnelle et mon histoire me l’ont appris. Permettre à un enfant de zéro à un an et demi de vivre avec ses parents, c’est irremplaçable pour son avenir, pour sa construction.

Une grande partie du travail consiste à « s’inclure » à nouveau, en reconstruisant un réseau à l’extérieur : services sociaux, école, voisins, commerçants… – tout un réseau de sociabilité avec lequel ils sont en rupture. La culture est essentielle pour rétablir les liens sociaux1. Elle fait partie de la création de l’expression qui permet la rencontre. C’est un paradoxe de parler de l’insertion par la culture, elle fait partie de la vie de l’être, elle est le lieu de l’imaginaire. Voilà pourquoi nous avons créé un espace culturel « Chez Léo », afin d’ouvrir des passerelles entre les locataires d’ici, les habitants et les associations de la ville. En accueillant des spectacles musicaux, des réunions d’associations, des ateliers d’écriture, « Chez Léo » représente un intérêt et permet au Cap Ferret de ne pas être un lieu d’enfermement des pauvres, c’est un véritable acteur de dynamisme sur le quartier. La participation des locataires dans l’organisation, la gestion, la présentation, permet de faire émerger des compétences, d’utiliser leurs savoir-faire et de bénéficier de cette image de marque positive.

1. Cf. Quart Monde, n° 156, « Une culture en ouvrage ».
1. Cf. Quart Monde, n° 156, « Une culture en ouvrage ».

Michel d’Haene

Directeur de cet établissement depuis 1992, Michel d’Haene a écrit de nombreux articles et collaboré à plusieurs ouvrages, notamment La parentalité exposée et Accompagner (Editions Eres), Au nom du père (Editions Grafe).

CC BY-NC-ND