Prendre soin

Françoise Abalca

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Françoise Abalca, « Prendre soin », Revue Quart Monde [En ligne], 184 | 2002/4, mis en ligne le 05 mai 2003, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2461

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Santé

Un séjour à l’hôpital est rendu nécessaire pour guérir des plaies du corps, mais celles de l’esprit sont aussi à prendre en compte.

J'ai rencontré quelqu’un qui vivait, dans son appartement, comme une personne à la rue. Suite à une maladie, cet homme a été hospitalisé dans le service de médecine où je travaille. Il était très affaibli. Il n'avait plus la force de se laver ni de manger tout seul. Il a fallu qu'il accepte notre aide. Ce ne fut pas sans mal. Il était très agressif et refusait les soins. Ce devait être humiliant pour lui d'être tributaire d'autrui.

Devant quelqu'un d'agressif, on est tenté d'avoir la même réaction. Mais, là, je me suis dit que cette agressivité devait cacher quelque chose. J'y ai répondu par la douceur, la gentillesse, la patience. Alors un changement se produisit en lui : il accepta les soins ! Enfin, ce n'était jamais gagné car il ne fallait pas qu’ils durent trop longtemps. Tout était donc à recommencer chaque jour.

Une collègue m'a demandé comment je pouvais être aussi gentille avec lui. Je lui ai répondu que cet homme ne devait pas avoir l'habitude d'être aimé, d'être considéré comme une personne à part entière, qu'il devait être blessé dans sa dignité d'homme car on l'avait toujours considéré avec mépris à cause de sa façon de vivre. Son agressivité, c'était sa façon de se protéger.

Il a commencé à aller mieux. Un jour, on ne l'a plus trouvé dans sa chambre, ni dans le service. Nous avions pensé qu'il avait fugué, comme cela arrive de temps en temps. Mais, avant de prévenir les cadres infirmiers, nous devions d'abord le chercher dans tout l'hôpital. Je me suis alors dirigée vers le hall d'accueil, en amenant avec moi un fauteuil roulant car il était encore très faible malgré tout et l'hôpital est très grand. D'ailleurs beaucoup de gens s’y perdent.

J'ai fini par le trouver chez le marchand de journaux. Il regardait les livres. Je lui ai demandé s'il voulait s'asseoir dans le fauteuil roulant pour être reconduit vers son lit. Il ne le voulut pas. Il continuait de regarder les livres. J'ai alors engagé la conversation sur les livres. Il m'a appris qu'il aimait beaucoup les livres mais qu'il n'avait pas d'argent pour en acheter. Je lui ai donc parlé de la bibliothèque de l'hôpital et lui ai proposé d'y aller. Il n'a pas voulu mais a accepté de retourner dans le fauteuil roulant.

Depuis ce jour, il emprunte des livres à la bibliothèque ambulante qui passe une fois par semaine dans le service. Nous avons maintenant toujours un sujet de conversation quand nous entrons dans sa chambre. Nous pouvons feuilleter ensemble les livres qu'il a choisis, surtout des livres avec de belles photos de paysages et d'animaux.

Le personnel soignant souffre de ne pas pouvoir consacrer plus de temps aux patients, parce qu’il n’est pas assez nombreux et parce qu’on ne reconnaît pas assez l’aspect humain de ce métier.

Françoise Abalca

Françoise Abalca est aide-soignante dans un hôpital et alliée d’ATD Quart Monde à Brest (France)

CC BY-NC-ND