Depuis l’indépendance, l’Eglise d’Algérie a toujours cherché à être au service du développement et de la rencontre de cultures. Au début, ceux qui étaient le plus en difficulté, c’étaient les jeunes et les enfants. Aussi avons-nous ouvert de nombreux centres de formation et des écoles qui ont accueilli des milliers de jeunes leur permettant ainsi d’accéder à une instruction solide. En même temps ces établissements formaient, par eux mêmes, d’excellents espaces de libertés et de rencontres. En juin 1976 tous ces centres furent nationalisés, mais d’autres s’ouvrirent au service des jeunes avec la création de bibliothèques scientifiques et littéraires, offrant aux lycéens et universitaires des outils appréciables à leur formation.
Parallèlement les services Caritas créèrent des ouvroirs pour les jeunes filles et lancèrent la formation des jardinières d’enfants tout en donnant une aide importante aux différents centres pour handicapés mentaux.
Depuis l’apparition du terrorisme, où parfois des villages entiers ont été martyrisés, nous avons essayé de venir en aide aux victimes par une aide psychologique, médicale et matérielle en lien avec le mouvement associatif.
Comment être présents ?
L’inondation de Bab el Oued en 2001 et le tremblement de terre de Boumerdes en 2003 nous ont mis devant de nouveaux défis à relever. Comment être présents au milieu de ces populations vivant dans des habitations très précaires ? A Bab el Oued, nous avons pu aider un grand nombre de personnes à reconstruire leurs maisons en leur achetant quelques sacs de ciment et parfois une brouette. Un centre de jeunes y fut également construit qui poursuit son action jusqu’à ce jour.
Lors de notre action avec des bénévoles algériens étudiants, nous nous sommes trouvés en face de deux sœurs jumelles. L’une des deux étant gravement handicapée, l’autre la soignait depuis des années tout en l’enfermant entre quatre murs. L’inondation avait mis fin à cette terrible situation et nous avons pu soigner les deux.
Dans la région de Boumerdes, épicentre du séisme, les besoins étaient immenses. Après avoir répondu au plus urgent, nous avons essayé d’être à côté de cette population traumatisée, « parquée » provisoirement dans des cités en préfabriquées, par le moyen d’un petit centre, en préfabriqué également, nommé Mère et Enfant.. Pendant trois ans nous y avons accueilli différents groupes de femmes, souvent isolées dans leurs petites maisons à une seule pièce, pour apprendre à lire et à écrire, pour parler de leurs problèmes quotidiens, et découvrir l’informatique. Une petite crèche de trente enfants fonctionnait également tous les jours, libérant ainsi les mamans et la maison minuscule dans laquelle la famille s’entassait, soit cinq à dix personnes. Le soir, plusieurs groupes de jeunes suivirent des cours de soutien scolaire, leur permettant ainsi d’obtenir de meilleurs résultats dans les études. Tout cela n’a été possible que grâce à une excellente équipe de jeunes volontaires algériens et étrangers, musulmans et chrétiens, travaillant ainsi « la main dans la main » et très appréciée par la population. Pour cette cité, chaque été, un centre aéré de vacances fût organisé avec plus de cent trente participants, garçons et filles. C’était la fête du village ! Malheureusement nous avons dû plier bagage sous la pression de groupes peu ouverts à cette présence étrangère et chrétienne. Cela ne nous a pourtant pas découragés et un grand groupe de jeunes de cette cité a pu participer, cet été, en se transportant en bus, aux mêmes activités organisées ailleurs.
Unis dans une même croyance
Mais un autre défi, beaucoup plus grand et plus important, nous est lancé : c’est la présence de nombreux migrants, demandeurs d’asile et réfugiés, tous d’origine subsaharienne et campant pratiquement à côté de nos portes. Comment répondre à cette situation en tant qu’hommes et femmes de l’Eglise ? Ils frappent à notre porte ! Ils nous mettent devant des situations nouvelles, non prévues et difficiles à canaliser. En quelque sorte ils dérangent notre ordre pré-établi ! Parfois ils sont dans la clandestinité, parfois demandeurs d’asile ou réfugiés, déclarés ou non au haut-commissariat pour les réfugiés (HCR). Par le fait même que les frontières européennes / nord africaines sont de plus en plus hermétiques, les gens restent de plus en plus bloqués sur place en espérant qu’un jour, ils pourraient enfin « sauter cet obstacle » et arriver « dans la terre promise ». Certains nous disent : « J’ai tellement souffert dans le passé, cela ne peut être que mieux dans l’avenir ! » Cette frontière nord africaine ressemble de plus en plus au mur de Berlin de jadis. Le paradoxe est aussi maintenant qu’Algériens et Subsahariens tentent de traverser ensemble ce terrible obstacle ! Souvent ils meurent en pleine mer, ou sont attrapés par les gardes-côtes et condamnés à d’importantes peines de prison. Une nouvelle loi met en garde et punit tous ceux et celles qui viennent en aide à ces personnes cherchant « un monde meilleur » ailleurs. En quelques mois, nous avons eu huit enterrements de Libériens, Camerounais ou Congolais dont un enfant de deux ans ! Beaucoup de gens tombent malades et vivent dans des habitations « en carton » vraiment très précaires. Le HIV, la tuberculose, le diabète et des maladies de peau y font rage. Dans les hôpitaux ils sont bien pris en charge après un parcours administratif de combattant et dans la crainte continuelle d’être arrêtés à tout moment. L’engagement des équipes médicales algériennes est souvent admirable et nous unit dans la croyance dans un même Dieu unique. Avec nos deux infirmières et nos deux agents de proximité, nous assurons le lien et le suivi avec l’équipe médicale algérienne d’une part et la famille du patient et le patient lui - même d’autre part!
Il arrive pour certains migrants malades qu’il leur reste peu d’espoir de guérir. Alors en étroite collaboration avec les malades, leurs familles et les médecins traitant, nous organisons un rapatriement par voie aérienne afin qu’ils puissent finir leurs jours auprès des leurs dans la dignité, sur le sol natal. Lors d’un de ces rapatriements, nous avons été particulièrement émus, lorsqu’ un groupe de jeunes médecins a pris en charge financièrement une grande partie des frais du voyage.
Nul ne doit périr à notre porte !
Ne voulant pas que les enfants soient victimes du choix de la migration fait par les parents, nous avons scolarisé trente cinq enfants l’an dernier dans des écoles privées agréées, car ils ne peuvent être inscrits dans le public n’étant pas arabophones. Nous atteindrons probablement cinquante enfants à scolariser cette rentrée scolaire. Cette scolarisation oblige les mamans à bien les habiller pour la journée, aux enfants de se socialiser avec des enfants algériens. Le grand bénéfice de cette action est que ces jeunes apprennent la langue du pays, à lire et à écrire et bénéficient d’un repas chaud à midi. Par contre nous restons très inquiets par rapport à l’avenir de ces enfants. Que vont –ils devenir dans cinq, dix ans ?
En conclusion, nous nous sentons de plus en plus poussés à une présence solidaire sur cette ligne fracture de la société humaine. Aucune solution ne se pointe à l’horizon. Nous avons aussi aidé cent vingt sept personnes volontaires pour rentrer chez elles par voie terrestre, l’an dernier, à travers un relais de correspondants mais la majorité choisit de rester, d’attendre leur chance. Nous pouvons seulement offrir une sorte « de station service » au bord de cette route d’immense détresse. Jamais nous ne pourrons laisser une personne périr devant notre porte !