Je m’appelle Paulette Liard, née à Lille en 1948, de nationalité française .Je suis veuve, mère de 4 enfants et grand-mère de 7 petits-enfants. Pendant dix ans, j’ai vécu avec ma famille dans des baraquements de fortune. On était entre gens pauvres et on vivait la solidarité au quotidien. Quand on a été relogés, des gens encore plus pauvres sont venus habiter dans ces baraquements. Quand ceux-ci ont été détruits, les plus pauvres ont encore été éloignés de la ville. Je travaille comme femme de ménage, je me lève à 3 heures 3O pour aller travailler à 4 heures. Je suis militante du Mouvement ATD Quart Monde et je viens ici pour témoigner des situations vécues par des familles proches de nous, mais aussi des gestes posés par ces personnes pour refuser la misère qu’elles vivent.
Nous voyons des familles privées de tout, au point de ne pas avoir de quoi acheter des chaussures pour leurs enfants, ni de lessive pour garder propres leurs vêtements.
Nous voyons des familles disloquées, des parents à qui on enlève les enfants parce qu’on les juge incapables de les élever. Une maman, présente parmi nous, espère, maintenant depuis dix ans, revoir ses enfants. Peut-on imaginer la douleur de toutes ces familles qui se sentent en permanence surveillées, jugées comme de mauvais parents, indignes de garder leurs enfants ?
Nous voyons des familles vivre dans des logements insalubres ou en caravanes sur des terrains provisoires, privées d’eau, d’électricité, de sanitaires, et sans cesse menacées d’être chassées par la police.
Nous voyons des adultes qui s’épuisent dans des démarches qui n’aboutissent pas, dans des attentes interminables au guichet, comme si le temps des pauvres n’avait pas d’importance. Toutes ces démarches humilient, parce qu’il faut toujours recommencer à raconter sa vie, toujours se justifier pour obtenir une aide.
Nous voyons aussi des jeunes sortir de l’école sans formation professionnelle, parfois sans savoir ni lire ni écrire, des jeunes sans avenir.
Mais, malgré ces conditions de vie, toutes ces humiliations, ce désespoir, nous voyons aussi tous les jours des personnes redresser la tête, des familles reprendre vie, des parents lutter.
Partout, ce sont les enfants qui donnent le courage de relever la tête. Dans toutes les familles, j’entends ces mêmes paroles : « Mes enfants, ce sont eux qui me donnent envie de vivre. Je ne veux pas que mes enfants soient malheureux plus tard, qu’ils vivent ce qu’on a vécu. »
Mais tous les gestes ne sont pas vus, ne sont pas reconnus. Tous les efforts que font les plus pauvres sont le plus souvent invisibles aux yeux du reste de la société. Et pourtant, c’est au quotidien que ces personnes se battent pour le respect de leurs droits.
C’est le cas de cette maman dont les enfants sont placés et qui ne cesse de prendre des initiatives, de trouver des occasions de manifester son amour pour ses deux filles : « Pendant six mois, je me suis battue, dit-elle, j’ai écrit à la juge pour seulement obtenir la photo de mes enfants. » Ce sont ces familles qui hébergent chez elles une autre famille sans logement, alors que leur situation est déjà difficile. A cause de ce geste, elles risquent l’expulsion de leur logement et de mettre ainsi en péril leur propre famille. Ce sont tous ceux qui partagent un repas ou le peu d’argent qui leur reste, ces personnes qui se mettent ensemble pour aider à payer l’enterrement du voisin ou d’un ami afin qu’il soit enterré dignement et non pas dans la fosse commune.
Les gestes de courage, ils sont aussi de se faire violence en permanence pour aller au-devant de l’autre, que ce soient les services sociaux ou l’école.
C’est encore ce père de famille qui sait à peine lire et écrire et qui a eu le courage de faire des stages de lecture et d’écriture afin de passer son permis de conduire pour pouvoir récupérer la ferraille. C’est le seul moyen qu’il a trouvé pour faire vivre dignement sa famille.
A cette liste, il faut ajouter toutes les démarches épuisantes pour la survie de la famille, et qui demandent de dépasser la honte.
Certains parmi nous ne veulent pas se rendre dans des lieux de distribution, c’est trop humiliant pour eux de faire cette démarche ; d’autres personnes à la rue refusent d’être secourues malgré le froid, car elles se sentent dégradées, ne se sentent pas en sécurité, et surtout ne se sentent pas considérées comme des êtres humains.
Ces gestes de résistance sont trop souvent niés, mal compris. Ils partent du cœur de la misère, ils sont posés en toute simplicité, sans bruit, sans publicité. Ils ne sont pas forcément palpables par ceux qui sont extérieurs à nos cités, à nos quartiers. Ils ne sont pas forcément approuvés.
Si tous les citoyens avaient conscience que les très pauvres sont leurs semblables, est-ce qu’ils continueraient à nous imposer toute cette assistance et ces conditions de vie ?
Pourtant nous avons quelque chose à dire, mais est-ce qu’on nous écoute, est-ce qu’on nous entend ? Les plus pauvres ont une pensée par rapport à ce qu’ils vivent et ils peuvent enrichir le reste de la société par leur expérience, leur volonté de vivre comme les autres, de vivre mieux et de donner le meilleur à leurs enfants.
En refusant de se laisser détruire, en refusant de sombrer, ils posent des questions sur le respect des droits humains pour tous : avoir le courage de tenir alors que la misère tue, que la misère consume l’être humain, l’use au quotidien, c’est entrer dans la lutte pour le respect des droits de l’homme. Dans ces situations, cette volonté de vivre - de tenir encore et encore - témoigne d’un courage exceptionnel et c’est là qu’il faut reconnaître les plus pauvres comme défenseurs des droits de l’homme.