Le poids des simples mots du quotidien

Agnès Granier

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Agnès Granier, « Le poids des simples mots du quotidien », Revue Quart Monde [En ligne], 156 | 1995/4, mis en ligne le 05 juin 1996, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2963

Une lectrice, engagée dans le Mouvement international ATD Quart Monde, a écrit à un journaliste qui avait publié un article sur les « perles » de lettres envoyées au service courrier de l’Elysée. Voici sa lettre :

La manière dont vous transmettez ces « perles » risque de faire sourire… et là est bien le problème pour des centaines de personnes qui, avec les simples mots de leur quotidien, expriment le désarroi et la misère et ne parviennent qu’à attirer sourire, parfois moquerie, souvent pitié.

Pourtant, à y regarder de près, nous pourrions découvrir que ces propos vont vraiment des perles, c’est-à-dire des trésors, trésors de vie qui portent tant d’espérance que cela puisse changer un jour, qu’ils osent dire très haut, jusqu’au Président de la République !

Ces propos sont des perles aussi et sous la plume d’un poète, on aurait parlé de génie.

Comment, en effet, mieux exprimer que le travail de nuit détruit la journée tout entière qu’en disant : « Je travaille de nuit, dix heures par jour » ?

Comment mieux exprimer qu’on est prêt à prendre n’importe quoi pour travailler qu’en parlant de sa recherche d’un emploi « même vacant », ces emplois encore vacants car rejetés par le plupart ?

Comment mieux expliquer le choc que représente l’arrivée des factures, qu’en parlant des « charges foudroyantes de l’électricité » ?

Comment enfin mieux dire la lassitude de celui qui cherche sans jamais trouver, qu’en parlant de « toutes ces portes que j’ouvre qui sont toujours fermées » ?

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