La loi du partage : un droit et un devoir

Dalil Boubakeur

Citer cet article

Référence électronique

Dalil Boubakeur, « La loi du partage : un droit et un devoir », Revue Quart Monde [En ligne], 149 | 1993/4, mis en ligne le 05 juin 1994, consulté le 04 décembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3354

Intervention faite à la conférence de presse, le 17 octobre 1993

Mesdames, Messieurs, au nom de Dieu Clément et Miséricordieux.

Pour nous, la première misère est d’abord celle du cœur et la première pauvreté, c’est la pauvreté dans la générosité vis-à-vis de son prochain, vis-à-vis de cet autre qui est le malheureux.

Dans l’Islam, la misère, nous connaissons. Le Quart Monde est aussi quelque part dans nos bidonvilles, dans ces banlieues de France où près de 3 millions de personnes souffrent de la faim, de la précarité, de la honte, du silence et de la misère. Nous n’avons plus le droit de nous taire.

Toutes nos religions sont engagées dans ce combat qu’est la lutte contre cette injustice première qui atteint l’homme dans sa dignité. Comme l’a dit Monsieur le Rabbin, c’est notre dignité à tous, riches ou pauvres, de rendre à l’homme ce qu’il a d’humainement respectable dans sa dignité, dans son accomplissement.

Un homme pourvu ne peut accepter le spectacle d’un homme démuni ou d’un être humain en perte de chances ou en perte d’espérance, ce qui est la plus grande des misères. Si des hommes se mobilisent pour lutter contre la misère humaine, cette mobilisation est une expression de leur foi en les valeurs humaines. Ces valeurs humaines intériorisent la spiritualité et la transforment en action pour permettre une meilleure chance d’atteindre les promesses de la vie humaine dans tous les domaines, que ce soit celui de la santé, de la connaissance, de l’accession à un certain mode de vie qui oit être répandu par tous, pour tous, disant « halte-là ! » à cette injustice qu’est la misère.

On peut aborder la philosophie, la théologie, les humanismes, toujours l’homme se révolte contre le fait que son semblable, quelque part lui-même, soit réduit à être chosifié. Mais l’égoïsme, le lucre, la société de consommation - cette impatience qui consomme - et tout ce matérialisme vont à l’encontre de la spiritualité, à l’encontre de l’humanisme. La parole religieuse, le rappel de Dieu est aussi un rappel de l’homme à soi-même. La religion  est née comme une révolution contre la misère, contre la perdition, contre la perte des vraies valeurs. La misère n’est pas un problème social de riches et de pauvres, elle vient d’un oubli des valeurs essentielles de la religion ; oubli du partage, de la fraternité.

Dans l’Islam, la loi du partage est également un droit et un devoir. C'est un droit pour le malheureux de demander au riche sa part, et c’est un devoir canonique que de donner aux pauvres au même titre que l’on donne à Dieu au moment de la prière.

Si les actions contre la misère sont dans l’Islam moins visibles ou démonstratives que dans d’autres traditions, c’est qu’elles se pratiquent dans le quotidien, à l’intérieur de la communauté.

Cette obligation d’agir s’inscrit donc dans la religion. Je dirais même que c’est l’honneur et la dignité des religions de s’associer pour lutter ensemble contre ce phénomène qui, jour après jour, décennie après décennie, gagne le monde.

Aujourd’hui, plus d’un milliard d’êtres humains sont dans la misère. En France, la misère gagne nos portes. Il n’est pas nécessaire d’aller dans les favelas du Nordeste où Dom Helder Camara nous a donné, le premier, l’exemple, en tant que religieux, de son engagement personnel, politique, humain dans la lutte, en ayant pour seule arme ce qu’il appelait lui-même « la puissance nucléaire de l’amour. » C’est cette charité qui est pour nous le premier exemple de l’amour vers l’autre, de gagner l’autre à nous et nous à l’autre et de gagner l’humanité à Dieu selon ses propres prescriptions : « Tout bien que vous donnerez, vous le trouverez auprès de Dieu, meilleur et plus grand en fait de récompense. Implorez le Pardon de Dieu, car Dieu est Pardonneur et Très miséricordieux. » ( Coran, S LXXIII, V20). Inch’Allah !

Dalil Boubakeur

Recteur de la Grande Mosquée de Paris

CC BY-NC-ND