La décharge dIkopa (Antananarivo, 2007) Cécile Douard, Le Terril, 1898.
« Visage masqué, crochet à la main, les chiffonniers de Steung Meanchey se précipitent dès qu’un camion poubelle ouvre sa benne.
‘Il faut faire vite, sinon les autres prennent tout’, explique Piep, qui ramasse des emballages sur cette gigantesque décharge située dans la banlieue de Phnom Penh, capitale du Cambodge. ‘Parfois, les camions renversent ceux qui ne font pas attention’, explique Hay, les pieds enfouis dans les déchets fumants. Elle vient de ramasser cinq kilos de plastique qu’elle revendra l’équivalent de vingt centimes d’euro. Depuis six mois, ses revenus baissent continuellement. Le fer et l’aluminium de récupération ont perdu la moitié de leur valeur. Les prix du papier ont été divisés par cinq. Ceux des sacs en plastique par dix. À cause de la crise, les cours des matières premières se sont effondrés, entraînant ceux des matériaux recyclés. Ces centaines de travailleurs pauvres parviennent difficilement à empocher deux euros quotidiennement. Pour compenser la baisse de leurs revenus, certains fouillent les détritus du lever au coucher du soleil, sept jours sur sept. D’autres doivent abandonner les parcelles de quatre mètres sur quatre qu’ils louaient à proximité de la décharge et retourner squatter sur les ordures. ‘C’est un retour en arrière de quatre à cinq ans’, regrette Christian des Pallières, qui dirige « Pour un sourire d’enfant », une organisation qui vient en aide à ces chiffonniers. ‘J’ai vu des gens faire cuire des arêtes pour faire un bouillon. Ils ne peuvent plus s’acheter un morceau de poisson’.
Jusqu’aux prostituées qui souffrent également de la crise. Beaucoup constatent que les prix et le nombre des passes ont diminué depuis six mois. »1
Toute la filière autour de la décharge est touchée
« Sou Com Sann fait la moue. Coiffure soignée, jeans à la mode, et tee-shirt de l’équipe de foot de Manchester United, ce jeune homme de dix-neuf ans a dû quitter précipitamment son apprentissage chez son oncle, transporteur de bois, pour venir aider sa mère, détaillante d’objets récupérés, à deux pas de la décharge de Stoeung Meanchey, à Phnom Penh. ‘Ça ne leur plaît pas trop, reconnait So Channy, désignant Sou Com Sann et son frère, qui se promènent entre les sacs de bouteilles en plastique, écouteurs vissés aux oreilles. Mais je n’ai pas le choix : depuis le début de la crise, j’ai perdu neuf mille dollars, alors mes huit ouvriers trieurs sont rentrés dans leur province et j’ai rappelé toute la famille pour donner un coup de main. Jusqu’à la fête de Pchum Ben, j’ai acheté des objets récupérés au prix fort, et lorsque j’ai voulu les revendre, j’ai appris qu’ils avaient perdu la moitié de leur valeur.’
Depuis un mois, ceux qui travaillent à la décharge font grise mine, du petit chiffonnier au grossiste. ‘Au début, je pensais que les prix avaient baissé à cause de la crise de Preah Vihear2, reprend So Channy. Mais quand la crise est passée, les prix ont continué à baisser. Les Vietnamiens, les Chinois et les Thaïlandais continuent à acheter, mais à un tarif très bas, et ils font des difficultés lorsqu’ils doivent payer. J’ai dû expliquer aux chiffonniers que désormais, je ne pouvais leur payer une canette en aluminium que cinquante riels au lieu de cent... »3