Le Mouvement ATD Quart Monde aux Etats Unis est en rapport avec des individus et des groupes qui sont liés avec les pauvres. Ce sont des latinos, des amérindiens, des blancs et des noirs. Notre équipe a récemment rencontré certaines de ces personnes dans les Etats de Dakota du sud, de Washington, Oregon, Californie, Nevada, Nouveau Mexique, Alabama, Floride, Louisiane et Géorgie. Parmi elles se trouvent des enseignants, des personnes impliquées dans diverses activités ( soupes populaires, banques alimentaires, foyers d’accueil pour sans-logis) ou travaillant avec des réfugiés ou avec des jeunes dont certains ne vivent plus avec leurs parents ; des dirigeants de programmes d’action communautaire et d’organisations d’aide aux travailleurs immigrés, des personnes menant des recherches et des expériences sur des questions se rapportant au racisme ou à la pauvreté ; des religieux hommes et femmes vivant en communauté avec les pauvres ; des étudiants, du personnel médical, des personnes travaillant pour l’administration d’Etat, au niveau de l’assistance sociale ou du droit ou pour des programmes culturels et récréatifs pour enfants.
Le besoin d’une rencontre se fait souvent sentir
Un certain nombre s’engagèrent dans un service d’urgence en réponse à une situation précise, de sans-abri ou de famine par exemple. Dans beaucoup de cas, une action en amène une autre si bien que ces personnes se retrouvent à la tête d’un centre multiservices luttant à la fois contre le chômage, le manque de sécurité sociale, de soins médicaux et d’éducation, en plus des activités originelles.
En Floride, Rick et sa femme avaient transformé leur restaurant en une soupe populaire. Mais très vite ils comprirent que les personnes qui venaient manger ne savaient pas où dormir après le dîner. Alors, grâce à l’aide d’amis, ils obtinrent de plus amples facilités pour offrir des lits aux familles mais réalisèrent que s’ils ne les aidaient pas à trouver un travail, ces gens ne seraient jamais capables de se nourrir et de se loger eux-mêmes. Mais, avec si peu de formation, ils ne pouvaient trouver qu’un travail physiquement pénible. Or, après une vie éprouvante, à manger peu et irrégulièrement, ils n’en étaient plus capables. Ainsi, peu à peu Rick et sa femme aidés des volontaires tentèrent de répondre aux divers besoins fondamentaux des pauvres de leur ville.
Le pasteur d’une église en Géorgie, dont l’histoire est semblable, disait à propos de leur travail : «Notre action ne consiste qu’à nous précipiter pour éteindre des feux. » Elle ressentait le besoin de réfléchir avec d’autres car elle craignait que cette approche au coup par coup n’en finisse jamais et elle commençait à s’épuiser.
Des personnes occupant des fonctions administratives expriment le même souhait en termes de politique à entreprendre. La préférence est nettement pour la reconnaissance et l’aide aux familles en grande difficulté avant qu’il ne soit trop tard. Toutefois les administrateurs sont aussi fortement sollicités pour le déblocage d’argent et d’hommes qualifiés en réponse à des situations d’urgence. Ils rêvent à des politiques cohérentes à long terme visant à sortir les familles de la pauvreté. Ils veulent aussi partager cette vision des choses avec ceux qui travaillent à la base, les enseignants, instituteurs, les assistantes sociales et autres participants.
Karen, est une assistante sociale d’Alabama en rapport avec des personnes dont les enfants sont placés dans des familles d’accueil. Elle regrette que le travail administratif soit de plus en plus long et compliqué et l’empêche de rencontrer les enfants et les familles qu’elle est là pour servir. « J’ai de la chance si je peux les voir une fois tous les deux mois… » Questionnée plus encore, l’assistante sociale dit en soupirant : « Oui, notre rôle est d’aider les familles à rester unies. C’est pour cela que je me suis engagée dans l’assistance sociale au départ. »
Margarita, une Mexicaine d’Amérique issue d’une famille de paysans, est en train de constituer des projets pour la promotion de l’éducation de ses proches et le développement de leur aptitude à se défendre contre les pratiques injustes du travail. Elle est dans son centre à 7 heures du matin et s’endort parfois à son bureau tard le soir. « Quand enfin, j’ai convaincu une agence de mécénat de venir voir ce que nous faisons, elle nous dit que nous sommes trop ambitieux. Comment peuvent-ils nous dire cela ? »
Non seulement des besoins mais aussi des capacités et des aspirations
Des personnes et des petites organisations cherchent comment obtenir une aide financière. Celui qui, par exemple, apprend la menuiserie à des ouvriers non qualifiés peut se trouver dans une impasse si tous ceux qui attribuent les fonds se tournent vers la lutte contre la criminalité, l’alcool et l’abus de drogue.
« Comment faire pour que les autorités voient quelles sont les forces et les espoirs des familles les plus pauvres et les aident dans leurs initiatives pour vaincre la pauvreté ? » Sœur Ruth exprima ceci à un centre de South Dakota dans une réserve indienne où les familles ont très peu de revenu. Les familles essaient de collecter de l’argent en vendant des objets faits à la main.
Dans une autre région, des hommes sans emploi reconnu, travaillent pour nourrir leur famille. Ils cultivent des légumes ou acceptent des petits boulots même si c’est loin, peu rémunéré et ne dure qu’un après-midi ou quelques jours.
Martin et Lisa qui enseignent le catéchisme aux enfants furent émerveillés de découvrir que des enfants pauvres s’intéressaient aux autres et les défendaient. Ce couple décida de changer totalement son approche de l’enseignement.
L’engagement auquel nous sommes conduits
Ceux qui sont engagés avec des pauvres se demandent aussi comment vivre le mieux possible leur engagement auprès d’eux.
Steven, un défenseur des sans-abri et des chômeurs au Nevada expliquait que certaines personnes sont tellement écrasées par la vie qu’il est presque impossible de les impliquer dans des projets d’organisation communautaire et dans des actions pour obtenir des logements. Pendant des mois ils avaient préparé une manifestation pour confronter des élus de la ville avec la crise du logement. Le jour de la manifestation certains sans-abri quittèrent la ville sans le prévenir. Il réalisa plus tard qu’ils avaient trop peur et qu’ils n’étaient pas prêts à réclamer leurs droits. Steven se demande s’il ne serait pas préférable d’essayer de vivre en communauté avec eux, plutôt que de les forcer à s’engager dans des actions qui les mettent mal à l’aise.
Maria, en Oregon, est mère de onze enfants. Elle a parlé de ses efforts pour faire connaître la situation de travailleurs immigrés aux élus par les médias. Issue d’une famille d’immigrés, Maria amena des journalistes à rencontrer ces familles qui habitent dans des camps. Elle savait très bien à quel point c’était douloureux pour eux de dévoiler sans cesse leur vie an public quand aucune amélioration ne se faisait sentir par la suite. Depuis, Maria a renoncé à cette stratégie. Maintenant elle passe la majorité de son temps à former ceux qui accueillent les gens dans les services sociaux. Maria veut qu’ils comprennent mieux la vie des travailleurs immigrés et de leur famille.
Un certain nombre de personnes sont très souvent seules. Janet, en Géorgie est avocate pour les pauvres, elle est frustrée de voir sans cesse les mêmes personnes revenir pour demander de l’aide. « Il semblerait que rien n’est jamais vraiment résolu pour de bon. Je ne sais jamais si ce que je fais a véritablement un intérêt. »
Certains se trouvent dans des droits isolés à la campagne. Ils demandent comment ils pourraient trouver des personnes responsables, et respectueuses pour travailler avec eux sur le long terme. Si non ils ne voient pas comment leur bonne santé et leur enthousiasme pourraient durer.
Angela travaille comme infirmière dans un hôpital de 30 miles de la réserve indienne dans laquelle elle demeure au Nouveau Mexique. Quand elle travaille la nuit, Angela ne dort que quelques heures avant d’aller au centre qu’elle a ouvert avec des amis indiens. Des hommes et des femmes viennent au centre pour faire de l’artisanat indien traditionnel et autres objets à vendre. Des femmes et leurs nouveaux-nés viennent régulièrement pour les soins pré et post nataux.
C’est épuisant de tenir un tel emploi du temps. A la question : Qu’est-ce qui vous motive ? Angela répond : « Si nous ne restons pas et que nous ne montrons pas aux pauvres que nous croyons en eux, comment peuvent-ils avoir confiance en eux ? En étant présents, nous pouvons leur prouver qu’ils valent le coup, qu’ils servent à quelque chose. »
Tom, directeur d’un centre pour les jeunes en Géorgie nous dit que quand il emploie du personnel, il recherche cet engagement personnel, il recherche cet engagement personnel qui va au-delà des qualifications professionnelles. Ils doivent aimer les enfants. C’est ce qui fait toute la différence.
Informer les non-pauvres, leur proposer un idéal et un engagement
Lisa, une jeune femme en Californie nous rappelle que les jeunes veulent travailler pour changer les choses car c’est cela être jeune. Mais parmi ses professeurs à l’université ou les amis de ses parents, très peu d’adultes l’encouragent dans cette direction.
David est impatient de finir ses études et de « faire quelque chose parce qu’il y a tellement d’injustice dans le monde. »
La pauvreté familiale
Dans les soupes populaires et dans les foyers d’accueil pour les sans-abri, de plus en plus de familles sont présentes.
La cuisinière d’une soupe populaire nous a dit : « Nous nourrissons en moyenne 600 personnes par jour. Avant, les personnes qui venaient ici étaient plus âgées et en majorité des hommes. Maintenant nous voyons des plus jeunes et des familles… J’essaie d’imaginer ce qui se passe dans la tête des enfants. Ils gardent toujours espoir, je pense. Vous savez ils viennent manger ici et après ils doivent retourner dans le froid. Ils croient encore dans la vie malgré leur misère. »
Dans certaines régions, les familles habitent dans leur voiture. De temps en temps ils frappent à la porte d’un abri d’urgence pour prendre une douche et passer une nuit dans un vrai lit. Les enfants dont les familles ne vivent pas dans un logement fixe posent des problèmes pour les écoles à cause de l’irrégularité de leur présence.
Dans certaines villes nous avons appris l’existence d’écoles pour les enfants de famille sans-abri.
Joyce, le directeur d’une maison pour les jeunes filles de treize à vingt ans dit que celles qui ont toujours leur famille, quelle que soit l’état de la situation familiale, gardent espoir. Par contre, il est très difficile d’aider celles qui n’ont plus de famille à dépasser le stade de survie au jour le jour pour imaginer et bâtir un avenir.
Atteindre les plus démunis
D’autres se sont volontairement libérés des structures en place afin d’aller rechercher les plus pauvres d’entre les pauvres.
Sœur Julia, dans l’Etat de Washington, a été très réservée sur c qu’elle faisait : « Je n’ai pas vraiment un programme. Je suis juste présente dans la rue. J’essaie d’y rencontrer des gens très pauvres et d’apprendre à les connaître. »
Bernie, infirmière dans les montagnes, fait des consultations médicales dans une camionnette qu’elle déplace régulièrement. Elle nous dit : « Les populations changent. Tu ne peux pas toujours aller au même endroit. Parfois je prends ma voiture pour aller dans les coins encore plus isolés où vivent les gens encore plus pauvres. »
Conclusions
Dans un pays qui est constamment en train d’expérimenter des solutions au problème de la pauvreté, les pauvres doivent savoir qu’ils ne sont pas tout seuls à essayer de la combattre. Il est vital de connaître ce qui est entrepris et de rencontrer les gens qui sont en lien avec eux. Cependant, en tentant de rencontrer et de connaître de nombreuses personnes, nous cherchons spécialement celles qui sont personnellement engagées avec les enfants et les familles qui endurent les vies les plus difficiles. Comme leurs efforts, elles sont les plus fragiles et les moins connues.
Les renforcer, les faire apparaître au grand jour, c’était cela le but que visait le père Joseph quand il a créé le Forum permanent sur l’extrême pauvreté dans le monde.
Il savait déjà que des hommes, femmes et enfants ne tournent pas le dos quand ils en rencontrent d’autres qui ont faim, et qui sont comme paralysés par l’ignorance. De différentes manières ils disent : « Ce n’est pas juste, cela ne devait pas exister, cela ne peut pas continuer. » Actions dispersées, oui. Gestes pas réfléchis dans une stratégie globale à long terme, c’est souvent le cas. Ce sont tout de même des tentatives de faire barrage, de faire en sorte que la misère ne gagne pas du terrain.
Quel nom donne-t-on à l’acte d’un enfant qui se met volontairement entre un autre enfant et l’humiliation ou le ridicule qui est souvent le lot des enfants pauvres ? A un homme qui marche des kilomètres pour trois heures de travail à décharger un camion, demandez-lui ce qu’il fait. Demandez à une infirmière qui soigne une femme dans une case en ruines ce qu’elle fait. Très probablement ils ne vous diront pas qu’ils posent des actes de refus de la misère. Mais c’est bien cela qu’ils font. Ils ont le droit et le besoin de le savoir. Ils ont le droit et le besoin de savoir qu’ils font partie de cette chaîne humaine qui dit oui à l’homme et non à la misère.
Ici aux Etats-Unis, nous voulons continuer ce dialogue et avancer dans le rassemblement des ressources humaines qui sont les forces essentielles de lutte contre la misère.