Domicile : des relations quelque part

Pascale Lefeuvre

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Pascale Lefeuvre, « Domicile : des relations quelque part », Revue Quart Monde [En ligne], 143 | 1992/2, mis en ligne le 01 décembre 1992, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3607

Ordinairement chacun est inscrit par un domicile sur un territoire donné. Cette domiciliation lui donne accès à des liens sociaux et à des droits. Quelles sont les conséquences pour les familles et personnes les plus pauvres, de la précarité ou de l'absence de domiciliation ?

Le concept de domicile, défini par le droit civil, est le lieu du principal établissement de la personne. Il comprend un élément matériel qui est en principe l'habitation réelle de la personne et un élément subjectif qui est la volonté de la personne de s'établir en ce lieu. Ces deux éléments sont nécessaires et doivent être prouvés en même temps pour faire reconnaître le domicile de la personne. Traditionnellement chaque personne doit avoir un domicile fixe et unique qui sert à l'identifier. Ce concept, précisé par le Code Napoléon, est en vigueur aussi en Belgique et a en partie influencé le droit suisse. Petit à petit la pratique et le droit se sont référés à des notions plus simples, comme par exemple la résidence. Elle ne comporte que l'élément matériel et ignore volontairement toute intention. Les différentes branches du droit, le droit social, fiscal, etc., ont aussi élaboré une notion de rattachement de la personne, plus ou moins précise.

Pour la grande majorité des citoyens, justifier d'un rattachement à un lieu pour exercer leurs droits, fournir le justificatif demandé, ne pose aucun problème ; ils le font ans même y penser.

Mais pour les plus pauvres, être établi en un lieu et pouvoir le justifier constitue souvent un véritable nœud qui les empêche d'exercer la plupart de leurs droits dont, paradoxalement, celui de demander un logement décent et donc d'obtenir un domicile reconnu. Ceci va à l'encontre, de l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat « ainsi que de l'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence. » Mais que signifie un droit si on ne peut l'exercer ?

Finalement, l'expérience de vie des personnes en grande pauvreté nous amène à réfléchir sur la notion définie par le droit et va nous conduire à l'élargir en rapport avec la citoyenneté et l'humanité reconnues à la personne par ses concitoyens.

Des obstacles à l'exercice des droits

Pour exercer leurs droits, les pauvres se heurtent à quantité d'obstacles liés au domicile. On peut les classer en quatre catégories.

La première catégorie découle de l'impossibilité d'indiquer une adresse. Soit les personnes sont sans domicile fixe, soit elles habitent dans une cité tellement dégradée que les boîtes à lettres sont cassées, et dans l'un ou l'autre cas, ne peuvent recevoir de courrier. A l'Université populaire Quart Monde de la région parisienne, une dame expliquait qu'elle habitait dans une caravane au bout d'un chemin malfamé et que le facteur n'osait pas s'y rendre. Elle avait dû déclarer une adresse chez quelqu'un d'autre dans la ville.

Donner une adresse est nécessaire pour bénéficier de prestations très concrètes, par exemple pour recevoir des allocations familiales, des remboursements de la sécurité sociale, des indemnités de chômage, s'inscrire à l'ANPE, rechercher du travail. Ce sont des droits très simples, qui sont a priori ouverts à tous mais qui, en fait, demeurent fermés à ceux qui ne peuvent indiquer une adresse. Par ailleurs, pour les allocations familiales, la sécurité sociale, le chômage, l'indication du domicile permet de définir quelle est la caisse compétente (il s'agit ici de prestations d'Etat, on parlera plus loin des prestations à caractère départemental ou communal.)

La deuxième catégorie d'obstacles résulte des conditions d'habitation. Là on se rend compte avec beaucoup d'acuité qu'effectivement l'habitation d'une personne sert à l'identifier, on pourrait dire à la cataloguer. On arrive ici à un autre stade, beaucoup plus subtil.

Des personnes se voient en effet refuser des emplois parce que leur quartier a mauvaise réputation, parce que qu'elles sont sans domicile fixe, ou qu'elles habitent à l'hôtel ou dans un centre d'hébergement. Deux exemples illustrent précisément cela :

Un homme explique qu'il se heurte depuis plusieurs années à la méfiance des employeurs, en disant qu'il habite dans un foyer.

Un témoin rapporte que dans les agences d'intérim d'une petite ville, les personnes qui donnaient une adresse dans un hôtel meublé étaient très mal vues et avaient moins de chances d'obtenir un travail.

Il est vrai que l'employeur peut avoir des doutes et se dire qu'une personne vivant dans des conditions précaires ne pourra pas travailler correctement, avoir une hygiène minimum, se reposer suffisamment. Les personnes qui vivent dans de telles conditions peuvent avoir du mal à remplir leurs obligations de travailleurs, il faut bien le reconnaître.

Le domicile apparaît donc comme un élément important de la réputation d'une personne. Il est le lieu à partir duquel elle peut être reconnue et respectée dans son humanité et dans sa dignité.

Il est évident que, sans connaître les personnes, nous en avons déjà une idée et portons sur elles un jugement différent selon qu'elles habitent un appartement d'un quartier chic, un HLM en ville ou une caravane sur un terrain vague. Dans ce dernier cas, comment sortir de l'enchaînement des précarités ? Car ces personnes en habitat précaire veulent un travail, on leur dit : « oui, mais vous habitez un endroit qui ne vous permet pas de travailler. » Or elles ne peuvent pas avoir un meilleur endroit où habiter faute d'un salaire suffisant...

Troisième catégorie d'obstacle, les contraintes financières pesant sur les collectivités locales. On voit des communes refuser à des personnes l'accès à des droits essentiels qui leur permettraient de recouvrer une sécurité, parce que l'octroi de ces droits pèse sur le budget de la commune, en tout ou en partie.

Premier exemple, l'inscription d'une demande de logement. Il arrive que des mairies refusent d'inscrire les demandes de logement présentées par des familles hébergées, à l'hôtel, en caravane ou en sous-location au motif qu'elles ne font pas partie de la commune. En dehors du fait qu'elles évitent ainsi d'augmenter le nombre de demandeurs de logement et peut-être leurs obligations en la matière, les communes se mettent aussi à l'abri de personnes qui, en résidant sur leur territoire, risqueraient de leur apporter des charges dans d'autres domaines.

Par exemple le relogement d'une famille, accepté par une société d'HLM, n'a pu finalement avoir lieu : le maire de la ville concernée avait opposé son veto, ne voulant pas sur sa commune de « futurs cas sociaux. »

De même, il arrive que les inscriptions à l'école soient refusées parce que les parents ayant un habitat précaire ne sont pas considérés comme domiciliés dans la commune (qui a la charge financière des écoles primaires et maternelles.) Outre le préjudice inestimable porté aux enfants, il résulte généralement de cette situation une interruption des allocations familiales.

Troisième exemple, des personnes et des familles se voient aussi refuser l'établissement d'un dossier d'aide sociale. Dans ce domaine, existe en France le « domicile de secours » qui définit la collectivité à laquelle incombe la charge financière : il s'agit soit du département où l'intéressé réside depuis plus de trois mois, soit de celui où il résidait au moment de sa demande, soit à défaut, de l'Etat pour les sans domicile fixe. Cette organisation sert parfois de prétexte aux collectivités pour se renvoyer de l'une à l'autre les demandeurs.

Quand on regarde la législation de près, dans ces trois domaines les refus sont illégaux. Les communes doivent ouvrir les dossiers quels qu'ils soient en ce qui concerne l'école et l'aide sociale. Quant à la domiciliation offerte aux ayant droits du RMI par les CCAS, les services sociaux ou les associations, elle se sert qu'au bénéfice des prestations familiales et sociales. Elle ne constitue pas un domicile légal.

Ici devient évidente l'interdépendance des droits. La perte de l'un d'eux, en l'occurrence d'un domicile reconnu comme tel, met en péril l'exercice des autres droits. Si le domicile est un élément d'identification de la personne, il est aussi le lieu à partir duquel la personne peut exercer ses droits.

Quatrième catégorie d'obstacles : les difficultés de preuve. Les plus démunis qui sont sans abri ou hébergés par d'autres, ou en caravane, etc., ne peuvent apporter des preuves de leur domiciliation (en fournissant par exemple une quittance d'assurance, d'électricité ou de loyer ou un avis d'imposition...) Nous avons relevé des exemples dans c e sens à propos du permis d'inhumer, de l'inscription sur les listes électorales, et de la demande de carte nationale d'identité.

On peut citer l'exemple du refus opposé par une mairie de l'autorisation d'inhumer le corps d'une femme ayant résidé avec son mari sur le territoire de la commune depuis six années dans une caravane hors d'état de rouler, au motif que le ménage ne payait pas la taxe d'habitation et n'émargeait pas non plus au bureau d'aide sociale.

Actuellement dans le Val-d'Oise, des jeunes dont les parents vivent en caravane mais sont sédentarisés, se voient refuser une carte nationale d'identité tant qu'ils ne sont pas en possession d'un carnet de circulation. Ceci implique leur soumission au régime spécifique des nomades et sans domicile fixe qui ne leur donne que des droits réduits.

Il est vrai que la carte d'identité n'est pas obligatoire pour circuler sur le territoire en France (elle l'est en Suisse et en Belgique.) Cependant pour toute personne, la possession d'une carte d'identité revêt une importance quotidienne : pour toucher un mandat, retirer une lettre recommandée, ouvrir un compte bancaire ou postal, s'inscrire à un stage, se présenter à un emploi etc. Or, des personnes sans domicile fixe peuvent être privées, faute d'avoir pu apporter la preuve de leur domicile ou résidence.

Pour pouvoir s'inscrire sur une liste électorale, il faut apporter la preuve, soit de son domicile dans la commune, ou de sa résidence depuis six mois au moins, soit figurer depuis cinq ans au rôle des contributions directes communales ; ces éléments de preuve sont difficiles à apporter par ceux qui sont très démunis en matière d'habitat.

Mais ces refus de permis d'inhumer, de cartes d'électeur ou d'identité, dissimulent souvent en fait des refus de citoyenneté. Notons qu'ils ne s'adressent pas à des personnes ou familles d'origine étrangère, mais françaises depuis de nombreuses générations. Sans doute sont-elles, aussi, pauvres depuis de nombreuses générations...

Le concept de domicile s'étend encore ici au lieu nécessaire à partir duquel la personne peut obtenir la reconnaissance de sa citoyenneté, et en exercer les droits.

On perd déjà le droit de soi-même

Revenant à la définition première du droit (le domicile étant le lieu où la personne a le vouloir de s'installer et en même temps le lieu de son habitation réelle), la théorie juridique de la preuve du domicile fonde-t-elle tous ces refus ?

Dans la jurisprudence, on ne trouve rien qui concerne le domicile des pauvres, et l'on peut noter en passant le peu de place qu'ils occupent dans le droit, en l'occurrence faute de pouvoir utiliser les recours existants. Mais nous pouvons raisonner par analogie à partir d'un arrêt concernant une personne disposant de moyens matériels.

Il s'agit d'un Américain qui, désirant se fixer à Paris y avait acheté un appartement dont les travaux n'étaient pas terminés. Il vivait à l'hôtel en attendant et y est décédé. L'hôtel a néanmoins été reconnu comme domicile, en dépit de la précarité d'installation. La cour a en effet considéré que l'intéressé n'était pas installé dans de meilleures conditions par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, mais qu'il avait l'intention de vivre à Paris.

En droit il est donc possible de reconnaître comme domicile un habitat très précaire, à des personnes qui désirent se fixer sur une commune mais n'ont pas les moyens présents d'avoir une habitation plus décente. Partant de là, ne seraient-elles donc pas en droit de déposer une demande de logement ?

Pourtant il leur est opposé au contraire, « l'absence de prescription acquisitive du domicile. » Même si leur délai de présence est suffisant, parce qu'elles ne peuvent apporter les preuves requises du point de départ de ce délai, des personnes ou des familles peuvent en effet rester plusieurs années sur le territoire d'une commune, dans des conditions d'habitat très précaires, sans que la collectivité locale ne se sente redevable d'aucune obligation à leur égard.

Dans le cadre d'une réunion d'Université populaire du Quart Monde plus spécialement consacrée aux droits dont on peut être privé quand on est sans adresse ni logement, un homme, qui avait vécu plusieurs mois dans sa voiture avec sa femme et son fils, disait : « Question de droits, quand on est comme ça, à droite, à gauche, les droits on n'en a pas beaucoup. On perd déjà le droit de soi-même : c'est tout juste si les hommes nous respectent. Quand on n'a pas de domicile, on n'a rien, on n'est vraiment rien, on est des chiens. »

La vérité en ce qui concerne le domicile ne peut être mieux exprimée. Car, lorsque des personnes sont en situation de grande pauvreté et sans domicile, elles ne peuvent plus se fixer au lieu de leur choix et y gagner à la fois des sécurités et la reconnaissance et le respect de leurs concitoyens, ni se déplacer pour rompre la dépendance et tenter ailleurs leur chance. Elles ne semblent plus considérées comme des êtres humains à part entière, mais comme des indésirables dont il vaut mieux ne pas s'embarrasser alors qu'il les faut assister, contrôler, voire réprimer.

Un carton pour domicile

Aux Etats-Unis, une boîte en carton est implicitement reconnue comme domicile. En effet, un clochard du Connecticut, condamné pour meurtre, a obtenu la révision de son procès parce que la police avait fouillé la boîte en carton dans laquelle il dormait et son sac, sans mandat de perquisition.

De Volksrant, Pays-Bas, 21-10-1990

Du bannissement médiéval à l'exclusion de la citoyenneté européenne

Cette attitude de la société vis-à-vis des pauvres n'est pas nouvelle.

Dès le moyen âge, nous trouvons dans l'histoire de la France, le bannissement des pauvres. L'ordonnance de Jean le Bon (1348), prescrit par exemple : « Si des hommes et des femmes ne peuvent gagner leur vie, si dans les trois jours ils sont trouvés oisifs ils doivent quitter la ville. » En d'autres villes, seuls les pauvres qui n'étaient pas du lieu étaient bannis. Bien que les chrétiens, à titre individuel, se reconnaissent des devoirs envers les pauvres, cette tendance sera dominante durant les XIVème et XVème siècles.

Avec le courant humaniste du XVIème siècle, l'assistance prit la forme d'institutions où la répression renforcée fut alliée à des essais d'intégration par le travail. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, on relève une évolution vers l'enfermement, avec notamment la création des dépôts de mendicité et la fixation au lieu d'origine pour avoir droit à l'assistance.

La Révolution française, avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les tentatives comme celle de Dufourny de Villiers de représenter le « quatrième ordre », une réflexion globale sur la mendicité (La Rochefoucauld-Liancourt), ouvrent les perspectives d'une citoyenneté pour les pauvres qui se sont poursuivies jusqu'à nos jours.

Mais en cette fin de XXème siècle, malgré le souci évident de notre société de secourir les plus faibles et de les intégrer, les personnes en habitat précaire ou sans habitat du tout restent considérées comme suspectes, voire dangereuses et le souci de protéger les autres citoyens l'emporte encore.

Le vagabondage, par exemple, défini comme le fait de n'avoir pas de domicile certain, ni de moyens de subsistance, ni d'exercer régulièrement un métier, ce qui est le cas à l'heure actuelle pour de nombreuses personnes et familles tant en France que des les autres pays de la CEE, est encore un délit, en Belgique1 comme en France. L'internement pour vagabondage est même reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme...

Qu'en sera-t-il demain ? Déjà les plus démunis, ceux qui n'ont pas d'assurance maladie, qui vivent de l'assistance sociale de leur pays (RMI pour la France, par exemple) ne bénéficient pas du droit de séjour, et par là de la libre circulation, dans les Etats de la CEE. En clair, les pauvres sont déjà exclus de la citoyenneté européenne.2

Enfin, l'étude de la liberté d'établissement en Suisse met en lumière à quel point la liberté d'aller et venir est, pour les pauvres, liée à l'assistance. En effet, les personnes et familles qui dépendent de l'assistance apparaissent comme constamment menacées par deux risques portant l'un et l'autre atteinte à leur liberté : celui d'être chassées d'un lieu à un autre, en dépit d'interdictions légales en ce sens, et celui d'être soumises à un étroit contrôle ayant notamment pour effet de les maintenir en un même lieu. Cette situation résume bien les deux attitudes extrêmes, le rejet ou le contrôle, auxquelles sont confrontés les plus pauvres.

Au terme de cette analyse, on aboutit à un concept de domicile que l'on peut définir comme l'ensemble des relations d'une personne ou d'une famille avec autrui et un lieu donné.

Les Homeless privés de vote en Grande Bretagne

Dans le pays qui a inventé la démocratie moderne, plusieurs milliers de personnes n'ont pu voter, pour cause de pauvreté. Depuis trois ans, un million de personnes ont en effet disparu des registres électoraux, dont un grand nombre parce qu'ils n'ont pas de domicile fixe. « Toute une partie de la population se retrouve privée du droit de vote (...) et dans certaines circonscriptions marginales, où la majorité est très serrée, ces votes pourraient faire la différence » commente une responsable de l'association CHAR, qui a lancé une charte revendiquant le droit de vote pour les sans-abri.

Un certain nombre de personnes ont également décidé de se radier volontairement des listes officielles pour ne pas payer le Polltax, l'impôt local très impopulaire qui sera aboli l'an prochain. Craignant que les registres électoraux ne servent à les débusquer, ils ont préféré prendre le maquis.

AFP 10-04-1992.

Le déni de l'ensemble des droits fondamentaux

En ce sens, le refus de reconnaître un domicile à une personne, du fait de ses conditions de vie en grande pauvreté, révèle une violation de l'ensemble de ses droits fondamentaux et atteste de l'irrespect de sa dignité humaine.

Quelles perspectives concrètes de défense des droits des plus pauvres ouvre ce nouveau concept de domicile ? S'appuyant sur les textes réprimant la discrimination, sociale notamment, on peut défendre que le domicile des plus pauvres doit être reconnu, si ténues qu'en soient les manifestations. Ainsi la non-reconnaissance du domicile des plus pauvres ne devrait jamais être un obstacle à l'exercice de leurs droits et responsabilités.

Nous rejoignons ici l'essence même des droits de l'homme, envisagés dans leur indivisibilité.

En effet, l'étude de la question du domicile des plus pauvres met en évidence l'interdépendance des droits de l'homme : droits économiques sociaux et culturels et droits civils et politiques (liberté d'aller et venir mais aussi respect de la vie privée - à travers l'inviolabilité du domicile - et de la vie de famille - à travers la protection du logement de la famille.)

Bien plus, elle met en évidence l'indivisibilité des droits de l'homme à leur racine : le respect de la dignité de l'homme, préalablement à la reconnaissance sans condition de ses droits fondamentaux.

Droits de l'homme, droits par nature, sans condition, et pourtant l'expérience de vie des plus pauvres nous met au pied du mur. « Comme si, écrivait le père Joseph Wresinski dans son rapport au Conseil économique et social, comme si, au-delà d'un certain état d'inégalité et de pauvreté, les hommes paraissaient tellement inférieurs, que nous ne serions plus certains qu'ils aient des droits égaux. Ou alors que les efforts à consentir pour leur faire récupérer leurs droits paraîtraient tellement coûteux, qu'au nom du bien du plus grand nombre, nous admettrions l'injustice et l'exclusion pour la minorité des plus démunis. »

Ainsi, nous sommes en face d'un défi essentiel : nier que l'homme puisse être un sous-homme, affirmer qu'il ne peut être enfermé dans des statuts spécifiques constitués de droits au rabais.

Et devant ce défi, nous sommes tous responsables. Le respect des droits de l'homme n'incombe pas seulement à l'Etat. Il incombe aussi au bailleur, à l'employeur... Il incombe surtout aux simples citoyens dont le refus de la misère, s'il devient un fort courant d'opinion, ne permettra plus de priver les plus pauvres de la citoyenneté.

1 A ceci près qu'il s'agit , en Belgique, d'un internement administratif, mais son caractère répressif est très marqué

2 Dans ce dossier, l'article de Catherine Haguenau précise cette question : « Quelle liberté de circuler en Europe ? »

1 A ceci près qu'il s'agit , en Belgique, d'un internement administratif, mais son caractère répressif est très marqué

2 Dans ce dossier, l'article de Catherine Haguenau précise cette question : « Quelle liberté de circuler en Europe ? »

Pascale Lefeuvre

Pascale Lefeuvre est née en 1957, mariée et mère de deux enfants. Elle a soutenu fin 1991 une thèse de doctorat en droit sur « Grande pauvreté et droit : l'exemple du domicile. » Elle a rejoint le volontariat du Mouvement ATD Quart Monde en 1985, s'est formée en collaborant à diverses études et représentations publiques du Mouvement, et en partageant la vie des familles dans la région parisienne. Elle fait maintenant partie de l'équipe de Reims.

CC BY-NC-ND