Le péché social

Le Méridional, 8 mars 1988

Marcel Maréchal

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Marcel Maréchal, « Le péché social », Revue Quart Monde [En ligne], 126 | 1988/1, mis en ligne le 01 octobre 1988, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3905

[…] Aussi bien dans la récente actualité, deux événements dominent, qui ont été hachés menus à la moulinette à tout digérer du grand Barnum Circus médiatique : la mort du Père Joseph Wresinski et, surtout, l’encyclique papale « Sollicitudo Rei Socialis ». Le prêtre avait créé ATD Quart Monde : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de l’Homme dont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré ». Il a fait graver ces mots dans le marbre de l’esplanade du Trocadéro à Paris. Cette formule résume le combat, de toute une vie, du fondateur de « ATD Quart Monde international » (Aide à toute détresse). On doit au père Wresinski d’avoir popularisé l’expression « quart monde » […]

À un an de l’anniversaire de la déclaration des Droits de l’Homme, la mort du fondateur d’ATD Quart Monde nous rappelle qu’il est trop simple d’aller débusquer seulement en URSS, au Nicaragua ou au Chili des atteintes aux Droits de l’Homme. N’oublions pas la leçon de ce juste : encore une fois « là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de l’Homme sont violés » Où là ? Là : dans notre Occident européen ou américain surpuissant aujourd’hui. Les « exclus », les « nouveaux pauvres » nous rappellent que les Droits de l’Homme sont bafoués sur la terre même qui a fécondé cette conquête majeure de l’humanité. Que faire pour remédier à ce fléau qui porte en lui la déstabilisation de l’ordre social ? Exiger que la lutte contre la pauvreté devienne une « priorité internationale ». Joseph Wresinski, à sa mesure y était arrivé, lui qui fut l’un des avocats les plus obstinés du « revenu minimum garanti », idée reprise, à ce jour, par la plupart des candidats à la présidence de notre République Française.

Wresinski n’aura pas lutté sa vie entière pour rien, puisque la hiérarchie de son Église, en la personne du Pape, nous donne à méditer, diffuser et commenter l’un des plus important textes de l’Église catholique depuis « Rerum novarum ». L’encyclique « Sollicitudo Rei Socialis » a pour point de départ « la constatation de l’état de misère et de sous-développement dans lequel vivent des millions et des millions d’humains ». Si cette encyclique, encore une fois considérée par les spécialistes comme l’une des plus grandes encycliques sociales de l’Église, exprime clairement son « estime pour la culture et la civilisation technique qui contribuent à la libération de l’homme », elle dénonce, sans ambages, « le libéralisme sans frein » conduisant « à la dictature » (à bon droit, dénoncée par Pie XI) de l’impérialisme international de l’argent.

Comme aime à le rappeler le Cardinal Lustiger, c’est peut-être le péché de l’homme, c’est-à-dire sa rupture avec Dieu, qui est la cause radicale des tragédies qui bafouent l’histoire de la liberté. Ce péché « originel » devient dans « Sollicitudo Rei Socialis », un cas de « péché social » fruit de nombreux péchés personnels de la part de ceux qui cherchent refuge dans la prétendue impossibilité de changer le monde, et aussi de la part de ceux qui veulent s’épargner l’effort ou le sacrifice… Les vraies responsabilités sont celles des personnes. Voilà le grand message. Nous tous pris individuellement n’attendons pas de miracle de la machine sociale, des États. En citoyens libres, comme Feu le citoyen Joseph Wresinski, ne nous résignons pas à l’injustice. L’outrage que l’on fait au plus petit d’entre les hommes, c’est à nous qu’on le fait. Rappelons-nous cette vérité première et cette conquête de l’humanité occidentale.

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