Au terme de la dernière décennie du siècle, les médias tentent de répondre à ces questions devenues rituelles : quels hommes, quels événements, quels progrès marqueront les années 90 ?

S'il ne s'agissait là que d'une manière de présenter au public des informations déjà connues des spécialistes, il n'y aurait pas lieu de s'interroger. Mais ce faisant, les journaux reprennent à leur compte l'inquiétude de chacun face à ces lendemains ignorés. Énonçant le prévisible à venir, ils tracent déjà des repères dans ce futur inconnu. Par là, ils exorcisent la peur. Et qui le leur reprocherait? Répondre à l'angoisse existentielle est l'un des rôles dévolus à la presse.

Mais pourquoi taire l'angoisse de « millions et millions d'hommes, de femmes et d'enfants » aux prises avec « la faim, l'ignorance, la violence », pourquoi taire leur refus de la misère et celui de leurs compagnons d'armes ?

Certes, ce combat contre la misère est moins spectaculaire encore que celui de cette « armée des ombres », de ces « soldats en haillons » qu'évoquait André Malraux parlant de la Résistance et de Jean Moulin. Mais la misère ne peut être vaincue que par une lutte vraiment publique, affirmée publiquement et menée par tous. Cette décennie ne devrait-elle pas être celle de la sortie de la clandestinité ?

Justement fiers de garantir la démocratie et de défendre les Droits de l'homme, les médias se doivent de mettre sous les projecteurs de l'actualité non la misère elle-même, mais le combat partout mené pour la détruire. De même qu'ils ont suivi l'application de la Charte d'Helsinki, ils peuvent se référer à celle de la Déclaration universelle des droits de l'homme. À l'aube de l'an 2000, près d'un demi-siècle se sera écoulé depuis sa proclamation. Qu'aura fait l'humanité pour réaliser son aspiration à se libérer « de la terreur et de la misère » ?