A propos du procès de Montauban

Anne-Marie Zaïdi

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Anne-Marie Zaïdi, « A propos du procès de Montauban », Revue Quart Monde [En ligne], 121 | 1986/4, mis en ligne le 05 mars 1987, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4222

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France

A moment du meurtre du jeune Algérien par trois légionnaires, nous avions été bouleversés. Cette mort insensée faisait résonner en nous toute la souffrance vécue par tant d’Algériens. Etre étranger et pauvre en Occident, c’est dur à vivre. Et puis, il y a eu toute la publicité faite autour de ce procès.

Là, j’ai senti quelque chose d’injuste. Tant de procès chaque jour pourraient porter message. Et on utilisait celui-là, pas forcément pour la bonne cause. Je voyais les visages de ces parents, dignes et hagards, utilisés par les médias.

Il y a eu le verdict : « un verdict exemplaire ». Là, notre malaise a été le plus fort. Bien sûr, pendant quelques minutes, nous nous sommes rappelés ce que les légionnaires avaient proféré : « ça fera un arabe de moins ». Mais presque aussitôt, nous nous sommes dit avec mes beaux-frères algériens : « ça risque d’augmenter le racisme, une peine pareille ». Nous pensions que la perpétuité, c’était trop. Non pas du tout que nous rabaissions la valeur de la vie, ni que nous diminuions la responsabilité des légionnaires. Mais parce que nous nous disions : « rappelons-nous à la Cerisaie1 quand le soir, les jeunes tellement brisés par la vie qui leur était imposée disaient : « on va se faire un porto », on allait tout casser chez M.R parce qu’il apparaissait comme encore plus faible que tous les autres »

On sentait au fond de nous qu’il y avait quelque chose de commun aux deux situations. Donner une peine exemplaire du fait que la victime était algérienne, ça ne pouvait pas être la preuve d’une volonté de témoigner d’une solidarité avec le monde arabe et encore moins avec celui qui a rejoint les très pauvres français qui subissent non seulement le racisme mais aussi l’exclusion.

Notre société risque de se donner bonne conscience sur le dos des légionnaires. En prononçant une forte peine, elle « règle le problème » aux yeux de la société arabe comme de la société française, en oubliant complètement que tout le monde participe, plus involontairement bien entendu, à des « tels largages ». Les plus pauvres ne sont-ils pas « largués » en permanence, sans que nous nous en rendions compte, sur le même autel de cette crainte de perdre notre identité.

Que savons-nous de la honte, de la souffrance que tout un milieu assume lorsqu’il lui faut porter de tels actes commis par les siens ? Je me souviens d’une maman qui me répétait : « tu ne sais pas ce que c’est que de se dire en permanence que son propre fils peut devenir un assassin ».

1 Bidonville de la région parisienne, démoli dans les années 70
1 Bidonville de la région parisienne, démoli dans les années 70

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