III. Vouloir agir

Olivier Philip

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Olivier Philip, « III. Vouloir agir », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1989), mis en ligne le 07 avril 2010, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4464

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Logement, Habitat, Sans-Abri

Le défi des mal logés et des sans-abri

Intervention :

Je voudrais vous remercier de m’avoir convié dans le cadre de votre colloque international à participer à vos travaux consacrés au défi que représente le problème des mal logés et des sans abri. Je suis heureux d’avoir ainsi l’occasion de m’exprimer sur ce sujet. Je prendrai pour ma part l’exemple français pour exposer nos tentatives et les enseignements à en tirer. Avec les associations caritatives, les collectivités locales, les administrations nationales et locales, nous avons la même volonté d’améliorer la situation des personnes qui vivent sans abri ou dans un logement de fortune – 10 à 15 000 à Paris.

Je suis frappé par trois paradoxes : Alors que l’Ile-de-France est la première région économique du pays, un habitant sur 8 est mal logé et 4 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (30 à 40 F par jour et par personne).Le second paradoxe est fourni par les statistiques de l’INSEE : 6 000 appartements HLM sont attribués chaque année sur les contingents préfectoraux pour 94 000 demandes prioritaires et pourtant, il y a plus de 33 000 logements vacants tous parcs confondus recensés dans la Région. Ce paradoxe n’est qu’apparent : 33 000 logements vacants, c’est 0,75 % du parc immobilier. Nous avons étudié le problème sérieusement c’est un volet naturel qui se reconstitue en permanence : décès pour l’essentiel, gros travaux en cours et pied à terre de provinciaux. Troisième paradoxe : tout effort social à Paris diminue le nombre de logements pour les défavorisés : il n’y a plus de terrains disponibles ; dès lors, lorsque l’on détruit des logements insalubres, lorsqu'on réhabilite, on obtient de meilleurs logements, mais en moins grand nombre.

Malgré les conventions passées pour réserver 30 % des logements HLM au contingent préfectoral, les demandes restent supérieures à l’offre. Il est vrai que les Préfets ont su mal à faire respecter l’utilisation de leur contingent, les commissions d’attribution restant souveraines et refusant parfois les propositions préfectorales. C’est à Paris que la situation est la plus difficile. On trouve ensuite les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, le Val d’Oise étant le moins touché des départements de la Région.

De ce bref aperçu se dégagent trois priorités auxquelles j’attache une importance particulière : offrir un « toit » aux familles les plus démunies ; favoriser l’accès de celles-ci aux logements sociaux ; assurer le maintien dans leur logement des familles connaissant de graves difficultés financières. Sur ces trois points, je voudrais rappeler les actions et dispositifs essentiels mis en œuvre par l'État, je voudrais aussi vous faire part de mes réflexions personnelles au vu des expériences engagées en mettant l’accent sur les mesures qui conditionnent une efficacité plus grande de la politique engagée en faveur des plus démunis…

Améliorer l’hébergement et maintenir l’effort pour la réalisation de logements sociaux

Dans le domaine de l’hébergement, les efforts doivent être poursuivies pour créer des capacités permanentes d’accueil dans les établissements, que ceux-ci soient destinés aux familles, aux célibataires, aux jeunes ou aux travailleurs étrangers. Nous nous heurtons à de grandes difficultés, notamment financières, pour accroître le parc d’hébergement permanent. Pourtant cet accroissement peut seul valoriser l’utilisation du parc d’hébergement  provisoire qui lui s’accroît. Je crois pouvoir dire à l’issue de la dernière campagne d’hiver que les efforts conjugués des parties concernées (État, Collectivités locales et associations) ont permis d'assurer une capacité physique globale d’hébergement provisoire à peu près satisfaisante. Je le dis car sur la base d’informations insuffisamment vérifiées, la presse s’est faite parfois l’écho de propos exagérément alarmistes.

Cela étant, l’expérience me conduit aux trois conclusions suivantes : l’effort remarquable assuré par les différents partenaires, et notamment par votre association, devra être maintenu ; j’ai constaté - et votre association avec beaucoup d'autres l’a souligné -  que les conditions d’admission dans certains centres d’hébergement étaient trop contraignantes ; il faut donc assouplir ces procédures d’admission et je m’y emploierai auprès des collectivités et organismes gestionnaires de foyers ; il faut également qu’existe une meilleure information entre les différents intervenants pour éviter, comme ce fut le cas certains soirs l’hiver dernier, que des contres soient contraints, faute de places disponibles, de refuser des candidats à l’hébergement alors que des capacités restaient disponibles dans d’autres centres. Une meilleurs diffusion de l’information et une centralisation des données sur les capacités disponibles s’avèrent indispensables et c’est un objectif à se fixer pour la prochaine période hivernale. Je connais, s’agissant de l’hébergement provisoire, vos inquiétudes lorsque vous constatez que celui-ci se transforme en hébergement permanent. C’est un problème grave dont je suis conscient et les mesures dont je vais parler doivent être mises en œuvre dans le souci de remédier à cette situation.

Les Pouvoirs Publics contribuent, par ailleurs, à la réalisation de logements sociaux pour les familles qui en ont le plus besoin. Je ne veux pas m’attarder sur cet aspect car souvent les familles dont vous vous préoccupez ont du mal à prétendre à ce logement social. J’y reviendrai. Mais il est bon de rappeler que l’effort dans ce domaine doit être poursuivi et qu’au cours des dernières années, le logement social a constitué l’essentiel des logements neufs construits en Région Ile-de-France.

Les capacités d’accueil pour les familles aux revenus les plus modestes ne se limitent pas aux seules opérations de constructions nouvelles, les programmes d’amélioration de l’habitat offrent également des possibilités. Les logements HLM anciens sont progressivement améliorés. Ceux-ci étant, après travaux, conventionnés, les familles qui les occupent se trouvent aidées par le versement de l’aide personnalisée au logement. Mais nous avons construit énormément de logements sociaux de 1950 à 1965, souvent de qualité médiocre. L’entretien de ce vaste parc social est un défi majeur que nous devons relever.

S’agissant de l’APL, celle-ci coûte à l'État 3 milliards de plus chaque année et cette augmentation ne peut se poursuivre indéfiniment. Des premières mesures ont été prises. Elles ont privilégié les plus démunis mais  elles ont défavorisé, sans que l’on s’en rende compte, des familles ayant plus de 3 enfants et moins que le SMIG. M. Méhaignerie a demandé à ses services d’étudier cette question et de rechercher une solution. Une décision devrait intervenir prochainement.

Par ailleurs, Monsieur le Ministre Méhaignerie a décidé en 1987 de consacrer 100 MF à la construction de logements sociaux pour les plus défavorisés. Il ne s’agirait pas de construire pour chercher ensuite des occupants, mais d’identifier les futurs occupants avant de construire. Il s’agit de permettre l’ascension au logement social de familles qui ne sont pas en mesure de payer les loyers HLM actuels. En conséquence, la construction pourrait être effectuée hors normes par dérogation. L’appartement se serait pas obligatoirement complètement aménagé - une partie de cet aménagement pourrait être laissée à l’initiative du futur occupant. La Région Ile-de-France pourrait prétendre à 30 MF sur ces 100 MF. Je souhaite que les organismes compétents me proposent des projets malgré leurs réticences que je m’efforce de lever.

Je mentionnerai, enfin, la politique dynamique qui a permis dans les « îlots sensibles » d’assurer un traitement d’ensemble pour des populations défavorisées. Cet effort dans les ilôts sensibles, qui est à mon avis positif, doit être et sera poursuivi.

L’amélioration de l’habitat existant au travers des procédures de l’ANAH doit être poursuivie ; l’expérimentation à Paris et dans l’Essonne d’un nouveau mode de calcul des subventions en pourcentage du coût des travaux a montré l’intérêt de cette formule ; par ailleurs, des adaptations de la réglementation permettant d’accorder des dérogations aux règles habituelles de recevabilité, donnent la possibilité de régler des cas jusqu’alors sans issue (Goutte d'or).

Nous expérimenterons en 1988 une nouvelle forme d’utilisation des crédits d'État en matière de logements aidés : les Préfets se verront dotés d’un crédit regroupant les dotations PLA et PALULOS ; ils pourront ainsi selon les nécessités locales mettre l’accent sur la modernisation du patrimoine ancien ou sur les programmes neufs, ce que ne permettaient pas les affectations budgétaires antérieures.

Favoriser l’accès aux logements sociaux des familles les plus démunies

Mais vos préoccupations essentielles tournent autour du fait que le logement des familles dont les ressources sont les plus modestes trouve ses limites dans le fait que les bailleurs sociaux jugent ces ressources insuffisantes pour faire face aux dépenses de loyer. C’est pour répondre à cette situation qu’une circulaire ministérielle a demandé aux Préfets de réserver sur leur contingent des logements au profit des familles présentées par des associations caritatives. Après les difficultés de mise en œuvre, des résultats tangibles sont constatés, et dans le seul département de Paris 350 logements ont été attribués à des familles présentées par des associations. C’est une première étape, il faut que cette procédure se développe, mais elle ne peut à elle seule régler les cas les plus difficiles.

Aussi, vis-à-vis des bailleurs sociaux dont il ne faut pas se dissimuler que nombre d’entre eux rencontrent des difficultés financières réelles, une garantie financière portant sur le versement du loyer pendant une période de un ou deux ans, apportée par une association, facilite l’attribution d’un logement. Je ne méconnais pas les problèmes que la mise en œuvre d’une telle garantie peut poser à une association mais, d’expérience, je sais qu’elle constitue un moyen efficace pour persuader un organisme d’attribuer un logement à une famille aux revenus modestes. Et je trouve anormal qu’on organisme HLM refuse le logement lorsque cette garantie existe, ce qui s’est quelquefois produit comme vous me l’avez signalé, mais cela n’est heureusement pas le cas général.

C’est parce qu’une telle garantie peut être difficile à donner pour une association que le préconise la formule visant à ce que l'État et le Département créent un fonds de contre-garantie qui a le double avantage d’"appuyer" les candidats présentés par une association et d’aider si nécessaire celle-ci en cas de défaillance des familles. Je suis prêt à donner des subventions au titre de la lutte contre la pauvreté. Je suis prêt aussi à discuter de l’utilité de ce fonds et de la possibilités de le remplacer par des subventions directes aux associations. Je serais heureux d’avoir votre avis à ce sujet.

En résumé, dans ce domaine de l’accès des familles les plus démunies aux logements sociaux mes préoccupation sont les suivantes :

- amplifier la mise à disposition de logements pour les associations dans le cadre du contingent préfectoral réservé aux candidats prioritaires,

- demander aux associations d’apporter une garantie financière aux familles très modestes, garantie que je me propose d’étayer par le développement de fonds de contre-garantie ou de subventions directes aux associations et obtenir des organismes HLM que le logement soit automatiquement accordé lorsque la garantie existe.

- rechercher avec les bailleurs sociaux un accord pour que ceux-ci acceptent, dans le cas des problèmes que nous avons à régler, de prendre en compte les prestations familiales dans les capacités contributives des familles, ce qui est évidemment important pour les familles nombreuses aux revenus modestes pour lesquelles de telles prestations constituent une part essentielle de leurs revenus effectifs. Quelques organismes le font mais ils sont peu nombreux.

- être attentif enfin, et c’est croyez-le une préoccupation essentielle pour moi, aux dispositions nouvelles qui pourraient être prises dans le domaine de l’APL. En effet, si ce mécanisme doit être maîtrisé quant aux charges qu’il représente pour le budget de l'État, je suis soucieux qu’aucune famille aux revenus les plus faibles ne se trouve affectée financièrement.

Maintenir dans leur logement les familles en difficulté

Notre action serait pour partie vouée à l’échec si elle se limitait à faire entrer une famille dans un logement social. Il faut aussi mettre tout en œuvre pour que des familles déjà logées en HLM ne perdent pas leur logement du fait qu’elles éprouvent temporairement des difficultés financières.

Perdre son logement, c’est le risque de l’éclatement de la cellule familiale, c’est le début de l’exclusion sociale, c’est l’amorce d’une situation difficilement réversible de pauvreté. En un mot, ne pas apporter d’aide à de telles familles c’est les condamner à une situation de détresse et de marginalité et vous connaissez à ATD Quart Monde ce que cela signifie. Aider des familles qui connaissent des moments difficiles à conserver leur logement, c’est éviter qu’une association comme la vôtre ne voit augmenter le nombre de ceux qui font appel à elle. Cette action en faveur du maintien dans le logement, en amont, si je puis dire, de votre domaine d’intervention, vous concerne de par ce seul fait.

L’action porte ensuite sur les impayés de loyer et le règlement des factures de gaz et d’électricité. En matière d’impayés de loyer dans le secteur social un dispositif existe dans chaque département de la région ; il permet d’aider une famille qui a des arriérés de loyer à régler sa dette en lui accordant un prêt sans intérêt, voire un prêt combiné avec une subvention. A Paris, un tel dispositif existe pour la totalité du parc HLM de la capitale ; 10 MF ont été apportés par l'État, la Ville, la Caisse d’Allocations Familiales et les principaux bailleurs sociaux ; les impayés de loyer pris en compte portent sur une période allant de 3 à 9 mois ; la commission, préside par mon représentant, décide de l’importance et de la nature de l’aide ; elle peut accorder des subventions correspondantes au 2/3 de la dette de la famille.

Vous connaissez également les mesures intervenues pour aider les familles en difficulté à régler  leurs dépenses de gaz et d’électricité pendant la période hivernale. Ainsi, si je prends l’exemple de Paris, des subventions sont versées, calculées en fonction de la taille de la famille et du mode de chauffage utilisé (le montant de l’allocation est doublé dans le cas de chauffage individuel.) L’aide annuelle peut ainsi atteindre 2 600 F pour le gaz et d’électricité en cas de chauffage individuel. Pour la période d’hiver 1986-1987, 25 000 familles parisiennes ont été aidées, le montant moyen de l’aide accordée se situant à 1.750 F par ménage. Il faut poursuivre dans cette voie.

Enfin, j’ai pris connaissance avec intérêt de vos remarques sur l’institution d’un revenu minimal garanti. Quelques expériences positives sont en cours en province et une généralisation doit être étudiée dans une société qui connaît les difficultés que nous vivons. Le problème est de ne pas créer des assistés, ne pas arriver à la situation de l’Allocation de Parent Isolé qui, vous le savez, est touchée par des couples non mariés bénéficiant de deux salaires. Il faut faire preuve d’imagination pour trouver une solution… Il nous faut aussi convaincre nos citoyens de la réalité et de l’ampleur du problème posé, faire évoluer les esprits. Nous ne réussirons pas dans plusieurs des domaines que j’ai évoqués si le Maire qui loge les plus défavorisés, qui loge les immigrés est battu aux élections suivantes.

Je suis conscient de n’avoir pas évoqué tous les problèmes, je songe à celui des services de protection de l’enfance par exemple avec le problème du maintien de l’unité familiale, mais je ne veux pas être trop long. Permettez-moi, avant de m’arrêter, de vous dire combien les Pouvoirs Publics sont conscients de l’importance de votre rôle, de votre désintéressement, de votre dévouement, qui est souvent une vocation à la cause de ceux qui sont exclus de notre société pour des raisons diverses  - et je sais que vous trouvez parmi eux une richesse humaine qui est digne de l’intérêt que vous leur portez. Soyez-en  remerciés.

Olivier Philip

Préfet de la région d’Ile-de-France et du département de Paris

CC BY-NC-ND