Témoignages

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« Témoignages », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1998), mis en ligne le 27 avril 2010, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4644

Ils ne font plus rien pour des gens comme moi, sauf de nous entretenir dans le chômage.

Témoignage d’un homme de 50 ans.

« J’ai commencé à travailler en 1961. J’avais 15 ans. J’ai toujours eu des emplois où il fallait travailler dur. J’ai travaillé 7 ans comme manœuvre dans une usine métallurgique où je faisais de tout. L’usine a fermé. J’ai été embauché dans une usine qui fabriquait des pare-brises de voiture. Après 2 ans et demi, j’ai été licencié économique : on a supprimé un tiers des postes de travail. Ensuite, j’ai travaillé 2 ans dans une usine de cuivre. J’ai perdu cet emploi quand elle a fermé. Enfin, j’ai travaillé 7 ans comme ouvrier de fabrication dans une entreprise qui produisait des coussins d’auto. Elle a fermé en 81. J’avais 34 ans... Le délégué syndical et le permanent nous ont promis beaucoup : vous ne resterez pas longtemps au chômage ; vous aurez le droit de conserver votre niveau de salaire ; vous aurez droit à des formations prioritaires... On n’a rien eu. Cela fait 16 ans que je suis au chômage... Depuis lors, on ne m’a jamais proposé aucun boulot.

Au début, j’ai fait partie d’un Comité de travailleurs sans emploi. C’est un syndicaliste de la région qui a contacté des chômeurs de la commune. On a commencé à 2 ou 3. On s’est fait connaître, on voulait aider syndiqués et non syndiqués. Puis les réunions se sont arrêtées, on s’est perdu de vue. J’ai cherché du travail, je me suis présenté à plusieurs usines. Chaque fois, ils me disaient : 35 ans. Vous êtes trop vieux. A 35 ans, on n’embauche plus (...) Je n’ai jamais reçu aucune convocation des services de placement du chômage. Comme chômeur, je me suis inscrit librement à l’Agence Locale pour l’Emploi, mais on ne me convoque pas pour aller travailler, sauf une dame qui me prend, par compassion, je crois, une vingtaine d’heures par an.

Avec ATD Quart Monde, j’ai fait un voyage d’étude durant l’été 96. En France et dans le Bénélux, nous avons rencontré des entreprises d’insertion, des syndicats, des entreprises classiques (…) Partout, j’ai demandé : est-ce que vous faites quelque chose pour les chômeurs qui ont plus de 50 ans ? Partout, on me répondait que non. Maintenant, j’ai 50 ans. Je sais que je peux encore chercher du travail par moi-même, mais que les services de placement ne me convoqueront plus. Ils ne font plus rien pour des gens comme moi, sauf de nous entretenir dans le chômage. La vie est très dure, et je n’ai plus aucune chance de travail... Ce qu’on demande maintenant, c’est de la main d'œuvre très qualifiée. Moi, je n’ai fait que mes primaires.

Je participe à ATD Quart Monde pour essayer que ça change. Pour moi, ma carrière est finie, c’est pour mes enfants que je me bats. S’ils n’ont pas d’emploi, quelle vie pour eux ? A l’Université Populaire du Quart Monde, j’entends que d’autres ont la vie encore plus dure que moi. Beaucoup sont sans emploi alors qu’ils voudraient travailler. Plusieurs n’ont même pas d’allocations de chômage, certains n’ont droit à rien du tout… Il y en a qui disent que s’il y a tant de chômeurs, c’est parce qu’on est trop payés. Mais eux-mêmes, est-ce qu’ils accepteraient de gagner moins ? Nous, on est déjà au minimum (...) Il faudrait que tous les pays d’Europe se mettent ensemble pour créer des emplois pour tous ceux qui veulent travailler. Il faudrait partager le temps de travail, dérobotiser, ou inventer d’autres solutions. »

C’est quand on nous donne des responsabilités qu’on peut s’en sortir.

Témoignage de Monsieur Jean-Marie Deresnes :

Pour moi, c' est le chômage qui a tout déclenché. Déjà quand je travaillais comme cuisinier, la vie familiale était difficile. En quelques mois, mes parents et mes grands-parents sont morts; mon patron a revendu le restaurant, je me suis retrouvé au chômage, et ma femme est partie avec ma fille. Alors, j' ai tout laissé tomber. J' ai perdu le logement et je me suis retrouvé à la rue.

Cela a duré 7 ans, à dormir ici ou là, à trop boire pour se réchauffer en hiver. Je squattais un vieux garage. Grâce aux copains de la zone, je suis allé voir l'association St Vincent de Paul pour avoir des colis. Ils refaisaient un local pour accueillir les sans-abris. Après plusieurs visites, j'ai demandé si je pouvais les aider dans les travaux. Ils ont dit oui, car ils avaient besoin de bras. J'ai aidé bénévolement pendant 6 mois, tout en recevant des colis alimentaires et en profitant des vestiaires et de la douche. La maison a été presque entièrement rénovée par des SDF.

Au début, j'étais perdu, je ne connaissais pas le travail. mais il y avait des S.D.F. du métier du bâtiment qui nous apprenaient. Quand le plus gros des travaux était fini, j' ai voulu changer. C'était en 1985-86. Je suis allé aider les Restos du Cœur, en même temps que j' étais bénévole dans une association intermédiaire*. Les Contrats Emploi Solidarité* n'existaient pas encore, et ces associations n'avaient pas les moyens de me payer. J'ai aidé les Restos du Cœur pendant 4 ans, presque à temps plein pendant l'hiver. C'était encourageant : on voyait des gens dans des situations pires que nous, on nous donnait des repas gratuits, et je logeais dans les locaux de l'association intermédiaire. Dans cette association, j'étais bénévole environ 20 heures par semaine. J'étais à l'accueil, je recevais les appels téléphoniques des particuliers qui voulaient offrir du travail à des chômeurs. Je savais où étaient les places libres et je pouvais y aller moi-même. C' est comme cela que j'ai pu faire des travaux qui m'ont rapporté 12.000 Fr. (français) en un an.

J' ai organisé le nettoyage des tombes à la Toussaint, ce qui n' existait pas. Grâce à tout cela, j'ai connu beaucoup de gens de tous bords. Vers 1989-90, le président de l'association intermédiaire m'a appuyé et j' ai trouvé un Stage de Réinsertion en Alternance et un logement que j'occupe toujours. Ça m' a remis à niveau en français et en maths. Après, j'ai été 3 ans en Contrat Emploi Solidarité. Aujourd'hui, je touche les allocations de chômage, mais je fais toujours du bénévolat. Je suis président du Comité de Quartier, où il y a beaucoup de personnes en détresse.

Pour moi, le redémarrage de tout, ça a été l'accueil par une association. L'accueil au départ est très important. C'est le bénévolat qui m'a sauvé : on a des contacts, on ne plonge plus dans la misère. C'est très important de pouvoir être utile, de pouvoir faire quelque chose, d'apprendre, d' être au contact avec des gens. C'est quand on a des responsabilités qu'on se sent vraiment utile. C'est comme ça qu' on peut s' en sortir... On arrive mieux après à faire des démarches, à se contrôler. Quand on a été longtemps à la rue, on ne peut pas rentrer directement dans un emploi. Il faut y aller par étapes : dans une association, on commence par faire le café, puis distribuer le courrier et après faire des choses plus difficiles...

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