«Pauvreté – Le défi de la transition. Le cas de la Moldavie»

Nina Orlova

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Nina Orlova, « «Pauvreté – Le défi de la transition. Le cas de la Moldavie» », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 18 octobre 2010, consulté le 14 décembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4824

N’ayant pu être présente pour des questions de visa difficile à obtenir à partir de la Moldavie, Nina Orlova désirait néanmoins apporter sa contribution et exposer la situation de la Moldavie.

Xavier Godinot a résumé un document rédigé par Nina Orlova et présenté à la conférence des ONG anti-pauvreté de Dublin en 2001.

La République de Moldavie détient probablement le record peu enviable du déclin le plus catastrophique des résultats économiques et du niveau de vie observé en temps de paix parmi tous les pays à l'époque moderne. À partir d'un niveau de bien-être relatif, le produit national brut par habitant est tombé jusqu'à 300 US $, mettant le pays pratiquement à égalité avec les pays les plus pauvres d'Afrique et d'Asie. Les enquêtes de niveau de vie et les indicateurs démographiques récents mettent en évidence l'impact radical de ce déclin sur le bien-être de la population.

Les habitants de la Moldavie ont payé cet échec d'un prix très lourd : le niveau de vie s'est effondré et une grande partie de la population a été précipitée dans une misère noire. De fait, on peut qualifier la situation en Moldavie de "désastre monumental". Depuis qu'elle est devenue indépendante en août 1991, la République de Moldavie souffre d'une crise sociale de plus en plus profonde. Les principaux éléments de cette crise sont la chute vertigineuse des revenus accompagnée d'une inégalité croissante, la baisse du niveau des dépenses et de la consommation, une pauvreté croissante et une détérioration marquée de l'alimentation. D'après les estimations du Programme de Développement des Nations Unies, l'indice de développement humain de la Moldavie est passé du 75ème rang mondial en 1992 au 113ème rang en 1997.

La première partie de ce texte analyse la chute du niveau de vie de la population suite au déclin économique depuis l'indépendance. Dans la deuxième partie, les coûts sociaux et humains de la transition sont analysés dans la perspective de la détérioration de la santé au niveau national et de la diminution de l'accès aux soins de santé.

1. Le déclin économique et la chute du niveau de vie depuis l'indépendance

En partant d'un indice du produit national brut (PNB) à la valeur 100 en 1992, l'indice était tombé à 30,4 en 1998. Ce déclin est d'autant plus remarquable que la Moldavie, d'après tous les critères, comptait parmi les pays de la Communauté des États Indépendants qui avaient les meilleurs résultats en ce qui concerne les politiques macro-économiques, la réforme institutionnelle et économique et la démocratisation. Ce qui a été réalisé en matière de création d'un État souverain basé sur des principes démocratiques est impressionnant, compte tenu de la situation plutôt sombre au point de départ de l'indépendance en 1991. De même, ce qui a été fait en matière de politique macro-économique a pendant longtemps valu à la Moldavie les louanges du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale et a désigné le pays comme un modèle de stabilité dans la région.

- Le déclin économique pendant la transition

Les principaux facteurs à l'origine de l'effondrement presque total de l'économie résident dans deux chocs extrêmes graves, le premier provoqué par l'effondrement de ce qui avait été l'Union soviétique, et le second suite à la crise financière de la Russie à l'automne 1998. L'économie moldave, qui formait une petite partie, fortement intégrée, de l'économie soviétique avec peu de relations avec le reste du monde, devait inévitablement subir une secousse violente quand l'Union soviétique a implosé. La hausse des prix de l'énergie et la dilapidation des liens commerciaux et des circuits de distribution ont eu un effet dévastateur sur la production industrielle. En 1998, l'effondrement financier de la Russie, dernier marché d'exportation important pour la Moldavie, a démoli la stabilité macro-économique si chèrement établie et porté un coup violent à l'économie déjà affaiblie.

En dehors du fait qu’une crise majeure était certainement inévitable en raison de la situation de départ peu favorable en 1990, le redressement de la situation en Moldavie a aussi été différé en raison des mesures politiques malheureuses qui ont été prises et de l'attitude hésitante des gouvernements successifs. Le maintien de la sécurité sociale à un niveau acceptable et la préservation du capital humain (principal actif ) ont reçu peu de priorité. La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont loué la Moldavie d'être l'un des pays de l'Europe de l'Est en transition à avoir le mieux réussi, en suivant leurs conseils, à stabiliser sa monnaie1. Au vu des autres résultats dans le pays, cette louange revêt toutefois un caractère ironique et elle donne une bonne idée de ce qu'est l'approche concernant la réforme économique adoptée par les institutions de Bretton Woods.

- Chute du niveau de vie

Le déclin économique a entraîné une chute du niveau de vie au travers de trois mécanismes : une érosion des actifs liquides du fait de l'inflation ; une diminution marquée des salaires et autres revenus liés à l'emploi en même temps qu'une baisse des opportunités d'emploi ; un effondrement quasi total du système public de sécurité sociale.

L'hyper-inflation de 1990-93, quand la Moldavie faisait encore partie de la zone rouble, a fait fondre l'épargne individuelle. Fin 1993, les prix étaient 1255 fois plus élevés que fin 1990. De ce fait les sommes mises de côté tout au long de la vie pour se mettre à l'abri au moment de la vieillesse ne représentaient plus que les besoins de pain d'une semaine. En 1997, six années après l'indépendance, le niveau des salaires et celui des pensions se situaient respectivement à 29,9% et 11,6% de leur niveau en 1991. En prenant le revenu minimum de subsistance officiel comme seuil de pauvreté, l'analyse de l'enquête sur les budgets des ménages révèle que la pauvreté était devenue un phénomène largement répandu en Moldavie en 1997 : pas moins de 76,8% de la population vivait au-dessous du minimum de subsistance.

Sur le marché du travail, le déclin économique a entraîné une baisse marquée de l'emploi salarié et une chute dramatique des salaires réels. D'après l'enquête de mai 1998 sur les forces de travail, la population active représente environ 49% de la population totale, 51% de la population étant inactive. L'emploi salarié a décliné de 2.071 milliers en 1990 à 1.065 milliers en 1998. Les travailleurs salariés ont été profondément affectés par les congés forcés, l'emploi à temps partiel ou les semaines de travail réduites. Le chômage enregistré reste à des niveaux très bas (2,3% mi-1998) du fait que les agences pour l'emploi n'ont pratiquement aucune offre à proposer aux demandeurs d'emploi. Un cinquième seulement des chômeurs a droit à des indemnités de chômage. Des estimations plus réalistes de l'Institut d’économie de l'Académie des sciences de Moldavie avancent un tout autre chiffre pour le chômage, soit 256.700 personnes, plus de dix fois le chiffre officiel.

L'agriculture reste de loin le secteur le plus important, le secteur manufacturier venant en second. Le déclin de l'emploi salarié en agriculture peut être attribué dans une grande mesure à l'impact de la dé-collectivisation, et reflète le changement de statut des travailleurs salariés des fermes collectives en petits agriculteurs indépendants.

Depuis la crise financière dramatique de la Russie en 1998, la situation du marché de l'emploi salarié s'est encore plus détériorée. D'après les estimations du Département d’analyse statistique et sociologique, au premier trimestre 1999 le salaire mensuel moyen nominal était de 257,9 Lei (environ 28 US $), avec de grandes variations selon le secteur : 128 Lei en agriculture ; 169,8 Lei dans le secteur santé et services sociaux ; 408,6 Lei dans l'industrie ; et 1.039 Lei dans les activités financières. Les arriérés de paiement des salaires des travailleurs du secteur santé et services sociaux atteignaient sept à dix mois dans plusieurs comtés (Judets). Les pensions sont versées avec des retards allant de dix mois à deux ou trois ans.

- Le pouvoir d'achat du revenu moyen disponible mensuel a chuté de façon dramatique.

Alors qu’en 1990 il permettait d'acheter 364 kg de pain, 38 kg de beefsteak ou 579 litres de lait, en 1996 cela était ramené à 81kg de pain, 18 kg de beefsteak ou 89 litres de lait. Ces chiffres montrent à l'évidence que la situation des Moldaves est devenue pire que celle de leurs voisins de Biélorussie, du Kazakhstan, de Russie ou d'Ukraine.

En raison du manque d'opportunités de gagner un salaire, les jeunes ruraux qui accèdent au marché du travail sont souvent forcés de rejoindre les rangs des travailleurs sous-employés ou des travailleurs indépendants du secteur agricole. Il y a eu de même un transfert de l'industrie au secteur informel urbain. La plupart des gens qui se sont retrouvés en dessous du seuil de pauvreté essaient de conjuguer un emploi officiel, surtout s'il leur permet de dégager du temps à d'autres fins (une activité agricole de subsistance, et des activités de dernier ressort à plein temps ou à temps partiel - petit commerce, vente à la sauvette, production à petite échelle - ou la vente et les services). 85% de ceux qui ont perdu leur emploi sont engagés dans le commerce informel ou d'autres activités semi-légales. Des formes illicites de revenus se sont développées, comme la prostitution, le vol, la perception de loyers et la mendicité.

Une stratégie de subsistance adoptée pendant la transition est la migration du travail. Jusqu'en 1989-90 la migration à l'extérieur de la Moldavie se faisait principalement vers les anciennes Républiques soviétiques, la Russie et l'Ukraine en particulier. Depuis l'indépendance, l'émigration vers l'Allemagne, Israël, les États-Unis et le Canada a augmenté. Un nombre croissant de femmes rurales vont à l'étranger pour des travaux saisonniers, généralement dans des conditions illégales, avec un coût et des risques très élevés. La migration saisonnière ou temporaire vers la Russie, l'Allemagne, Israël, l'Espagne et le Portugal concerne surtout le bâtiment. Vers l'Ukraine, la Biélorussie, la Hongrie et la Roumanie cela concerne surtout le commerce. Vers la Grèce c'est pour la cueillette des fruits et les travaux domestiques. Vers l'Italie c'est pour travailler comme domestique ou agent de nettoyage dans les hôpitaux et les maisons pour personnes âgées pour un salaire de 300 - 500 US $ par mois. Ceux qui émigrent le font par désespoir et sont entièrement exposés à n'importe quel type de fraude ou d'exploitation. L'effondrement économique a forcé même le personnel hautement qualifié (médecins, enseignants, fonctionnaires) à émigrer et à accepter n'importe quel emploi à l'étranger, avec un effet dévastateur sur les ressources humaines du pays.

L'effondrement du système public de sécurité sociale est le troisième mécanisme qui a entraîné la chute du niveau de vie. Comme dans d'autres anciennes Républiques soviétiques, le Fonds de Sécurité Sociale (FSS) en Moldavie distribuait toute une gamme de prestations : pensions de retraite, pensions d'invalidité, pensions pour les femmes ayant élevé trois enfants ou plus, pensions à caractère social, pensions militaires et pour hauts faits, ainsi que des allocations en cas de maladie, chômage, grossesse, décès, des allocations familiales et des bourses d'étude, en plus des services de santé gratuits. Les pensions de vieillesse étaient de loin le poste le plus important, et absorbaient les deux tiers de toutes les dépenses de transfert.

Le FSS est financé pour la plus grande part par une taxe salariale prélevée sur le fonds des salaires. Les taux de prélèvement étaient à l'origine de 37% pour les entreprises d'État et les coopératives agricoles, de 60% pour toutes les autres organisations, de 1% pour les personnes. En 1992 de nouveaux taux ont été introduits et les taux ont été ramenés respectivement à 30% et 45%.

La privatisation des entreprises industrielles d'État et des fermes étatiques et collectives a provoqué l'effondrement du système de sécurité sociale, du fait que les entreprises privatisées ont cessé de verser leur contribution au FSS. Le secteur social a aussi été étranglé par la chute de la contribution gouvernementale au budget du FSS du fait de la contraction de l'ensemble de l'économie. De plus, en raison de l'éclatement de l'Union soviétique, les pensions ont dû, du jour au lendemain, être payées sur le budget de fonctionnement du nouveau gouvernement de Chisinau, alors même que ce budget était soumis à de très fortes pressions.

La nouvelle législation portant sur le système de sécurité sociale, qui était censée amortir l'impact social de la transition, n'a pas été mise en place au commencement des réformes.

- Inégalité des revenus, consommation et pauvreté

Traditionnellement les sources principales de revenu en Moldavie ont été les salaires et les transferts sociaux, ces derniers étant principalement les pensions. Leur part conjointe dans le revenu total avant 1991 tournait autour de 90%. De 1987 à 1998, la part des salaires dans le revenu total des ménages est passée de 72,9% à 34,7%, et la part des transferts de 18,1% à 10,1%. En 1998, 42% du revenu moyen était en nature, ce qui reflète la dé-monétarisation de l'économie qui a suivi son effondrement. Près d'un quart des céréales et légumes, et la moitié des pommes de terre produites ont été utilisés en guise de paiement des salaires, ce qui confirme l'image d'une économie de subsistance.

La chute des revenus s'est accompagnée d'une aggravation marquée des inégalités. La population la plus riche accumule près de la moitié du revenu disponible, alors que la part de la population la plus pauvre n'est que de 4,3%. Des travaux de recherche menés à partir de l'enquête sur les budgets des ménages ont identifié cinq groupes sociaux courant le plus grand risque de pauvreté : les familles nombreuses (plus il y a d'enfants, plus le risque de pauvreté est élevé) ; les familles monoparentales ; les familles où les parents sont au chômage ; certaines catégories de pensionnés ; et ceux qui travaillent dans l'agriculture. D'après ces travaux, 19,3% de la population ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins physiologiques en matière d'alimentation, d'habillement et de logement. Ce pourcentage est beaucoup plus élevé dans les zones rurales (25%) que dans les zones urbaines (11%).

La dépense en termes réels en 1997 était estimée à la moitié de son niveau de 1991. 60% de la population dépense les quatre cinquièmes ou plus de son revenu en nourriture. Le faible niveau des dépenses en vêtements et chaussures traduit l'incapacité à renouveler les stocks. Le problème est très réel, en particulier pour les enfants des zones rurales, pour lesquels le taux d'abandon de l'école a beaucoup augmenté car les enfants n'ont pas de vêtements ni de chaussures pour aller à l'école. En ce qui concerne l'alimentation, la plupart des gens ont des difficultés pour acheter les produits de base de la vie quotidienne. La malnutrition se répand très vite en Moldavie, et affecte particulièrement les couches les plus pauvres de la population. On estime que les 20% les plus pauvres de la population vivent avec une moyenne quotidienne de seulement 1.775 kilocalories, alors que le seuil de nutrition minimum calculé par l'Organisation mondiale pour l'alimentation (OMA) est de 2.100 kilocalories par jour. Quelque 10% de la population souffre actuellement de famine, avec un régime se situant en dessous du seuil critique de 1.500 kilocalories, qualifié par la FAO de sous-alimentation extrême. Conséquence de la détérioration du régime alimentaire, l'anémie est devenue endémique.

Pendant les années de transition, les groupes qui étaient déjà vulnérables se sont trouvés dans une situation désastreuse, et une catégorie de "nouveaux pauvres" est apparue, du fait de la perte d'accès aux soins médicaux, aux services éducatifs et aux autres services sociaux qui étaient auparavant fournis gratuitement par l'État. Une caractéristique particulièrement désolante des années récentes est le nombre croissant d'enfants abandonnés, qui se trouvent ainsi transférés sous la responsabilité de l'État. À l'heure actuelle, 66% des enfants abandonnés l'ont été pour des raisons sociales : les parents expliquent cette situation par l'absence totale de moyens matériels pour élever leurs enfants. On relève de nombreux cas de familles vulnérables qui, dans l'impossibilité de subvenir aux besoins minima des enfants et confrontées à la menace de famine, vendent leur logement pour emménager dans un logement moins cher, placent leurs enfants dans des institutions d'État ou les mettent à travailler dans la rue, à laver les voitures dans les stations-service, à vendre les journaux, etc. Cela amène en général ces familles à perdre leur logement, à vivre dans les sous-sols des immeubles, et expose les enfants aux risques de la vie dans la rue (prostitution, drogue). Ces enfants doivent faire l'objet d'une priorité absolue dans les programmes de protection sociale.

2. L'accès aux services de santé et le financement du secteur de la santé

Un des traits de la transition observé dans la plupart des ex-pays socialistes d’Europe centrale et orientale est une crise très violente touchant la sécurité physique des personnes, comme l'indique la remontée brutale des niveaux de mortalité et des maladies sociales, due aux très mauvaises conditions de vie, à la précarité de l'emploi et au manque de confiance dans l'avenir. Cette crise a été particulièrement sévère en Moldavie. D'après l'Organisation mondiale de la santé, l'espérance de vie moyenne à la naissance se situe aujourd'hui en dessous de soixante-six ans, un des plus mauvais chiffres en Europe. Les taux de mortalité par âge sont en moyenne 50% plus élevés que ceux des pays européens développés, pour tous les âges.

- Le renversement des indicateurs de santé

Toutes sortes de maladies se sont répandues avec le déclin économique, ce qui est dû au faible nombre de médecins par habitant, et aussi et surtout à l'incapacité de la plupart des personnes d'acheter les médicaments nécessaires, ainsi qu'au manque de moyens de transport et d'essence pour transférer les malades à l'hôpital.

La situation par rapport à la tuberculose empire car on ne peut pas mener un programme de vaccination efficace du fait du manque de vaccins et de l'équipement nécessaire. En 1998 on a enregistré 59,2 cas pour 10.000 habitants. Les cas de syphilis ont été multipliés par treize de 1990 à 1996. Le sida devient une préoccupation majeure : la Moldavie est au troisième rang parmi les anciennes Républiques soviétiques, derrière la Russie et l'Ukraine, pour ce qui est de l'expansion de l'épidémie de sida.

Des signes de l'état de détresse de la population sont donnés par l'accroissement de l'abus de drogues et par la hausse des taux d'alcoolisme et de tabagisme. 8% de la population a des problèmes d'alcool. Le nombre de drogués a augmenté de plus de 30% par an depuis 1990, et double tous les deux ans parmi les jeunes de moins de dix-huit ans.

Le taux d'anémie chez les femmes enceintes est passé de 25% en 1990 à 45,2% en 1997, en raison de la sous-alimentation et de la maladie. La sous-alimentation des femmes enceintes provoque l'anoxie intra-utérine du fœtus, ce qui entraîne une augmentation du nombre d'enfants souffrant de malnutrition congénitale et d'atteintes au système nerveux central. Ces dernières années, 67% des nouveau-nés présentaient des troubles nerveux divers. Une étude du niveau nutritionnel des enfants de moins de cinq ans a montré que 10% d'entre eux souffrent d'un retard de développement (poids/âge) qui dénote une sous-alimentation chronique avec des déficiences dans les éléments nécessaires à un développement normal. L'alimentation des enfants est un des problèmes les plus graves de la société.

- Le manque de fonds dans le secteur de la santé

La Moldavie partage avec la plupart des autres pays en transition l'obligation d'avoir à mobiliser les sources de revenu nécessaires pour le budget, et d'assumer la décision difficile de couper dans les dépenses publiques. Les services publics ont été réduits en miettes du fait de la forte baisse des ressources disponibles alors même que la demande de services sociaux de base et de protection sociale augmentait. La situation des services de santé en particulier s'est détériorée de façon catastrophique, à un point tel que les médicaments de base, le chauffage et l'eau chaude manquent dans de nombreux hôpitaux. Une analyse comparative de la structure des dépenses publiques sur la période 1996-99 montre que la part relative des dépenses d'éducation et de santé a diminué, passant respectivement de 29 à 15% et de 18 à 10%. En même temps, le remboursement de la dette publique est passé de 9% à 31%.

Aussi bien dans le domaine de la santé que dans celui de l'éducation, il existe un système de paiement informel pour les services, en espèces ou sous la forme de "cadeaux", ce qui équivaut de facto à un système privé d'éducation et de santé. Selon des données non-officielles, les dessous-de-table pour les soins de santé atteignent le niveau d'un autre budget d'État pour le secteur. Avec la privatisation des réseaux pharmaceutiques, l'accès de la population aux médicaments est devenu un problème réel en Moldavie. Il existe un prix non affiché pour les actes chirurgicaux et les autres interventions, alors que la gratuité des soins de santé est toujours garantie par la Constitution. Ainsi, les maladies demandant une hospitalisation présentent un coût tout à fait inabordable, le malade devant tout fournir depuis le linge de lit jusqu'aux seringues. Ce sont les pauvres qui souffrent le plus de ces évolutions, n'ayant pas les moyens de payer le prix officieux, et perdant ainsi tout accès aux services les plus importants. Les familles pauvres ont recours aux services de santé primaires 40% moins souvent que les autres.

Les dépenses de santé, d'éducation et de protection sociale font l'objet d'une rationalisation, en clair ils font l'objet d'une coupe sombre, conformément aux recommandations du Projet de réforme du secteur public et du secteur de la santé de la Banque mondiale. La décision de fermer tous les hôpitaux au niveau de la commune et du district, en ne laissant qu'un hôpital par comté (Judet) va rendre l'accessibilité géographique des services de santé très difficile. Le nombre d'obstacles à surmonter pour atteindre l'aide dispensée par les services est énorme, et cela peut parfois être une entreprise impossible pour les personnes pauvres ou âgées. La situation en ce qui concerne le téléphone est déplorable dans de nombreuses communes. La plupart des ambulances manquent des médicaments et équipements indispensables. La population rurale se trouve confrontée à des conditions qui ne sont « pas la vie, mais la survie ».

La situation de la commune de Budai (Telenesti) peut être donnée en exemple. La fermeture de l'hôpital et de la polyclinique de la commune obligera à débourser cinquante Lei pour le transport à l'hôpital du Judet d'Orhei par des moyens privés, et seize Lei en ambulance. La desserte par les transports en commun n'intervient que trois fois par semaine, et ne touche pas chacun des quatre villages de la commune. Un médecin de Budai a raconté le cas d'une jeune mère dont l'enfant de dix mois était atteint de méningite et qui a fait à pied les quinze kilomètres pour aller à l'hôpital de Telenisti (hôpital de district qui doit être fermé prochainement) parce qu'elle n'avait pas l'argent pour appeler une ambulance. La distance d'Orhei à l'hôpital du Judet est de quatre-vingt kilomètres.

Conclusion

L'appauvrissement massif et rapide de la population a fait de la Moldavie un pays en développement2 au sens propre du mot, à la périphérie de la riche Europe. Au cours de ces derniers mois, la situation a malheureusement encore empiré sous l'effet de la crise russe. Un changement radical des politiques économiques et sociales s'impose de façon évidente. Les huit années qui viennent de s'écouler ont montré que l'approche néo-libérale classique pour réformer l'économie conjuguée à une attitude hésitante du gouvernement peut avoir des effets dévastateurs. Ce serait faux d'en conclure que la réforme n'a pas été assez « profonde » ou « rapide ».

Elle a été orientée dans la mauvaise direction, négligeant les besoins micro-économiques et sociaux et s'attachant étroitement à la stabilité macro-économique.

Cette situation économique dure a amené des conditions de vie insupportables aussi bien dans les zones urbaines que rurales. Une partie de la population, à la recherche de ressources pour survivre, émigre des villes vers les campagnes. La situation dans les zones rurales n'a rien de prometteur. La petite taille des parcelles distribuées aux agriculteurs après la privatisation des fermes étatiques et collectives et le manque de matières premières, d'équipement et de machines ont entraîné la transformation de l'ancienne agriculture intensive en une agriculture de subsistance. L'absence de possibilité d'écouler la production agricole sur le marché exacerbe la pauvreté dans les campagnes.

L'émigration à l'étranger pour travailler est devenue pour beaucoup la solution désespérée à la recherche d'une stratégie de survie. La perte de l'accès aux soins de santé constitue l'une de formes d'exclusion sociale qui font partie des conséquences de la transition en Moldavie.

Le gouvernement traite le problème crucial de la réforme sociale principalement du point de vue financier, en ignorant les coûts sociaux de la transition. Avec comme facteurs aggravants la disparition du droit à l'emploi sur le marché du travail, la faiblesse des institutions, une législation peu cohérente, et le manque de ressources financières pour l'application des lois, toutes ces circonstances de la nouvelle économie de transition créent une situation où la sécurité économique et sociale de l'État moldave approche une limite critique.

1 De fait, le lei moldave est resté relativement stable. En 1994, un US $ valait 4,06 lei, et 4,61 en 1997.

 Dans le sens de « pays du tiers monde ».

1 De fait, le lei moldave est resté relativement stable. En 1994, un US $ valait 4,06 lei, et 4,61 en 1997.

 Dans le sens de « pays du tiers monde ».

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