Questions
Christian Ferrier, responsable d’un service d’AEMO judiciaire
On vient de parler de la Convention européenne des droits de l’homme comme un outil de protection au service des familles. Moi, je voudrais savoir en quoi cette Convention pourrait être un outil de défense des familles, mais pour les travailleurs sociaux ? S'il faut bien reconnaître qu’il existe des placements abusifs, il n’en demeure pas moins que ces placements sont prévus dans tous les textes. S’ils sont prévus, cela veut dire qu’ils sont possibles, ils peuvent être aussi souhaités par les familles. Moi, j’ai rencontré des familles qui souhaitaient, comme une mesure d’aide, que l’on place leurs enfants temporairement. Les placements peuvent être souhaitables dans l’intérêt de l’enfant. Toutes ces choses sont prévues. Un des aspects de ce problème qui me paraît important, c’est la non-existence de modalités de procédures ou d’actions pour réduire la durée de ces placements. Et pour faire en sorte qu’ils soient réduits au strict nécessaire et que leur aspect temporaire, que tout le monde est bien d'accord pour reconnaître, devienne aussi un aspect transitoire, c’est-à-dire que l’on passe d’une situation qui a généré le placement à une autre situation qui permette le retour de l’enfant en famille. Moi, je me place du côté des travailleurs sociaux : nous sommes relativement démunis, complètement dépourvus d’outils actuellement, dans le cadre professionnel, pour faire un travail de réhabilitation familiale. Comment peut-on faire pour changer les conditions qui ont prévalu au placement et faire en sorte que les familles, dans une démarche de réhabilitation, puissent retrouver leur enfant ? Je voudrais savoir s’il existe, au niveau de la Convention européenne des droits de l’homme, des obligations faites aux États ou des obligations faites aux services publics pour mettre en place des modalités, des procédures, des actions qui permettent effectivement que le placement soit temporaire et que la phase de transition existe ? Je voudrais savoir aussi s’il existe des moyens de recourir contre les États s'ils n’ont pas mis en place ces obligations lorsqu'elles existent ?
Lise-Marie Schaffhauser, formatrice au CNFPT, centre de formation du personnel de l'administration territoriale en droit de la famille
Je pense, en vous écoutant, à un autre outil dont on n’a pas parlé, qui est récent en France : l’existence du Défenseur des enfants. En effet, tout ce que l’on a dit dans la Convention européenne sur le droit de vivre en famille, la Convention des droits des enfants le dit aussi, autrement, mais on peut aussi l’utiliser. Et on a un outil récent qui date du mois de mai dernier en France, c’est le Défenseur des enfants. Il a la capacité de faire des propositions au service public pour modifier les choses, il fait un rapport qui est rendu public. Le premier n'était pas tout à fait rien, mais je pense que celui de l’année prochaine sera bien plus consistant sur tout un tas de sujets. C’est un autre outil qui me paraît intéressant aussi à utiliser.
Annelise Oeschger, volontaire d’ATD Quart Monde et déléguée d’ATD Quart Monde auprès du conseil de l’Europe
J’ai été très intéressée par l’article 33 qui prévoit la requête interétatique, dont vous avez dit, bien sûr, qu'elle est diplomatiquement délicate. Mais je me dis que si des États peuvent se mettre ensemble pour bombarder Belgrade pour faire respecter les droits de l’homme, les États peuvent aussi se mettre ensemble pour faire respecter d’autres droits de l’homme, dont on parle beaucoup moins. Je crois que c’est vraiment important que l’on situe les choses à ce niveau très haut. Et il faut que l’on répande cela dans l’opinion publique pour que les choses qui étaient impensables il y a dix ans, deviennent courantes dans cinq ans.
Sabine Pirovani, chargée de mission à l’Association des amis de sœur Emmanuelle
Je voulais vous poser une question par rapport à ce que vous avez dit, M. Bossan. C’est vrai que cela a l’air assez alarmant de voir le taux de plaintes qui sont rejetées, vous avez dit que neuf sur dix échouaient pour cause d’irrecevabilité. Donc, je voulais savoir si ces conditions de recevabilité avaient un lien avec la procédure de recours, puisque vous nous avez dit qu’il fallait avoir fait le tour des recours possibles dans les pays ou bien est-ce le fait d’autres conditions de recevabilité ?
Nadine Lambert, militante ATD Quart Monde
Il y a quelque chose que je n’arrive pas à comprendre : les familles qui ne savent ni lire, ni écrire, ne sont pas au courant des lois qui existent, cela n’est pas mis assez souvent en avant. Quand les familles vont devant un juge ou devant une assistante sociale, on ne leur explique pas pourquoi. Parfois on le leur explique en termes juridiques mais les familles ne comprennent pas.
Céline Pontais, ATD Quart Monde
Je voudrais une précision en ce qui concerne la deuxième limite aux ingérences : le but du placement doit être d’unir à nouveau parents et enfants et vous dites que les parents n’ont pas à prouver qu’ils sont capables d’élever leur enfant pour le récupérer.
Chantal Jouan, militante ATD Quart Monde
Je voudrais savoir comment les rapports sont rédigés au niveau de la Cour. Comment les rapports sont-ils perçus ? On n’a pas beaucoup parlé des rapports sur nous, les familles en situation de pauvreté, considérées comme étant dans l’incapacité d’élever nos enfants. Comment sont rédigés ces rapports ? C’est vrai qu'un travailleur social, une personne très haut placé fait un rapport, mais elle ne peut pas penser à notre place, nous, les familles.
Réponse de Françoise Tulkens
Je voudrais partir de la question qui dit : « Comment peut-on connaître, comprendre le droit », ces règles de droit dont on dit qu'elles s’appliquent à vous. C'est la première observation qui est pour moi essentielle, c’est tout ce travail dans lequel il faut s’investir le plus possible qui me paraît premier, radical car c'est prendre les choses à la racine que d'assurer l’information et la formation. Ces règles de droit qu'on vous applique, elles vous appartiennent, c’est absolument clair. Donc, le premier mouvement de connaissance, de diffusion de « tout ce savoir juridique » qui doit être un savoir partagé, me paraît une étape fondamentale. Sinon je dirais que c’est intolérable qu’un droit que l'on proclame comme étant démocratique, qui provient du peuple, en fait n’est pas partagé par celui auquel il appartient. Donc, cela c’est une exigence que je mettrais en premier et je dirais, en ce qui me concerne, tout simplement, pour tout ce qui est de la Convention, et bien, je serais prête à expliquer, jour et nuit, « pourquoi », « qu’est-ce que c’est », « d’où cela vient » pour que l’on puisse partager ensemble ce bien. Cette Convention, on en a parlé comme d'un outil, mais c'est aussi un bien, un trésor que l'on doit partager ensemble.
Deuxième élément de réponse, lorsque vous avez évoqué le Défenseur des droits de l’enfant, la Convention des droits de l’enfant, je veux un peu généraliser cela. Il y a différents textes juridiques aujourd’hui, tant au niveau national qu'au niveau international, et quand je dis international, c’est aussi bien dans le cadre de l’Europe que dans le cadre universel des Nations Unies. On ne peut pas dire qu’il y en a trop peu, il y en a même peut-être un peu trop. Il y a beaucoup de textes qui garantissent le droit à la famille, aux enfants, des droits multiples mais ces différents instruments ont des portées différentes : le Défenseur des droits de l’enfant se rapproche davantage d’un organisme de médiation, chargé de signaler des situations et de les faire porter, de les amener vers les autorités ou les responsables compétents pour qu'ils se rendent compte effectivement de la nature des situations qui les entourent. La Convention des droits de l’enfant des Nations Unies est un document important que l’on doit également pouvoir utiliser mais il n’y a pas de mécanisme de contrôle à la Convention des Nations Unies, il n’y a pas une Cour pour la mettre en œuvre, mais en revanche il y a d’autres choses. La Convention des Nations Unies exige des rapports qui doivent être remis, tous les cinq ans, par tous les pays, à un Comité des droits de l’enfant qui examine si les pays mettent bien en œuvre les droits qu’ils proclament. Vous savez entre les textes internationaux que les diplomates signent - comme j’ai vu signer ce protocole n°12 à Rome, signer, ce n'est rien, c'est vite fait - entre la signature diplomatique, donc, et la mise en œuvre réelle, il y a un monde. Et bien les rapports que doivent faire les pays au Comité des droits de l’enfant doivent être solides. Si vous, si nous ne nourrissons pas ces rapports de la réalité de toute la mise en œuvre des droits, ces rapports resteront des rapports, des morceaux de papiers administratifs.
Donc, je trouve vraiment important que, dans tout ce mécanisme de contrôle constitué par des rapports que les États doivent faire sur la mise en œuvre de leurs droits, ces rapports soient nourris par les expériences individuelles et sociales de ceux qui sont confrontés aux réalités du terrain. Sinon, ce sont des mots, ce sont vraiment des chiffons de papier.
En ce qui concerne la Convention européenne des droits de l’homme et son mécanisme de contrôle, je réponds à votre question, il est évident que la Convention ne prévoit - et c’est en même temps sa force - que des dispositions générales. La Convention énonce un droit, le droit au respect de la vie privée et familiale et ce qui en découle, obligations positives, obligations négatives. La Convention ne va pas donner des éléments concrets d’intervention pour répondre à la situation que vous posez. Quels sont les outils que vous pouvez avoir, notamment pour assurer une réhabilitation et une aide réelle aux familles, pour que le placement temporaire, qui peut être justifié en certaines circonstances évidemment, puisse, à un moment, se terminer parce qu’on a pu ensemble, avec la famille, trouver une solution ? Il est évident que vous n’allez pas trouver dans la Convention une mesure concrète à cet égard-là, mais vous allez trouver dans la Convention une ligne de conduite qui va vous permettre d’interroger l’État quant à ses obligations. Si la Convention dit : « Il faut assurer le droit à la vie privée et familiale », cela implique que l’État prenne toutes les mesures pour assurer le maintien de l'enfant dans sa famille et prévoir, concrètement, des éléments, des facteurs, des moyens à mettre à votre disposition, pour permettre la réhabilitation et permettre, à un moment donné, que le placement se termine. Donc vous allez trouver dans la Convention non pas des outils techniques mais des outils généraux qui permettent à un moment donné d’interroger l’État quant à la portée de ses obligations. Et c’est toujours comme cela que les affaires arrivent devant la Cour, c’est qu’à un moment donné, il y a eu quelqu’un, une personne ou un groupe, qui a eu cette forme d'imagination de dire : « Puisqu’il n’y a pas effectivement à la disposition des services sociaux de réels moyens et qu'ils sont sans aucune possibilité d'intervention, est-ce qu’en définitive cela ne place pas l’État face à son obligation de respecter la vie privée et familiale ? » Mais, bien entendu, il faut partir d’orientations générales et les pousser dans leurs dernières extrémités. C’est comme cela que le fonctionnement se fait.
Alors, vous avez demandé : « Est-ce que les parents doivent être capables de prouver qu’ils peuvent s’occuper des enfants avant de les récupérer ? » Non, la Cour ne va pas imposer aux parents de fournir cette preuve que, maintenant, ils sont capables de s’occuper de leurs enfants.