Ces dernières semaines, dans la belle église Offene Kirche au cœur de Berne, se tenait une exposition formidable, au titre prometteur : L’art tient tête à la pauvreté. Cette exposition a déjà eu beaucoup de succès dans trente villes d’Allemagne auparavant. Ici, elle était enrichie par des artistes suisses vivant la pauvreté. C’était pour moi un réel espoir : la passion de grands artistes intimement liée au cri et à la force cachée du pauvre qui se révèle …
Dans ce cadre, Nelly Schenker […] a aussi pu exposer trois de ses tableaux […]. Ils sont nés en elle comme un reflet de ce temps : Tremblement de terre en Haïti, Toile de la faim (inspirée par cette amie à ses côtés, qui souvent a faim […]).
Et finalement un merveilleux Poisson du futur qui signifie pour elle « que les gens apprennent enfin à partager sur cette terre, et qu’ainsi tout le monde ait suffisamment à manger… »
Mais lors du vernissage, ce fut la grande déception ! Nelly fait le tour de toute l’église, contemple la bonne cinquantaine d’œuvres… et ne trouve aucune trace de ses tableaux à elle ! Finalement c’est moi qui les découvre, au fin fond de l’église, dans l’escalier très peu éclairé, qui mène vers l’orgue … Elle monte à son tour, péniblement car ses jambes lui font mal. Ses tableaux sont là, comme cachés, posés sur le bord d’une des grandes fenêtres de l’église. Et aucune flèche n’indique qu’ici l’exposition continue… Alors la colère monte en elle : « Mais qu’est-ce que j’en ai marre de tous ces rejets à n’en plus finir ! »
Bien que d’accord avec elle, j’essaie de lui remonter le moral : « Mais pendant la journée c’est très beau ; quand la lumière entre par la fenêtre, ça leur donne du rayonnement … » J’ajoute : « Vos tableaux ne nous rappellent-ils pas aussi la force des vitraux, par leurs couleurs, leur côté assemblage de morceaux de la vie ? … » Elle reste d’abord pensive puis montrant son approbation d’un hochement de tête, elle dit alors, avec une certaine philosophie, que certainement les responsables ont aussi eu du mal à placer tous les tableaux dans cet espace bien limité…
Puis elle ajoute : « Pourquoi personne ne m’a dit tout cela en face ? Cela change tout, si on se regarde dans les yeux et qu’on s’explique. Mais comme ça, il me reste de cette expérience, à nouveau, comme un goût d’inachevé. Et ça blesse. Les responsables me disent d’abord : ‘On veut absolument que des peintres qui vivent dans la pauvreté participent aussi à cette exposition’… Pourtant après, ce sont les artistes connus (qui veulent faire quelque chose ‘pour’ les pauvres, et c’est louable !) qui sont mis, eux seuls, en avant. Et nous, une fois de plus, on n’existe pas… »
Le titre de l’exposition, c’était pourtant bien L’art tient tête à la pauvreté. Pour Nelly, du coup, cela a pris un autre sens : « C’est le monde de l’Art et de la Culture qui semble aussi résister à la pauvreté, encore et encore ! » Lors de la cérémonie de clôture de l’exposition, elle l’a dit avec force. Il me semble que c’est effectivement à méditer…
(Extrait du blog : http://unmondeautrementvu.blog.lemonde.fr/, 23 avril 2010).