Croisement des savoirs et pédagogie de l’opprimé

Itamar Silva

Traduction de Caroline Conus

p. 30-31

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Itamar Silva, « Croisement des savoirs et pédagogie de l’opprimé », Revue Quart Monde, 222 | 2012/2, 30-31.

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Itamar Silva, « Croisement des savoirs et pédagogie de l’opprimé », Revue Quart Monde [En ligne], 222 | 2012/2, mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5368

Ayant toujours vécu dans une favela, l’auteur se définit comme un militant/chercheur. Il fait ici une évaluation personnelle des points forts du colloque.

Je viens du Brésil, de Rio de Janeiro, et je suis lié au Mouvement des favelas de Rio. Je suis né dans l’une d’entre elles, et je continue aujourd’hui encore à y vivre. Et c’est à partir de là que je regarde le monde et exerce mon travail de militant/chercheur. Il est important de dire qu’à Rio de Janeiro il y a plus de sept cents favelas dans lesquelles vivent au moins 20 % de la population de la ville. Ces gens ont construit leurs maisons dans les lieux les plus difficiles où ne se trouvaient ni infrastructures ni services publics. Au fil des ans, ils ont obtenu des améliorations notables de leurs conditions de vie et aujourd’hui, ils luttent pour le droit à la ville et pour pouvoir continuer à vivre là où ils ont construit leurs habitations. C’est probablement en fonction de ce parcours que j’ai été invité par le Mouvement ATD Quart Monde à participer à ce colloque international qui s’interroge sur le thème de l’extrême pauvreté et de sa relation à la violence.

Créer les conditions d’un dialogue entre peuples

Tout au long de ces trois jours de rencontres, j’ai vécu une expérience très particulière qui, j’en suis certain, aura des conséquences sur ma vie personnelle et également sur mon travail. La diversité de personnes, de langues et de cultures réunies dans ce colloque confirme ce que nous sommes en train de dire : pour que les peuples se comprennent, il suffit de créer les conditions d’une rencontre et de leur permettre de dialoguer.

Haïtiens, Guatémaltèques, Français, Brésiliens, Libanais, Péruviens, Américains, Anglais, Burkinabés entre autres, chacun parle sa propre langue mais tous sont ouverts au dialogue et prêts à entendre l’expérience de l’autre. Il est évident que les différences existent et continueront d’exister, et lors de ce colloque, nous avons dû prendre du temps pour que des concepts tels que « violence », « extrême pauvreté » ou « paix » soient culturellement compris par chacun, à partir de sa conception du monde et de ses expériences concrètes.

La paix : un chemin

Ainsi, ce fut intéressant d’entendre les différentes opinions lors du débat, et d’arriver à des conclusions dans lesquelles tous ont pu se reconnaître. Celle-ci par exemple : « La paix est un chemin, qui part d’un individu pour atteindre la communauté, et cette communauté, nous devons la construire avec les gens d’autres pays. »

Cette idée, façonnée par des militants d’ATD Quart Monde, révèle la sagesse d’un peuple qui sait que la construction de la paix est la tâche d’un grand nombre de personnes, mais qu’elle doit naître d’une motivation personnelle et s’appuyer sur des faits concrets et qu’elle se renforce dans la collectivité. C’est un processus qui se construit dans la pratique quotidienne. « On ne peut pas lutter pour la paix sans connaître les plus pauvres ».

Une rencontre qui renforce notre courage et notre croyance

Suite à ces rencontres très enrichissantes pour ma vie personnelle, et pour mon travail de chercheur et de militant du Mouvement des favelas de Rio, je retiens quelques apprentissages et engagements, fruits de la réflexion collective de tous les participants :

- La misère, l’extrême pauvreté est une violence en soi, et c’est en tant que telle que nous devons la faire connaître. Nous devons rompre avec l’indifférence et ne pas accepter l’invisibilité de la misère, en l’établissant en termes de droits. Cela aussi, c’est lutter pour la justice.

- La paix que nous cherchons passe par la reconnaissance de l’autre, de son humanité, en opposition avec les processus de violence où l’autre est ignoré.

- La paix n’est pas un état passif mais un processus de construction et de lutte qui demande une participation active.

- Il était important de rencontrer à nouveau, avec la même méthodologie (celle du croisement des savoirs) les éléments de la pédagogie de l’opprimé initiée par le pédagogue brésilien Paolo Freire, qui fut si importante pour le mouvement d’éducation populaire au Brésil.

La diversité culturelle et linguistique, qui sert parfois de prétexte pour ne pas réunir les peuples, a fait la différence dans cette rencontre. La richesse humaine présente lors de ce colloque renforce notre courage et notre croyance en un monde possiblement meilleur. Il est nécessaire d’apprendre ce que ce peuple, disséminé et discriminé tout autour de cette planète, fait pour résister, survivre et transmettre encore de l’espoir.

Itamar Silva

Itamar Silva est coordinateur de l’Institut brésilien d’analyses sociales et économiques (IBASE) à Rio de Janeiro (Brésil).

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