Un appel anonyme avait alerté les enquêteurs.
Ce fait divers aurait pu s’arrêter là : une réaction saine aurait consisté à ne pas chercher plus loin face à une histoire dans laquelle le profond malheur d’un couple rencontre la misère d’une jeune femme, et les poussent à l’inacceptable.
Mais des précisions abondamment fournies par les enquêteurs et les médias ont permis de pimenter cette histoire en y injectant le venin de stéréotypes séculaires: le couple est, nous dit-on, composé de « gens du voyage de nationalité française plus ou moins sédentarisés », qui « a priori ne pouvaient pas avoir d’enfants », ont annoncé les enquêteurs aux médias qui n’ont pas pris une once de recul.
Quant à la mère biologique, qui a accouché le 29 mai à l’hôpital de Marne-la-Vallée, c’est une « femme rom » de 19 ans, résidant dans « un camp de Roms » de Champs-sur-Marne. Sa propre mère, âgée de 37 ans, est accusée de l’avoir convaincue de vendre le bébé pour 15.000 euros. Deux autres Roms auraient servi d’intermédiaires.
Selon les enquêteurs, la mère et la grand-mère ont avoué avoir vendu l’enfant avant de se rétracter. Là encore, un grand classique car on peut souvent s’interroger sur les conditions dans lesquelles les aveux initiaux ont été obtenus (présence de traducteurs, d’avocats, pressions psychologiques…).
Comment arriver à résumer ce que ce fait divers permet de remuer dans l’inconscient collectif: des « nomades voleurs d’enfants » du 19ème aux « trafics d’enfants » auxquels se livreraient massivement les Roms venus de l’Est notamment à des fins de mendicité dans nos pays riches. L’idée méprisable que finalement « ces gens là » aiment moins leurs enfants que les autres et les traitent comme des marchandises.
Ni les médias, ni les enquêteurs ne donnent de nationalité à la mère biologique, à la grand-mère ou à l’enfant: ils sont « Roms » et le présupposé est que nul autre être humain qu’un Rom ne pourrait vendre son enfant. Même si aux Etats-Unis ou en Belgique, il est légal de le faire par l’intermédiaire de la gestation pour autrui (GPA). Même si les agences d’adoption privées américaines achètent tous les jours des enfants dans des pays pauvres comme la Moldavie ou le Malawi et donc, vraisemblablement à des mères pauvres, Roms ou pas. Même si des célébrités donnent dans le passe-droit pour aller « faire leur marché » à l’étranger sans être inquiétées et parfois même en étant appuyées au sommet de l’Etat.
Mais les précédents cités dans la presse après cette affaire impliquent systématiquement « des Roumains » sans que l’on sache si ce sont des Roms mais le sous-entendu est là.
De même on peut s’interroger sur l’opportunité de préciser que les « acheteurs » sont des voyageurs. Il s’agit avant tout d’un couple en mal d’enfant. Et sont-ils d’ailleurs voyageurs, qu’est-ce qui permet de le dire à partir du moment où on les considère comme étant « sédentarisés ». Est-ce déontologique pour les journalistes de reprendre sans vérification ce qui est distillé par les enquêteurs ?
La presse et les enquêteurs se sont-ils arrêtés un seul instant sur les possibilités dont dispose un couple de voyageurs qui ne peut avoir d’enfant et aimerait adopter ? Le système d’adoption français, tellement restrictif, réservé aux mieux éduqués, aux plus riches, aux plus conformistes les prendrait-il un instant au sérieux ? Ou seraient-ils aussi rejetés de cette sphère là, si intime, si essentielle ?
En attendant la justice est passée, le couple a été mis en examen pour « recel de délaissement de mineur ».
La jeune mère a été mise en examen pour « délaissement de mineur » et écrouée à Fresnes. Elle encourt sept ans de prison et 100.000 euros d’amende.
La grand-mère est elle aussi mise en examen pour « provocation à l’abandon », un délit puni de six mois de prison et de 7.500 euros d’amende.
Pendant ce temps, la petite fille a été placée auprès de l’Aide sociale à l’enfance du département.
Nul doute que le fait que les mis en examens soient des gens du voyage et des Roms n’aura aucune incidence sur le cours du procès…