Dans une rencontre à Madagascar, alors que les familles sortent de semaines où les inondations ont tout envahi, on se questionne sur nos objectifs pour les années à venir. Madame Irène dit : « La priorité, c’est les droits humains. C’est mon quotidien de me battre pour qu’on soit respectés comme des êtres humains. À cause de mon dénuement, on m’a proposé de prendre mes petits enfants, j’ai refusé ». Comme la mère de Joseph Wresinski avant elle et tant d’autres parents qui vivent dans la misère. En Espagne, Tony aussi s’est arc-bouté devant l’assistante sociale. Debout au milieu du salon avec ses six jeunes enfants autour de lui, il nous raconte : « Lorsque nous n’avions encore que notre aîné, nous étions à la rue. L’assistante sociale que nous avons été voir ne nous a pas accordé l’aide d’urgence et nous avons dû beaucoup parler pour qu’elle ne signale pas notre situation à la Protection de l’Enfance. Nous nous sommes installés dans un bar désaffecté, au bord d’une rivière. Le lendemain, plusieurs voitures de police sont arrivées avec gyrophares, et on a été chassé comme des voleurs. Finalement, un voisin nous a donné une tente et de la lumière. Nous avons passé plusieurs semaines là. »
Aujourd’hui, il occupe une maison saisie par une banque parce que les propriétaires victimes de la crise financière n’ont pas pu payer le remboursement de leur prêt. Dans ce quartier résidentiel périphérique, les enfants se sont fait des amis et se sont intégrés dans l’école. Tony, lui, part chaque jour à vélo. Il parcourt des kilomètres avant d’arriver dans les rues de la capitale qu’il arpente à la recherche d’objets abandonnés par les autres. Il cherche dans les collecteurs de déchets ce qui peut être récupéré, réparé, recyclé, revendu. Dans la morsure du froid hivernal comme sous la brûlure du soleil d’été, il charge avec ingéniosité son vélo et le manie avec dextérité pour ne rien perdre en route. À la fin du jour, il est épuisé, parfois déçu, mais toujours déterminé à recommencer le lendemain pour que sa famille puisse vivre dignement. « Ce travail, je le fais pour que mes enfants vivent. Je ne supporte pas l’idée que dans le monde un enfant puisse mourir faute de vaccins, ou qu’il soit laissé pour compte, sans école, je ne supporte pas qu’on puisse séparer enfants et parents. Il y a trop d’injustice, les pauvres sont regardés avec mépris, certains sont condamnés à devoir toujours se battre pour survivre, alors que d’autres ont trop. Notre monde doit changer et je veux participer à ce changement. Il est temps de mettre l’humain au-dessus de tout ». Sa femme Raquel a dit la veille dans un groupe de travail : « Ce que nous vivons, je le partage. Mon expérience de la vie, c’est cela que je peux apporter dans le combat pour les droits de l’homme ». Madame Irène, Tony et sa femme Raquel continuent de se battre pour vivre en famille, et à travers cela pour bâtir une humanité où l’on pourra enfin grandir et vivre ensemble librement, « une humanité, comme le disait Joseph Wresinski, où les êtres humains n’auront plus à avoir peur les uns des autres, où chacun sera reconnu sujet de droit, semblable et égal de tous. »