« L’inclusion est [...] vue comme un processus qui aborde et réagit à la diversité des besoins chez les enfants, les jeunes et les adultes en augmentant leur participation dans les apprentissages, les cultures et les communautés, et en réduisant et éliminant l’exclusion au sein de et à cause de l’éducation. Elle implique des changements et évolutions dans les contenus, les démarches, les structures et les stratégies, avec une vision commune qui englobe tous les enfants d’un groupe d’âge approprié et la certitude qu’il est de la responsabilité du système d’éducation classique d’éduquer chaque enfant » (UNESCO, 2009, pp. 8-9)2.
Cette définition très complète de l’inclusion est essentielle en ce qui concerne les programmes et systèmes qui assurent la participation et la réussite pour des enfants dans le système d’éducation. De même elle est tout à fait pertinente pour aborder et réagir « à la diversité des besoins chez les enfants » à travers des programmes et dispositifs en lien avec la santé, la nutrition et la protection infantile. Elle rend évidents les liens cruciaux entre l’inclusion, la protection et le développement de la petite enfance (ECCD - Early Childhood Care and Development). L’inclusion répond aux divers besoins de chaque enfant ; elle favorise la participation non pas seulement dans l’apprentissage mais également dans la culture et la communauté de l’enfant ; elle concerne à la fois l’accès (l’exclusion des programmes ECCD) et la qualité (l’exclusion au sein de ces programmes) ; et pour qu’elle se réalise il faut mettre en œuvre une réforme complète des contenus, démarches, structures et stratégies d’un système d’éducation.
À l’origine, le terme « éducation inclusive » servait à désigner des dispositifs destinés à des enfants avec des besoins spécifiques / handicaps, mais de nos jours il s’applique à l’élimination de toutes les barrières à l’éducation. Parmi ces barrières, l’extrême pauvreté en est une des plus évidentes et des plus insolubles. Il est probable que les enfants de parents très pauvres n’auront pas accès à des programmes ECCD (qui seront, soit non disponibles, soit trop chers). Par conséquent ces enfants sont moins bien préparés pour faire face aux exigences de l’enseignement primaire et pour maîtriser la lecture, l’écriture et des notions d’arithmétique, tellement essentielles pour réussir ensuite à l’école.
La relation entre l’éducation inclusive et des programmes ECCD
La relation entre l’éducation inclusive et les programmes ECCD fonctionne dans deux sens. Tout d’abord, des programmes ECCD de bonne qualité sont essentiels pour déployer une éducation véritablement inclusive - L’Éducation pour Tous. Ici deux mécanismes sont à l’œuvre :
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en favorisant au sein de la famille - même avant la naissance - une nutrition et des soins de santé adéquats ainsi qu’une stimulation psycho-sociale et cognitive pour les très jeunes enfants - ce qui est très difficile à mettre en place pour les enfants des plus pauvres,
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en s’assurant que les enfants plus âgés puissent avoir accès à un accueil de jour et des programmes préscolaires de bonne qualité (encore une fois, difficile pour des familles vivant dans la pauvreté), qui renforcent l’état de santé et de nutrition de l’enfant, favorisent les compétences sociales, la confiance en soi, et la curiosité et soutiennent les apprentissages dans la petite enfance. Ces programmes réussissent mieux pour les enfants s’ils sont centrés sur des jeux significatifs plutôt que sur une préparation académique, et s’ils sont délivrés dans la langue maternelle de l’enfant.
En bref, de tels programmes, en plus de soutenir le bien-être global des enfants, les aident à être « prêts » pour l’école. Ils arrivent en CP en bonne santé et bien nourris, avec (au minimum) des compétences de pré lecture, et ils sont enthousiastes et prêts à apprendre. Cette « longueur d’avance » dans l’apprentissage et le développement est particulièrement précieuse pour les enfants vulnérables, qui sont souvent exclus de l’enseignement, surtout les enfants des plus pauvres, mais également les filles, les enfants handicapés, et les enfants venant des minorités ethniques et linguistiques. Ainsi cette préparation pour l’école contribue à les aider à rester à l’école et à y réussir. Un moins grand nombre d’entre eux redoubleront, moins quitteront l’école tôt, plus obtiendront des diplômes et plus continueront vers le niveau supérieur de l’éducation. Dès leur jeune âge ils deviendront « inclus » dans le système d’éducation.
La deuxième relation entre ECCD et l’inclusion revêt une importance égale. Les programmes de protection, de développement et d’enseignement pour les jeunes enfants doivent eux-mêmes être inclusifs. Ceci implique plusieurs caractéristiques. Les programmes doivent :
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être accessibles et d’un coût abordable, surtout pour les groupes défavorisés,
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faire la promotion de l’égalité des genres dans l’inscription et les résultats (par exemple, dans les programmes de santé et de nutrition, accueil de jour et préscolaires) , éliminer les stéréotypes basés sur le genre , mettre à disposition des installations, des supports d’enseignement et des méthodes d’enseignement adéquates pour les filles et les garçons , socialiser les filles et les garçons dans un environnement dépourvu de violence et encourager le respect pour les droits, la dignité et l’égalité de chacun,
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ne pas exclure, ni faire preuve de discrimination, ni imposer des stéréotypes basés sur les différences (par exemple de statut socio-économique, sexe, religion, caste, groupe ethnique, capacité),
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respecter et accueillir avec bienveillance la diversité et garantir l’égalité des chances,
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réagir à la diversité en la voyant comme une opportunité (au lieu d’un problème) et rencontrer les besoins différents des enfants de façon individuelle.
En théorie, étant donné la nature plus informelle des programmes ECCD, centrés sur l’enfant, il devrait être plus facile de les rendre inclusifs que les programmes plus formels dans les écoles primaires. Mais il est difficile à travers le monde pour les enfants défavorisés d’y accéder car très souvent les écoles maternelles sont réservées à une élite et dans le secteur privé. De plus, les méthodes d’enseignement et les supports d’apprentissage peuvent être stéréotypés, même dans des écoles maternelles. Plus inquiétant encore, beaucoup d’écoles maternelles deviennent de plus en plus formelles, car souvent les parents exigent une focalisation sur la préparation académique (par conséquent des examens d’entrée sont mis en place), plutôt que des interactions basées sur le jeu. D’ailleurs, la stratégie (logique en termes financiers) qui consiste à ouvrir des classes préscolaires dans des salles de classes sous-utilisées en école primaire avec des enseignants d’école primaire sous-utilisés risque de rendre ces classes plus formelles et peut-être moins inclusives.
L’exigence en question - que les programmes pour des jeunes enfants soient véritablement inclusifs - rend encore plus convaincante la définition de plus en plus acceptée du jeune enfant comme étant âgé entre 0 et 8 ans. Étant donné cette tranche d’âge il est nécessaire de garantir que les écoles primaires soient « prêtes » pour les enfants. Pour être prêtes les écoles doivent s’approprier les caractéristiques de l’inclusion énumérées ci-dessus. Elles doivent aussi consacrer des efforts spécifiques pour faire en sorte que les enfants - surtout les enfants vulnérables - qui viennent des écoles maternelles qui sont, espérons-le, moins formelles, et encore plus les enfants qui viennent directement de leur domicile puissent vivre une transition sans encombre vers l’environnement plus formel de l’école primaire.
L’importance des premières années à l’école
Il n’est pas facile d’assurer une telle transition sans heurts. Les classes de CP (qu’on pourrait décrire avec raison comme étant l’année la plus cruciale dans l’éducation de l’enfant) sont souvent les plus grandes dans l’école, les plus hétérogènes en ce qui concerne les capacités et les origines des élèves, les plus courtes en ce qui concerne le temps alloué à chaque tâche, et sont prises en charge par les enseignants les plus jeunes et les moins expérimentés, car les enseignants plus âgés préfèrent des classes plus petites et plus homogènes. Il n’est donc pas étonnant de constater que les enfants venant des familles les plus pauvres, sans aucune expérience préscolaire et bénéficiant d’un soutien familial très limité (par exemple des parents probablement peu éduqués, un environnement à la maison moins propice aux études) trouvent cette transition extrêmement difficile.
Mais c’est pendant les premières années de l’école primaire que les capacités, besoins et styles d’apprentissages individuels des enfants doivent être évalués ; que les méthodes d’enseignement doivent être personnalisées pour s’adapter à ces caractéristiques individuelles ; que la lecture doit être maîtrisée, de préférence dans la langue maternelle de l’enfant ; et que les difficultés de comportement et d’apprentissage doivent être repérées et traitées. Ce besoin - que l’école s’adapte aux besoins de l’élève plutôt que l’élève qui s’adapte aux besoins de l’école - est également une composante essentielle de l’éducation inclusive.
Il est particulièrement difficile pour l’école de s’adapter à des enfants venant des familles vivant dans l’extrême pauvreté. Ce n’est pas seulement une question du coût de beaucoup d’écoles maternelles (souvent uniquement privées) disponibles dans une zone donnée (un problème qui pourrait être réduit par exemple par des transferts de fonds à des familles qui s’engagent à inscrire leurs enfants dans des programmes ECCD). La difficulté vient également des enseignants qui ne veulent pas et/ou ne peuvent pas comprendre les défis qui attendent de tels enfants lorsqu’ils entrent dans l’éducation formelle. Autrement dit, la plupart des enseignants ne sont pas sensibilisés lors de leur formation initiale et leur formation continue, aux problèmes et défis auxquels ces enfants sont confrontés - et ils sont encore moins formés à des méthodes qui permettraient aux enfants de surmonter ces problèmes.
Une inclusion réciproque
Heureusement, partout dans le monde de plus en plus de personnes sont sensibilisées à l’importance de l’ECCD et de l’éducation inclusive. Mais les cadres et concepts qui les caractérisent ont rarement été liés de façon explicite. Des efforts entrepris récemment pour s’assurer simultanément que les enfants soient prêts pour l’école - pour qu’ils soient « inclus » dans le processus d’apprentissage - et que l’école soit prête pour les enfants - pour qu’elle les « inclue » dans le processus d’apprentissage - ont démontré leur efficacité pour rendre ces liens plus explicites. Centrer ce processus encore plus sur l’inclusion des millions d’enfants vivant dans la pauvreté - avec leurs défis spécifiques pour être prêts pour l’école et pour s’assurer que l’école soit prête pour eux - doit devenir une tâche centrale dans le cadre des objectifs de développement après 2015.