Tri des déchets en Afrique

Traits d’union France-Togo

p. 31-33

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Traits d’union France-Togo, « Tri des déchets en Afrique », Revue Quart Monde, 250 | 2019/2, 31-33.

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Traits d’union France-Togo, « Tri des déchets en Afrique », Revue Quart Monde [En ligne], 250 | 2019/2, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8003

Les sachets plastiques sont une des plaies de l’Afrique. Comment un petit village de brousse s’est-il organisé pour les collecter, et pour rejoindre un projet de recyclage plus large, développé par une entreprise togolaise ?

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Ecologie

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Togo

Autrefois, le monde rural qui vivait en autosuffisance produisait peu de déchets et l’on pourrait être tenté de penser que les villages retirés du continent africain vivent à ce rythme. Mais il n’en est rien, les petits sachets plastiques sont des contenants peu chers et utilisés partout pour emballer la moindre portion de petits poissons, de nourriture que les femmes vendent au marché… Tout est mis dans ces petits sacs et chaque jour ce sont des milliers de sachets plastiques qui circulent et s’infiltrent partout jusque dans les campagnes les plus reculées.

Le village de Sangayilao (3 000 habitants) dans la région de la Kara (province de la Binah) au Nord du Togo : là, pas d’électricité, pas de piste goudronnée, une agriculture vivrière qui ne parvient pas toujours à nourrir la famille ; là, on mourait jusqu’à peu de morsures de serpent en travaillant dans les champs ; deux puits seulement pour tout le village qui est très étendu (et partagé en plusieurs quartiers, sorte de « hameaux ») ; des enfants qui peuvent faire une heure et demie de chemin à pied pour rejoindre l’école. Mais l’organisation villageoise fonctionne, les enseignants croient à l’école, les mamans se relaient pour faire la cantine, les pères reversent une part de la récolte pour l’alimenter, des femmes s’organisent entre elles pour apprendre à lire… Une petite association Traits d’union France-Togo (TU) soutient ces initiatives depuis dix-huit ans.

Le pari est lancé

Un jour lors d’une visite, un chef de quartier, nous a parlé en kabyé (traduit par le responsable togolais) de sa préoccupation : ils avaient perdu dix petits animaux (moutons, pintades, poules, petits cochons) au cours de cette année.

Nous lui avons demandé si les petits sachets qui se trouvaient partout sur le sol ne pourraient pas avoir un lien avec la mort des animaux ?

Cela a été le déclic ; le lendemain lors d’une réunion plus importante à l’école avec le chef de village, les enseignants et les chefs de quartiers, nous réfléchissons tous ensemble. Le pari a été lancé : si on lançait une collecte des déchets !

Dans le quartier où les habitants avaient constaté les pertes, ils ont décidé de ramasser les sachets pour voir si cela aurait une incidence sur la mort des animaux. Mais comment s’organiser (il n’y a aucun système de ramassage) ? 

Un des animateurs endogènes, Nicolas Kézié et le responsable de l’association Assoubou Kondabalo ont émis l’idée de creuser une fosse éloignée des habitations et recouverte d’une tôle pour des raisons de sécurité. C’est ce que les villageois ont fait dans ce quartier « expérimental ». L’association a fourni les moyens pour acheter un panier dans chaque habitation.

Que faire des déchets ?

Après une année, les villageois s’étant rendu compte que plus aucun animal ne mourait, ils ont décidé d’étendre le ramassage des sachets et autres déchets à tous les quartiers.

Un comité de recyclage a été créé dans chaque quartier.

Les enseignants ont joué un rôle primordial dans ce projet pour sensibiliser les enfants et les parents. Ils ont demandé à installer des paniers dans les classes.

Mais que faire de tous les déchets collectés ?... Les enterrer ne semblait pas une solution pérenne.

L’association TU a fait des recherches pour trouver des solutions de réel recyclage, mais sans succès (rien n’était organisé au niveau de la région de la Binah).

Après de nombreuses démarches, nous avons découvert à Lomé qu’Eden Almeida, ayant une partie de son activité en France, avait créé une entreprise de recyclage Africa Global Recycling dans le but de développer son pays. Cette entreprise a démarré avec quelques salariés, elle vise à valoriser les déchets en les réintégrant dans le processus de production. Ces employés ont la fierté d’inverser le processus habituel (déchets d’Europe vers l’Afrique) et d’exporter des matières premières secondaires. La condition de vie au travail est au cœur de leur organisation (prévention des accidents, etc.). Actuellement, plus de trente personnes y travaillent. L’entreprise collecte essentiellement des déchets industriels.

Après plusieurs rencontres avec des responsables de Africa Global Recycling afin d’envisager une solution de recyclage pour les déchets collectés à Sangayinlao, nous avons pensé qu’il était important que les villageois eux-mêmes puissent visiter cette usine (et par là-même découvrir leur capitale). Le chef de village et des animateurs se sont rendus à Lomé. Ils ont pu se rendre compte à quel point le recyclage était une affaire importante et organisée. Ils ont pu le répercuter dans le village. Une seconde visite a eu lieu avec une représentante des mamans, conscientes de l’importance des femmes dans le projet, « Parce que les femmes, c’est comme les hommes maintenant… ».

Si Africa Global Recycling était d’accord de racheter les déchets collectés par les villageois, comment les acheminer à Lomé (sept heures de route) ?

Les habitants ont cherché, et le directeur de l’école a proposé une solution : par des chauffeurs (de la ville voisine) qu’il faudra rémunérer.

« Nous serons le pilote du projet »

Les habitants se sont rendu compte des améliorations apportées depuis qu’ils ramassent et ne jettent plus ces petits sacs.

Ils avaient remarqué que leurs plantations ne poussaient pas bien et ont fait le lien avec tout ce plastique noir enfoui au fil des années dans la terre : la matière plastique empêche l’eau de s’écouler normalement et perturbe la pousse du maïs…

Célestine : « Chez nous le tri des sachets a réduit la mortalité des animaux. Avant, les sachets étaient abondants et les animaux mangeaient et ils mouraient. »

Des mamans disent quel plaisir elles ont le matin quand elles ouvrent leur porte de voir « de la propreté devant chez elles ». Elles ajoutent combien c’est rassurant de ne plus voir leurs petits-enfants assis dans la cour, mettre à la bouche ces sachets (et les piles usagées).

Les enseignants ont été très impliqués dans la réussite de ce projet et maintenant l’Inspecteur, Mr Kpangban Eglou (et son conseiller pédagogique Mr Wassi Abesse) ont décidé non seulement de le soutenir mais de l’étendre à toute la circonscription.

Mr le directeur de l’école rapporte :« Mr l’Inspecteur souhaite faire un lancement auprès des autres directeurs et nous serons comme pilote pour toutes ces écoles. Avec ces sachets-là, quand ça pullule partout à l’école, dans le milieu, c’est quelque chose qui agit beaucoup, sur la vie, sur la santé des animaux comme des hommes… »
« On doit faire un effort, même si au retour on n’y gagne rien comme intérêt ; ce que nous gagnons, la santé, ça dépasse tout… C’est pour cela que nous devons tenir…
Tout ce que nous voulons faire, c’est pour amener nos enfants plus tard à se prendre en charge… Il faut qu’on les amène à petits coups à savoir gérer leur vie pour leur santé, gérer leur milieu pour leur santé. »

L’entreprise de recyclage de Lomé envisage de se développer dans le pays et assure que Sangayinlao sera son village expérimental.

De l’initiative et du courage de personnes qui ne sont pas parmi les plus favorisées, un élan est parti, il a atteint une entreprise innovante dans la capitale, il s’étend dans la région. Quelle fierté pour les habitants, sans qui rien n’aurait pu démarrer ! Ensemble, ils agissent pour la protection de l’environnement sur le continent africain.

Traits d’union France-Togo

Traits d’union France-Togo est une petite association créée en 2002 pour soutenir les initiatives de villageois autour de leurs écoles au Togo ; elle agit en lien avec PHI-Tarn (Pharmaciens sans frontières). Les habitants (chefs de quartier, animateurs) et les enseignants des écoles sont les principaux acteurs et initiateurs des actions entreprises.

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