Du revenu de base inconditionnel au revenu de transition écologique

Sophie Swaton

p. 37-41

References

Bibliographical reference

Sophie Swaton, « Du revenu de base inconditionnel au revenu de transition écologique », Revue Quart Monde, 250 | 2019/2, 37-41.

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Sophie Swaton, « Du revenu de base inconditionnel au revenu de transition écologique », Revue Quart Monde [Online], 250 | 2019/2, Online since 01 December 2019, connection on 02 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8007

L’auteure éclaire les enjeux des propositions concernant le revenu de base inconditionnel ou le revenu de transition écologique. Elle le fait au regard de la stigmatisation des pauvres, en lien avec les questions du travail des personnes ayant peu de qualification et les questions d’éradication de la pauvreté et enfin l’écologie.

Index de mots-clés

Ecologie

Parmi les arguments qui prévalaient dans les années 1990 pour défendre l’introduction d’un revenu ou d’une allocation universelle, on retrouve en 2018 la lutte contre le chômage et la pauvreté. Malgré l’introduction de différentes mesures d’assistance, la pauvreté et le chômage, dénoncés depuis la fin des années 1980, sévissent encore. En France, la moitié des ayant-droit au RSA ne le perçoivent pas en partie à cause de la complexité des procédures administratives à mettre en œuvre pour sa perception. D’où le regain d’intérêt autour du RBI1 dans le débat politique aussi bien que dans les milieux académiques.

Le versement automatique d’un revenu de base permettrait d’éradiquer la stigmatisation, les plus précaires n’ayant pas à souffrir de faire la moindre démarche pour obtenir un revenu perçu comme un droit pour tous. De plus s’ajoutent, parmi d’autres, deux types de plaidoyers : d’une part, ceux qui craignent des vagues de licenciements avec l’amorce du numérique et de la robotisation, rendant obsolètes certains emplois et même certaines catégories de travailleurs insuffisamment qualifiés désormais ; d’autre part, ceux qui plaident en faveur d’une transition écologique qu’un revenu de base pourrait permettre d’accélérer.

Toutefois, et c’est ce qui pose problème, ces arguments coexistent avec d’autres comme la relance de la croissance, du marché automobile, ou de la consommation sous toutes ses formes. En outre, certains plaident pour une refonte totale du système de protection sociale en place et pour l’instauration d’une taxe unique / imposition unique (flat tax) qui supprimerait aussi la relation de face à face qu’entretiennent les plus précaires avec les assistant.e.s social.e.s.

En conséquence une mesure telle que le RBI est défendue aussi bien par la droite de la droite et les partisans du néolibéralisme – au nom d’une restructuration de nos mécanismes de protection sociale – que par ceux qui croient vraiment à la fin du travail pensée comme une activité uniquement spoliante, reflétant l’exploitation des travailleurs.

Mais peut-on tenir ensemble, dans une seule mesure autant d’arguments contradictoires ? Selon le point de vue duquel on parle, le revenu de base inconditionnel peut être qualifié aussi bien de projet solidaire que de projet (ultra) libéral. De plus, au-delà de l’urgence climatique, est-ce vraiment la fin du travail, et de quel travail parle-t-on ?

Travail : deux conceptions opposées

En France en particulier, en Europe en général, ce sont deux conceptions du travail qui s’affrontent : celle prônant un travail qui aliène et dont il faut s’affranchir dans une société post-capitaliste dans laquelle chacun serait à même de mener les activités de son choix. Et une autre conception du travail, perçu comme facteur de reconnaissance et d’émancipation auquel tout le monde a droit. Dans cette conception du travail, l’épanouissement a un sens, et un travail choisi peut avoir plus d’attrait qu’un loisir.

Or, aujourd’hui l’OIT (Organisation internationale du travail) annonce 60 millions d’emplois à venir dans la transition. Il n’y a donc pas un manque d’emplois en soi, dans tous les secteurs évoqués, du bâtiment à la mobilité, en passant par la rénovation, l’alimentation et les énergies renouvelables. Mais la difficulté à mon sens est que l’on manque de visibilité sur ces emplois : on identifie des secteurs mais quels exemples d’emplois peut-on concrètement donner et pour quel type de travailleurs ?

Le RBI vise à donner à chacun la même chose, en l’occurrence un même montant monétaire. Le fondateur d’E-bay répond à la transition numérique et aux vagues de licenciement en cours et à venir par une expérimentation de RBI au Kenya en investissant 500 000 dollars. Ne baisse-t-on pas trop rapidement ainsi les bras sur les emplois en accentuant en prime un sentiment d’inutilité ?

Précisément, le dispositif du revenu de transition écologique (RTE)2 est pensé directement dans le cadre de l’impératif majeur de nos sociétés en transition : la nécessité de réduire drastiquement notre empreinte écologique, en alliant écologie et social. Et de commencer, pour ce faire, par soutenir prioritairement les activités qui participent déjà de cette nouvelle économie, rentable mais dans une limite compatible avec le respect de la biosphère et sa capacité à se régénérer. Par exemple, l’agro-écologie, la permaculture, l’économie symbiotique, circulaire, de fonctionnalité.

Les trois composantes du dispositif de RTE

Le dispositif du RTE s’appuie sur trois composantes et pas simplement sur un revenu monétaire inconditionnel comme dans le cadre du RBI :

  1. Un revenu bien entendu dont le montant peut varier et en soutien direct à une activité de type écologique ou social compatible avec les limites de la biosphère. Tous les métiers sont à remplacer sous le prisme de la durabilité.

  2. Ce revenu est complété par un accompagnement sur mesure pour les porteurs de projets qui manque aujourd’hui trop souvent à leur réalisation : par où commencer pour se lancer dans ces nouveaux métiers ou dans une nouvelle activité ? Le dispositif du RTE doit permettre ce cadre.

  3. Enfin, est également prônée l’adhésion à une structure démocratique au sens large du terme, favorisant le sentiment d’appartenance et la mutualisation des projets, au-delà d’un versement monétaire individuel.

Car, qu’on le veuille ou pas, le travail reste un fort facteur de reconnaissance sociale, et peut encore être un facteur d’épanouissement. C’est précisément le cas pour cette vague de plus en plus forte des actrices et acteurs de la transition qui se lancent dans de nouveaux métiers compatibles avec une empreinte écologique faible. Ces initiatives s’organisent autour de communs à protéger, sur des territoires bien identifiés. Ce sont des communs sur chaque territoire qu’il s’agit de repérer (eau, forêts, ressources naturelles), pour les protéger et en s’appuyant, ce qui est fondamental pour son acceptabilité, sur les dispositifs et ressources humaines déjà existantes : collectifs de citoyens engagés, politiques motivés, municipalités, associations actives et ONG.

Rassembler et partir de ce qui existe

Pour mettre en œuvre un dispositif de RTE, il semble pertinent de partir de ce qui existe, notamment en ce qui concerne les processus d’accompagnement : pas dans une optique de soumission des ayant-droit, mais à travers un paradigme radicalement nouveau de co-construction et de partenariats actifs. De multiples associations qui œuvrent pour le retour à l’emploi (Solidarité Nouvelle face au Chômage en France par exemple, ou les Territoires zéro chômeur de longue durée) ont déjà des méthodologies adaptées qui ont fait leur preuve : partir du volontariat et des compétences des personnes, savoir sur quoi elles souhaitent travailler, dans quels projets elles souhaitent s’intégrer ou développer une activité.

En complément, sont proposées des listes de base d’activités nécessaires sur le territoire dans lequel le RTE s’expérimente. Ces listes, élaborées conjointement par des représentants des municipalités, des entrepreneurs, des associations, seraient continuellement enrichies. Par exemple, des offres ou des demandes d’activités portant sur : la rénovation d’un site du patrimoine culturel territorial, la revalorisation de métiers anciens artisanaux pour relancer un site touristique, des circuits de randonnées, du conseil en durabilité au sein d’entreprises ou pour des programmes sociaux ou pour des familles en situation de précarité énergétique, des cycles de programmes de sensibilisation environnementale dans des écoles, du travail manuel pour cueillir des fruits et légumes de saison, des livraisons de paniers bio combinables avec des visites à domicile pour des personnes âgées, des agriculteurs biologiques, des viticulteurs en biodynamie, une cantine scolaire locale, un fablab3 de matériaux biosourcés, etc.

On pourrait dresser une liste de toutes les activités possibles mais elle ne sera jamais exclusive : elle est précisément à construire avec les acteurs politiques, économiques et sociaux et les porteurs de projets, les demandeurs d’emploi et toutes les personnes en transition souhaitant s’investir ou tout simplement insatisfaites dans leur travail actuel.

Et si on se place du point de vue des plus précaires, dans une perspective rawlsienne, les études et rapports comme ceux du Mouvement ATD Quart  Monde montrent clairement une volonté d’émancipation citoyenne, de participation : une « faim » pas simplement au sens premier du terme, mais aussi de projets. Ils cherchent une « maison des droits » et une relation d’égal à égal sans discrimination et avec un regard bienveillant, celui que portent aussi et qu’ils citent en exemple positif de relation d’égal à égal réussie, le médecin, le conseiller en économie sociale, l’assistante sociale.

Précisément, dans le dispositif du RTE, avec la troisième clause d’adhésion à une structure démocratique, il y a cette mise ensemble à niveau égal de personnes rassemblées par la volonté de porter un projet commun. Les bonnes idées de projets ne sont pas réservées aux plus fortunés ! Au contraire, ceux qui ont subi de plein fouet la faim et une sobriété forcée sont beaucoup plus résilients et connaissent aussi mieux les circuits, les astuces vitales qui échappent à d’autres pour recycler, consommer mieux avec moins. Ce sont des savoirs de vie qu’ils peuvent aussi valoriser, tout en disposant enfin de temps : ne plus penser à l’urgence de la survie mais vivre la vie et le travail que l’on souhaite réaliser, en étanchant également une soif de projets.

Vers une accélération de la transition

L’idée d’un revenu de transition écologique (RTE) s’inscrit dans le prolongement d’un travail de thèse sur le revenu de base inconditionnel, intégrant une dimension manquante de ce dernier dispositif : l’écologie et les limites planétaires, associées à une dimension sociétale, au-delà du seul individu et d’une approche exclusivement monétaire. Contrairement à la philosophie de départ du revenu de base inconditionnel, compatible avec un mode productiviste maximal (qui en accroîtra d’autant plus le montant pour les individus qui le perçoivent), le revenu de transition écologique s’inscrit dans un contexte de crise écologique, ancrant les ressources naturelles dans une optique de limitation et de non substituabilité par du capital technique. Son objectif n’est pas de viser simultanément à réduire le chômage, la pauvreté, et de relancer la consommation et la production tout en favorisant une société de pleine activité, mais de se concentrer prioritairement sur un enjeu dont en découleront d’autres : l’accélération de la transition. Comment ? En se concentrant sur les initiatives qui existent, en repérant les freins rencontrés et en proposant un dispositif complet mettant en œuvre une horizontalité des politiques publiques et une approche décentralisée basée sur l’accompagnement au plus près des personnes.

1 Revenu de base inconditionnel.

2 Sophie Swaton, Pour un revenu de transition écologique, PUF, 2018.

3 Fablab : Laboratoire de fabrication autour de partage libre d’espaces, de connaissances, d’outils.

1 Revenu de base inconditionnel.

2 Sophie Swaton, Pour un revenu de transition écologique, PUF, 2018.

3 Fablab : Laboratoire de fabrication autour de partage libre d’espaces, de connaissances, d’outils.

Sophie Swaton

Philosophe et économiste, spécialisée en économie sociale et solidaire en lien avec la transition écologique, maître d’enseignement et de recherche à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne, Sophie Swaton préside également la fondation Zoein qui soutient l’expérimentation de revenus de transition écologique.

CC BY-NC-ND