Au pied du mur

Bernard Jahrling

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Bernard Jahrling, « Au pied du mur », Revue Quart Monde [Online], 194 | 2005/2, Online since , connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/866

Avec l’auteur, apprendre à monter un mur c’est aussi se former à comprendre la souffrance et l’espoir des familles enfermées derrière le mur de la misère...

Index de mots-clés

Engagement, Militantisme

Pendant presque quarante ans de vie professionnelle, Bernard Jährling n’a cessé de former des jeunes. Maçon tailleur de pierres il a travaillé sur les chantiers ouverts au centre international d’Atd Quart Monde, à Méry-sur-Oise :

- Pas tout seul ! Il y avait toujours des garçons et des filles avec moi venus pour réfléchir à leur engagement dans le volontariat. Déjà, en 1966, quand nous étions encore au camp de Noisy-le-Grand, le père Joseph m’avait dit : “ Il faut que tu leur montres comment on fait car ils ont besoin d’apprendre à travailler de leurs mains, comme les gens qu’ils vont rencontrer  ”.

A Méry, je commençais toujours chaque chantier devant la maquette de ce camp. Je racontais aux jeunes la vie des familles, la mienne et je ne leur cachais pas qu’à cette époque, j’avais la haine. Et puis, je leur apprenais à manier les outils. J’étais exigeant pour qu’ils découvrent qu’avec les pauvres, on ne triche pas. Il faut assumer la plus petite chose qu’on fait avec eux. Les pauvres, si on ne leur dit pas la vérité, ils le voient tout de suite. Ils attendent qu’on les écoute d’abord avec son cœur. Quand ils se sentent écoutés ainsi, quand ils savent qu’on ne fait pas semblant de les écouter, alors ils ont confiance et vous devenez leur frère. Voilà ce que j’ai toujours dit aux jeunes.

Bernard marque une pause et reprend :

- Faut pas croire que je faisais des discours ! Les volontaires, ils parlaient avec une feuille sous les yeux, moi, je n’avais pas de feuille, c’est ça, la différence. En leur parlant de ma vie, de celle des familles que je connaissais, je voulais les convaincre qu’on ne rencontre pas les pauvres à la légère. L’engagement, c’est quelque chose de complet : il faut être prêt à tout faire, du bureau, de l’avion pour aller vivre loin, de la politique... ou de vivre près des gens dans la boue. Mais il s’agit de le faire bien, du mieux qu’on peut.

Pour Bernard, monter un mur, c’est beaucoup plus que d’ajuster des pierres :

- Quand un jeune me disait qu’il n’y arriverait jamais, je lui montrais en le persuadant qu’il y arriverait. Et après, il s’étonnait d’avoir été capable de faire ça ! J’ai toujours voulu que cela soit beau pour montrer que les pauvres aussi peuvent faire de belles choses si on leur apprend, et qu’ils en soient fiers. Les jeunes m’ont appris à pardonner et à découvrir des choses nouvelles. Pour avancer dans la vie, il faut apprendre avec l’autre.

Depuis la parution de son livre Pierre d’homme (Ed. Quart Monde, 2004), Bernard Jährling continue à rencontrer les autres pour les inciter à s’engager :

- Quand je suis invité par les équipes d’Atd Quart Monde, j’espère donner courage aux familles en racontant les combats et le camp des sans-logis de Noisy-le-Grand. Pour avancer, il faut se souvenir. Quand je suis invité dans les écoles, les élèves ont lu mon livre avant ma venue. Les jeunes, c’est important, ils sont l’avenir d’une famille, d’un pays : il faut qu’ils comprennent qu’il y a des jeunes qui n’ont pas leur chance. Après notre rencontre, beaucoup m’écrivent des lettres extraordinaires. Je reçois aussi des lettres de gens qui ont acheté et lu mon livre, parfois parce qu’ils m’ont reconnu comme des anciens du camp de Noisy ou des chantiers. Toutes ces rencontres me consolident dans mon combat. Elles m’ont aussi permis de sortir de l’exclusion du parler.

Regardez cette pierre.

“ Regardez cette pierre par exemple – j’en prends une dans mes mains – elle est faite pour être mise en valeur, sinon autant la laisser où elle est. En la touchant, en la taillant avec ces outils, on peut la rendre vivante. Et quand vous lui donnerez sa place dans ce bâtiment, elle ne sera plus une pierre morte. Le gars qui m’a appris s’appelait Pierre, justement. Il était Berrichon. Je me rappelle, il disait : “ Une pierre, c’est comme une femme, si tu sais la toucher, elle devient belle. ” Avec les pauvres, c’est pareil, si vous les sortez de leur trou, ils trouveront leur place ” (Pierre d’homme, Bernard Jährling, éd. Quart Monde, 2004, p. 194).

Bernard Jahrling

Réfugié avec sa mère allemande dans la France de l’après-guerre, Bernard Jährling a quatorze ans en 1955 quand on le dépose avec les siens au camp des sans-logis de Noisy-le-Grand, près de Paris, là où naîtra peu après le Mouvement ATD Quart Monde. Devenu maçon et chef de famille, l’auteur devient aussi formateur d’hommes dans le cadre de ce mouvement. Il vient de publier son histoire (propos recueillis par Jacqueline Chabaud).

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