Il aura fallu plus de dix ans pour que ce récit biographique soit accessible à un public francophone. Aujourd’hui, nous pouvons mesurer la valeur du cadeau qui nous est fait à travers la « transmission » de la vie d’Irène Meermans, rencontrée pour la première fois en 1981 par des volontaires du Mouvement ATD Quart Monde, alors qu’elle a 47 ans.
Grâce aux notations continues de ces derniers et au concours d’Irène elle-même et de ses enfants, son histoire familiale nous est reconstituée, dont la trame est une résistance à la misère et un combat pour recouvrer l’autorité parentale, ce qui adviendra « 18 ans après le placement de ses 8 enfants les plus âgés et 11 ans après la décharge d’autorité parentale sur les 3 enfants qui suivent »
Grâce aux recherches généalogiques de l’auteur, cette histoire est mise en filiation avec celle des ancêtres d’Irène... depuis 1749, des générations de « travailleurs luttant pour leur pain quotidien » (livreur, débardeur, charpentier, mouleur, caporal, ouvrier agricole, journalier, maçon... pour les hommes ; femme de ménage, couturière, domestique, fille de ferme, marchande, ouvrière... pour les femmes.) Henri van Rijn, lui-même volontaire, fait en outre œuvre d’historien en éclairant pour chaque époque le contexte social, économique et politique de la vie de ces populations « sous l’emprise de la misère »
Le lecteur peut suivre pas à pas l’évolution d’Irène : ses soucis incessants et ses démarches pour « joindre les deux bouts », pour faire face aux intervenants sociaux, pour retrouver le contact avec ses enfants dispersés, placés en internat ou chez des parents nourriciers... tout comme ses déménagements ainsi que ses relations avec son mari (dont elle se séparera) et avec ses enfants (qui ont grandi sans se connaître.) Sa participation progressive à la vie du Mouvement ATD Quart Monde, à ses rencontres et à ses activités, lui redonne confiance en elle-même au point de devenir à son tour une militante au service des autres.
Ce cheminement n’est pas étranger à la découverte et à la prise de conscience que chaque être humain est sujet de droits inaliénables consacrés par la communauté internationale. Opportunément, divers articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les options de base du Mouvement ATD Quart Monde et des propos du père Joseph Wresinski viennent s’intercaler dans le récit d’Irène comme pour mieux souligner le caractère à la fois universel et légitime de son combat.
Cette réalisation s’inscrit pour l’auteur dans le projet Fonto dont l’ambition est de « devenir de plus en plus une source pour rendre aux plus pauvres partout en Europe l’histoire de leurs ancêtres méconnus » Dès lors, on comprend pourquoi Irène Meermans a accepté de témoigner de sa propre vie et de son propre combat (« Je suis contente que tout soit noté maintenant ») : c’est pour contribuer à faire connaître et reconnaître la vie et le combat de toutes les autres familles en grande pauvreté en Europe et pour faire entendre à tous ceux et celles qui la liront qu’ « on doit continuer à se battre, car on peut s’en sortir ».