Un excellent livre d’analyse et de réflexion sur l’évolution de notre société par un bon observateur critique des tendances lourdes qui affectent la vie économique, sociale et politique. Economiste, administrateur de l’INSEE, ancien chef du service économique et social au quotidien La Croix-L’Evénement, ayant travaillé à la direction de la Prévision et au Commissariat général au Plan, déjà auteur de « L’Economie contre la société » (1993) et de « L’Avenir du travail » (1995), Bernard Perret est aussi à sa façon un militant.
Son questionnement est assez radical : « La société peut-elle survivre à une absence totale de cohérence entre les valeurs sur lesquelles elle est censée reposer et la logique de son organisation économique ? ».
Déjà la société de consommation fondée sur l’exacerbation des désirs individuels menace dans ses fondements la culture démocratique. Mais le développement de l’économie monétaire (accroissement du rôle social de l’argent) semble de plus en plus difficile à mettre en synergie avec la demande sociale de biens collectifs peu monétarisables tels que la santé, la sécurité, l’éducation, l’environnement... lorsque la croissance n’augmente pas en proportion. Comment limiter l’emprise de ce capitalisme libéral s’il s’avère qu’il ne soit plus possible de faire prévaloir une logique économique et politique alternative ? Quelles sont les forces qui peuvent aujourd’hui s’opposer à la domination de l’argent, à ce « règne sans maître » ? Comment défendre la dignité des perdants ?
Les propos de l’auteur ont une vertu explicative : comment et pourquoi en est-on arrivé à ce point critique ? Plusieurs chapitres sont consacrés aux métamorphoses du capitalisme à travers l’extension de ce qu’on appelle la loi du marché (en réalité un pouvoir sans loi ni visage ni frontière), l’évolution conséquente à la fois de l’entreprise dont la nature est devenue incertaine et de la citoyenneté sociale marquée par le déclin de l’Etat-Nation.
Ses réflexions prospectives, s’orientant vers un au-delà de la seule richesse monétaire et vers une conception de la solidarité qui ne se limite pas à une redistribution, en appellent à un pluralisme des modes de vie et de production (une économie plurielle) et à une conception plus communautaire de la démocratie (une politique de la reconnaissance).
« On ne pourra s’opposer politiquement et juridiquement au pouvoir de la finance sur l’économie et à l’emprise de l’économie sur la société si, dans le même temps, des efforts d’endiguement du processus de monétarisation ne sont pas entrepris au niveau le plus décentralisé, celui qui concerne la vie quotidienne. Cette résistance, d’ordre culturel, voire spirituel, suppose l’activation d’un capital de ressources sociales héritées, que ni l’économie de marché ni la démocratie politique ne sont, par elles-mêmes, capables de produire : le sens de l’autorité, la confiance, le sentiment de solidarité, le désir de communiquer, la reconnaissance de l’égale dignité de chacun. »
Ainsi, « les familles, les associations et les communautés fondées sur des finalités non économiques constituent des lieux privilégiés de reconnaissance des différences signifiantes, et donc des pôles de résistance au marché : ces collectivités humaines doivent donc être protégées par le droit et soutenues par l’Etat... »