Une mutuelle de santé

Adrien Kézié et PHI Tarn/Traits d’union France-Togo

p. 20-22

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Adrien Kézié et PHI Tarn/Traits d’union France-Togo, « Une mutuelle de santé », Revue Quart Monde, 255 | 2020/3, 20-22.

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Adrien Kézié et PHI Tarn/Traits d’union France-Togo, « Une mutuelle de santé », Revue Quart Monde [En ligne], 255 | 2020/3, mis en ligne le 01 mars 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10016

Dans les villages du Nord Togo, les morsures de serpent sont une menace importante, surtout au moment des récoltes. Chaque année des personnes meurent (ou sont amputées) faute de soins adaptés. Après trois années d’effort, des villageois se sont regroupés et ont réussi à mettre en place une mutuelle.

Index de mots-clés

Santé

Index géographique

Togo

Article rédigé en lien avec les responsables de la mutuelle dont les propos ont été recueillis par Adrien Kézié (étudiant originaire de Sangayilao).

Par sa géographie, le Togo comporte deux zones climatiques ; au Sud : climat subtropical, deux saisons des pluies, alors qu’au Nord il n’existe qu’une saison des pluies. Dans la région de la Kara, où se trouvent les villages soutenus par l’association, la saison des pluies est courte et les cultures en dépendent. Les habitants sont des cultivateurs (ignames, sorgho, mil, maïs..) et ils élèvent de petits animaux. À partir de février jusqu’aux premières pluies (mai), période de soudure, les cultures parviennent difficilement à nourrir la famille. Ces paysans disposent de très peu d’argent liquide. Ces villages de la Kara sont très isolés, reliés par des pistes.

Nous allons parler du village de Sangayinlao. Là il n’y a que deux forages d’eau potable pour un village très étendu d’environ deux cents foyers. Il y a une école primaire de six classes, et depuis quelques années, un petit jardin d’enfants ainsi qu’une petite case de santé.

Une collaboration étroite et durable

Dans cette région les morsures de serpent sont une menace importante, surtout au moment des récoltes et chaque année des personnes meurent (ou sont amputées), faute de soins adaptés1. Sangayinlao est subdivisé en cinq quartiers et la solide organisation de ce village avec le chef, les chefs de quartiers, et les différents comités (villageois, école, santé…), l’implication des enseignants, des animateurs « endogènes », ont permis la réalisation de projets tels que : bidons d’eau potable dans les classes pour les enfants, petite bibliothèque d’école qui est devenue bibliothèque villageoise tenue par un jeune étudiant du village, cantine scolaire qui arrive à autofinancer des repas deux jours par semaine pour tous les enfants, microprojets, etc. Ces réalisations se sont mises en place avec l’association au cours des vingt dernières années.

Un contact permanent a lieu durant toute l’année entre les personnes de l’association et les animateurs villageois (auparavant par courrier et maintenant par téléphone grâce aux nouvelles technologies). Des liens très forts se sont tissés, les villageois ont pris confiance en eux-mêmes dans leurs capacités d’organisation, telles ces femmes qui se sont réunies depuis quelques années pour apprendre à lire avec l’aide de deux d’entre elles alphabétisées ; d’autres ont créé une association pour aider les personnes âgées isolées…

Comment a pu démarrer une mutuelle ?

En 2016, le Dr Assih, directrice de la CAMEG Togo, Centrale d’achats des médicaments pour tout le pays, et avec qui l’association a créé des liens, informe qu’un nouveau sérum contre les morsures de serpent vient d’être mis sur le marché. Il a l’énorme avantage d’être lyophilisé et de convenir à toutes espèces de serpents (auparavant, pour espérer se faire soigner il fallait tuer le serpent et l’apporter à l’hôpital en même temps que le blessé). Ce sérum sera diffusé par la CAMEG et stocké dans les hôpitaux, afin d’éviter les possibles vols dans les cases de santé d’un produit si utile. Son coût est de 45 €2 : le gouvernement subventionne à hauteur de 22 €, l’autre part de 23 € est à la charge du malade. L’hôpital ne peut administrer le sérum que si le patient paie la somme requise au moment de son admission. Compte-tenu de la faiblesse des revenus des paysans, cette somme est importante.

Le comité de santé de Sangayilao a tous ces renseignements : la fiabilité du sérum, la sécurité de son stockage. Vu la fréquence et la gravité des morsures de serpents, ils sont vivement intéressés. Le gros problème est la somme à débourser, 23 €, trop importante pour la majorité des habitants du village. Ils se réunissent, réfléchissent, et lors d’une mission en 2017, provoquent une réunion avec les responsables du village expliquant qu’ils aimeraient créer une mutuelle de santé avec l’appui de l’association. Nous avons accédé à leur demande en faisant un microcrédit pour l’achat des premiers sérums.

Le comité villageois va tenir de nombreuses réunions au cours des deux années suivantes pour sensibiliser les habitants aux bienfaits d’une mutuelle. Peu à peu ils ont également formé :

  • un comité de la mutuelle, qui compte huit membres et se subdivise en deux sous-comités,

  • un comité d’administration (cinq membres) chargé de recevoir et de gérer les différents cas,

  • un comité de suivi (trois membres) chargé de contrôler les différentes actions du comité d’administration.

Le mandat de tous les membres est de trois ans, renouvelable.

Le comité de la mutuelle a établi un règlement de fonctionnement, des réunions se tiennent chaque dernier dimanche du mois avec présence obligatoire et ponctualité, un système d’amendes étant infligé aux retardataires !

Le démarrage de la mutuelle n’a pas été facile, car donner de l’argent quand on en a si peu et pour une solidarité de soins, n’est pas chose facile à comprendre. Il est demandé l’équivalent de 16 € par an (10,5 € pour l’épargne-santé, 1,5 € pour l’adhésion, 4 € de frais de solidarité, et 0,3 € de frais de fonctionnement). Un adhérent couvre dix personnes.

Actuellement la mutuelle compte 60 adhérents (600 personnes prises en charge).

Un fonctionnement bien pensé

Quand une personne est victime d’une morsure de serpent, elle est emmenée à moto à l’hôpital de Ketao (environ une demi-heure).

Le comité a déposé l’argent récolté sur un compte en banque, mais s’étant rendu compte du délai pour l’obtenir (surtout en dehors des heures d’ouverture), une personne de confiance au village a été désignée pour garder la somme à verser dès l’arrivée à l’hôpital.

Le malade est assuré de bénéficier d’un sérum car la mutuelle en a acheté quatre afin d’être sûr qu’il soit disponible (ce qui n’est pas toujours le cas dans un petit hôpital). Ainsi dix-huit personnes depuis trois ans ont pu être sauvées. Ensuite le comité de gestion évalue les capacités de remboursement de la famille, seulement si cela est possible, permettant ainsi à la mutuelle d’avoir plus de moyens pour venir en aide à d’autres adhérents. Ce fonctionnement est pour le moins inhabituel pour nous Européens, mais avec cette façon de faire, chaque adhérent est assuré d’avoir un sérum disponible en arrivant à l’hôpital.

Le comité de la mutuelle a peu à peu recensé d’autres besoins de santé prioritaires ; le paludisme est de ceux là. Ils ont élaboré une prise en charge allant de 10 à 25 % des soins selon la gravité (si la crise de palu peut être soignée dans la case de santé, ou nécessite d’aller au dispensaire ou à l’hôpital). Ils ont aussi décidé d’aider pour les opérations chirurgicales (comme les césariennes).

La mutuelle fonctionne depuis trois ans et dispose actuellement de 200 € en caisse. De nombreuses campagnes de sensibilisation sont organisées afin que plus de personnes puissent bénéficier de cette protection. Les villages alentours sont vivement intéressés et trois d’entre eux sont en train de démarrer une mutuelle.

L’association PHI Tarn/Traits d’union France-Togo a l’intention de rencontrer le Ministre de la santé togolaise pour lui présenter cette mutuelle mise en place par les villageois. Les conditions de la réussite de ce projet sont liées à une solide organisation villageoise (accompagnée d’une structure extérieure ayant un engagement à long terme), à la mise en route et la structuration par les habitants eux-mêmes, et par l’engagement d’animateurs endogènes. Cette mutuelle est le fruit d’un effort conjoint d’hommes et de femmes courageux, ayant la volonté forte d’améliorer leurs conditions de vie et de santé.

Belle réussite, belle leçon de solidarité !

1 Cf. OMS, Morsures de serpents venimeux, 08/04/2019, https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/snakebite-envenoming

2 Équivalent des francs CFA.

1 Cf. OMS, Morsures de serpents venimeux, 08/04/2019, https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/snakebite-envenoming

2 Équivalent des francs CFA.

Adrien Kézié

Adrien Kézié, étudiant originaire de Sangayilao.

PHI Tarn/Traits d’union France-Togo

Depuis 2002, l’association PHI Tarn/Traits d’union France-Togo, épaule des actions autour de la santé, de l’école, des microcrédits, etc. mises en place par les habitants de petits villages dans le Nord du Togo, région de la Kara. Les habitants (chefs de quartier, animateurs endogènes, mères de famille) et les enseignants sont les principaux instigateurs et acteurs des actions entreprises.

CC BY-NC-ND