La montagne m’a réveillée !

Léa Gerber, Sonia A. et Sophie Oddo

p. 41-44

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Léa Gerber, Sonia A. et Sophie Oddo, « La montagne m’a réveillée ! », Revue Quart Monde, 257 | 2021/1, 41-44.

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Léa Gerber, Sonia A. et Sophie Oddo, « La montagne m’a réveillée ! », Revue Quart Monde [En ligne], 257 | 2021/1, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10158

Quand un séjour en montagne, minutieusement préparé, donne aux participantes force et fierté.

« Quand on est maman, on a toujours les mêmes tâches, on fait toujours la même chose. Le corps se fatigue. »

Le séjour à la montagne est né du constat qu’il est parfois difficile pour des mères de participer aux vacances proposées par ATD Quart Monde, car elles n’ont pas toujours la possibilité de faire garder les enfants. Dans les équipes de Noisy-le-Grand et de Marseille, nous nous sommes dit que la seule manière de permettre à ces femmes d’accepter de prendre des vacances était de proposer de partir avec leurs enfants. C’est comme ça que l’aventure a commencé, en partenariat avec l’association 82-4000 Solidaires1.

Il semblait aussi important de permettre à ces femmes d’avoir du temps pour elles, sans leurs enfants. Elles sont souvent désignées par leur statut de « mamans » mais elles sont avant tout des femmes, qui ne s’autorisent pas ou peu de temps pour elles, qui ont parfois eu des enfants très tôt et ont été plongées dans un quotidien souvent très rempli entre les enfants, le combat chronophage des procédures administratives, les soucis de tous ordres. Nous avions envie de proposer un temps de respiration à quelques-unes des femmes avec qui nous cheminons. Cinq d’entre elles ont accepté de tenter l’aventure, chausser les crampons et enfiler les baudriers d’escalade, à l’assaut des sommets.

Le séjour s’est déroulé en juillet 2020 dans le massif des Écrins, aux environs de Briançon. Le rythme était dense : les femmes avaient des activités tous les matins. Au programme : escalade, via ferrata et randonnée vers un refuge pour passer une nuit, alpinisme sur un glacier. Le dernier jour, nous avons déclaré forfait quant aux activités sportives et sommes allées nous reposer au bord d’un lac avec un programme plus souple de bronzette, baignade et pédalo. Les enfants rejoignaient leurs mères au pique-nique pour leur permettre de passer du temps ensemble l’après-midi.

Quelques mois plus tard, Sonia a accepté de partager ses réflexions.

Pourquoi as-tu eu envie de participer au séjour ?

J’ai accepté le séjour parce que je voulais souffler, purifier mon âme du stress et des douleurs. Quand tu es seule avec deux enfants, ton cœur et ton cerveau parlent tout seuls, en mode automatique, tu te sens toujours fatiguée. Tu as envie qu’une personne te réveille. Je voulais qu’on me réveille. La sortie en montagne m’a réveillée. Quand tu es en hauteur, tu recharges les piles.

Après quelques mois de recul, qu’est ce que le séjour t’a apporté ?

Le séjour n’a pas toujours été facile. La montée était dure. Je pensais que je n’irai pas jusqu’au bout. La via ferrata surtout avec le vide sous les pieds : j’avais du mal à respirer ! Pleurer, crier pendant l’escalade m’a fait du bien. Ça a fait sortir ce qui me pesait. P., un des encadrants était toujours derrière moi à m’encourager. J’étais entourée des autres femmes qui me donnaient le courage. Personne ne me jugeait. On s’entraidait toutes. On m’a tellement toujours dit des choses négatives, rabaissantes. Je n’ai jamais eu de personnes qui m’ont dit : « Je suis fière de toi… » Il fallait que j’aille en hauteur pour prendre confiance en moi. La sortie m’a donné de l’énergie, comme si on m’avait donné des vitamines.

La montagne, avant, je ne connaissais pas. J’entendais les gens dire que la nature est apaisante. J’ai vraiment découvert pendant le séjour que c’est vrai. Sur le coup, je n’ai pas ressenti la vraie nature : les ascensions étaient difficiles. Quand j’étais en montagne, une petite voix me disait : « Tu vas réussir. Fais ça pour ton avenir, pour tes enfants, tu vas enfin devenir une femme. » Le séjour m’a fait quelque chose, m’a apaisée. Pour moi, la femme ne doit pas être renfermée dans ses problèmes. Elle ne doit pas se contenter de dire que la vie est une épreuve. Il faut qu’elle garde la tête haute. Il ne faut plus qu’on nous écrase, qu’on nous traite comme des gamines.

Aujourd’hui j’ai pris confiance et j’avance. La force au quotidien, je la trouve dans mes deux enfants et la prière.

Est-ce que le séjour t’a permis de découvrir des choses sur toi ou tes enfants ?

La sortie m’a donné la force d’aller plus vers les autres, par exemple avec les mamans à la sortie de l’école. Moi, d’habitude, je suis renfermée, je reste à l’écart. Je te dis, la sortie m’a réveillée. Ma fille aussi j’ai trouvé qu’elle s’est réveillée. Elle va plus vers les autres. Elle fait sa vie toute seule : elle mange, prend la douche, met le manteau. Elle me parle souvent de la montagne.

Quand j’ai raconté tout ce qu’on a fait, les gens ne me croyaient pas. Un ami qui sait que j’ai peur de tout pensait que je rentrerais au bout de deux jours ! Quand ils ont vu les photos, ils ont halluciné. Aujourd’hui quand je me regarde dans la glace, je me dis que je suis fière de moi.

Est-ce important de continuer à proposer ce type de séjour aux femmes et si c’est le cas, pourquoi ?

Il faut encourager les femmes à faire cette sortie. On est là à se priver d’avoir une vie comme tout le monde. Il ne faut pas regarder la peur. Il faut trouver la force, pour donner aussi la force aux enfants. Il faut trouver le moyen de faire sortir les angoisses et la colère. Ce type de séjour permet ça et donne la pêche ! J’aurais envie de dire aux femmes de ne pas s’enfermer et de ne plus avoir peur.

Aujourd’hui Sonia se prépare à aller parler du séjour à un groupe de femmes qui partiraient durant l’été 2021.

Soigner la préparation

La préparation de ce type de séjour est une source de connaissance sur la vie des femmes et leur combat quotidien pour vivre décemment et offrir le meilleur à leurs enfants. Au sein de l’équipe d’animatrices, nous avons réalisé combien il est important de soigner cette période pour garantir que les femmes accepteront de monter dans le train du départ. Les questions des femmes sont révélatrices des conditions de vie très dures de certaines d’entre elles et de la charge mentale constamment alourdie par des démarches administratives en cours ou d’autres types de soucis personnels et matériels. L’exemple du choix des chaussures des enfants au moment de faire le sac permet de réaliser les préoccupations qu’engendre la perspective d’un tel séjour.

D. était partagée entre la conscience qu’il fallait des baskets pour aller sur les chemins de montagne mais voulait éviter que les chaussures de son petit garçon soient abîmées car elles coûtent cher. Elle appréhendait aussi beaucoup que certains vêtements soient perdus. Les chaussures sont un exemple parmi d’autres qui permettent de réaliser à quel point chaque détail de la préparation doit être soigné, discuté avec les femmes, même si l’association 82-4000 prête le matériel de randonnée pour les adultes. Un rendez-vous à la préfecture important qui devait avoir lieu en fin de semaine préoccupait également beaucoup D. Elle a finalement décidé d’écourter le séjour et rentrer plus tôt pour se sentir prête à aller à cet entretien. Préparer le séjour avec D. a montré combien il est difficile parfois de pouvoir partir en vacances l’esprit tranquille, au point que s’octroyer une pause peut paraître beaucoup trop compliqué.

Soutenir un combat quotidien

Le séjour en lui-même permet de bâtir une connaissance sur l’expérience de ces femmes. Le rythme du séjour était très dense et ne nous a pas permis de ménager des temps pour écrire avec elles sur ce qu’elles vivaient mais aussi sur ce qu’elles percevaient chez leurs enfants. Ces temps auraient aussi permis de leur montrer également que nous-mêmes, animatrices, apprenions beaucoup à leurs côtés. Que si elles avaient la pression d’aller jusqu’au bout de chaque sortie, nous avions aussi la pression de réussir à gagner leur confiance et leur assentiment sur la manière dont nous gérions les enfants.

Lors de l’évaluation du séjour, nous avons noté l’importance de prévoir de véritables moments de respiration durant le voyage pour permettre à la fois aux femmes et aux animatrices d’écrire sur les journées passées et laisser une trace de cette connaissance réciproque bâtie au jour le jour.

La force, la solidarité, la fierté sont les sentiments que les femmes ont exprimés à la fin du séjour. La fierté surtout, avec cette remarque de D. : « Il faudra changer le slogan sur les tee-shirts 82-4000 [le slogan du tee-shirt indiquait : Partager l’alpinisme avec les plus démunis]. Je ne veux pas qu’on utilise ma photo et celle de mes enfants. Moi et mes enfants, on n’est pas des démunis. » Loin de se revendiquer militantes féministes, ces femmes sont à leur manière des combattantes. Un combat invisible, quotidien, mais qui exige une force bien trop rarement valorisée et reconnue. Si le séjour a contribué à ce que certaines d’entre elles réalisent qu’elles portent en elles cette force, on aura réussi ensemble l’ascension d’un sacré sommet !

1 Association constituée d’un groupe d’alpinistes qui se mobilise pour faire découvrir la haute montagne à des personnes issues de milieux défavorisés

1 Association constituée d’un groupe d’alpinistes qui se mobilise pour faire découvrir la haute montagne à des personnes issues de milieux défavorisés. Partenaire d’ATD Quart Monde, l’association a permis depuis plusieurs années à de nombreux jeunes - et moins jeunes - connus de nos équipes d’action de réaliser des projets de vacances. Voir le site https://824000.org/

Léa Gerber

Après des études en anthropologie et en travail social au Québec, Léa Gerber s’engage comme volontaire d’ATD Quart Monde en France entre 2015 et 2020. Elle était en mission au Centre de Promotion familiale à Noisy-le-Grand lors du séjour à la montagne.

Sonia A.

Sonia A. souhaite aujourd’hui travailler auprès de personnes âgées. Elle a deux jeunes enfants et connait ATD Quart Monde depuis une dizaine d’années.

Sophie Oddo

Urbaniste de formation, Sophie Oddo a travaillé pendant neuf ans dans le développement des réseaux d’eau et d’assainissement dans les pays du Sud au sein de diverses institutions. Elle est aujourd’hui en découverte du volontariat depuis un an à Marseille.

CC BY-NC-ND