Des audiences en ligne inhumaines et injustes

Tammy Mayes

Traduction de Cristina Jeangrand

p. 33-35

Citer cet article

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Tammy Mayes, « Des audiences en ligne inhumaines et injustes », Revue Quart Monde, 259 | 2021/3, 33-35.

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Tammy Mayes, « Des audiences en ligne inhumaines et injustes », Revue Quart Monde [En ligne], 259 | 2021/3, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10399

Nous reproduisons ici l’intervention de Tammy Mayes lors du Séminaire en ligne Derrière l’écran : Expériences de la population locale en matière d’accès aux services sociaux et à l’éducation dans un monde numérique, du 15 février 2021 (événement parallèle d’ATD Quart Monde pendant la Commission #CSocD59).
À partir de son expérience personnelle du système et de son engagement avec le Parents Families and Allies Network (PFAN), elle a rappelé de manière précise et saisissante le traitement inhumain et injuste enduré par les parents et les familles à cause du système d’audiences en ligne mis en place par le Tribunal de la famille, du fait des mesures liées au Covid-19.

Traduit de l’anglais par Cristina Jeangrand.

Bonjour, je m’appelle Tammy Mayes. Je suis une militante au Royaume-Uni avec ATD Quart Monde, qui lutte contre la pauvreté et pour les droits de l’homme.

Je fais également partie du Parents Families and Allies Network (PFAN en abrégé). Au PFAN, nous sommes des parents, des travailleurs sociaux et des universitaires qui nous battons pour changer le système britannique de protection de l’enfance et nous défendons les parents des familles qui doivent passer par ce système de protection de l’enfance.

En mars dernier, au début du premier confinement national, le système judiciaire des affaires familiales du Royaume-Uni a été mis en ligne en raison des restrictions de Covid. PFAN a été contacté par l’Observatoire des affaires familiales de Nuffield pour mener une consultation auprès de parents ayant participé à distance à des audiences de tribunaux. J’étais l’un des parents actifs au PFAN qui a effectué la recherche auprès des parents. Nous avons tous une expérience du système de protection de l’enfance. 21 parents ont été interrogés, la moitié dans des groupes de discussion sur Zoom et l’autre moitié individuellement par téléphone. Moi-même et d’autres parents actifs au sein du PFAN avons mené les entretiens et les groupes de discussion.

Les gens devaient s’inscrire pour participer. Nous devions trouver un moment qui leur convienne et envoyer un lien privé. Nous étions un petit groupe en ligne, nous nous présentions, puis nous posions des questions selon un questionnaire que nous avions préparé. Les entretiens duraient une heure, mais nous avions toujours des salles de pause si nécessaire, car le sujet était très difficile pour beaucoup d’entre eux.

Nous avons rapidement réalisé que les groupes de discussion étaient une occasion pour les parents d’offrir soutien, encouragement et compréhension les uns aux autres. Nous avons donc toujours veillé à ce qu’il y ait beaucoup de temps pour que les gens puissent simplement parler et échanger entre eux. En procédant ainsi, nous avons créé un environnement plus détendu qui a mis les parents à l’aise et leur a permis de dire exactement ce qu’ils voulaient. Il est important de se sentir en sécurité et à l’aise quand on parle de quelque chose d’aussi sensible. C’était la même chose lorsque nous avons fait les entretiens téléphoniques. Nous avons passé beaucoup de temps à écouter et à offrir notre soutien.

Qu’avons-nous appris ?

Nous avons constaté que les parents avaient de graves problèmes avec leur représentation légale et estimaient que les audiences étaient inhumaines et injustes.

L’impact de l’exclusion numérique sur les normes de justice pour les parents, dont beaucoup sont dans la pauvreté et extrêmement vulnérables, était très clair.

Les conséquences de ces difficultés pour les parents sont diaboliques. Tout est plus difficile quand on ne connaît pas la technologie et qu’on n’a pas le soutien nécessaire.

Une mère, dont un enfant avait été retiré mais qui en avait encore deux à la maison, était en pleine procédure d’enquête. Des choses ont été dites qui n’étaient pas vraies, mais elle ne pouvait pas en parler à son avocat car ils n’étaient pas physiquement dans la même pièce et elle n’avait aucun moyen de communiquer avec lui !

Puis la décision a été prise que l’enfant qui avait été retiré ne reviendrait pas à la maison ! Elle a alors dû sortir de son salon et rester forte pour ses deux autres enfants à la maison. Elle n’avait aucun soutien.

Une autre mère a dû écouter l’audience du tribunal sur son téléphone, puis utiliser le téléphone de son conjoint pour parler à son avocat ! Ils n’avaient pas d’argent pour un ordinateur portable ou une tablette. Beaucoup de parents auxquels j’ai parlé n’avaient pas les moyens d’acheter un ordinateur portable ou une tablette et utilisaient leur téléphone ! Beaucoup d’entre eux n’avaient pas les moyens de s’offrir internet et devaient donc emprunter de l’argent à leurs amis et à leur famille pour pouvoir assister en ligne à leurs procès ! Ils n’avaient aucun soutien de la part des services sociaux. Ils étaient livrés à eux-mêmes, sans soutien et sans supports techniques.

Ça m’a brisé le cœur d’entendre ce que les parents ont traversé. Les choses qui ne vont pas dans le système doivent vraiment changer. Comment peuvent-ils prendre des décisions pendant le confinement sur l’endroit où un enfant doit vivre ? Certains parents ne savaient même pas qui était sur l’appel vidéo parce que l’écran était si petit qu’ils ne pouvaient pas voir tout le monde. Dans un cas, l’internet n’arrêtait pas de se couper et le juge lui-même ne savait pas qui était en ligne ! Comment est-ce possible ?

La confidentialité est une préoccupation majeure lors des audiences à distance. Qui participe réellement à l’appel ? Qui d’autre peut entendre ce qui se dit ? Parfois, lorsqu’un avocat ou un travailleur social ont leurs enfants à la maison parce que les écoles sont fermées, ces derniers apparaissent sur la caméra en arrière-plan. Les parents qui vivent à l’étroit ne peuvent pas facilement empêcher leurs propres enfants d’entendre les débats. Tout ceci montre que les affaires confidentielles ne peuvent pas l’être lorsqu’elles se déroulent au sein d’un foyer.

J’ai la chance que le procès de ma famille se soit terminé en février 2020, avant que la pandémie n’arrive. La procédure judiciaire pose des problèmes lorsqu’elle se déroule en face à face, que dire quand elle se déroule en ligne… J’ai été reconnaissante que la nôtre se soit arrêtée avant la pandémie. Je n’aurais pas supporté le fait qu’elle se déroule en ligne, c’était déjà assez difficile en face à face.

Une chose que j’ai découverte en faisant mes recherches, c’est que beaucoup d’entre eux n’avaient pas un bon accès à l’internet ou n’avaient pas l’internet et qu’on ne le leur offrait pas. Beaucoup de parents vivaient dans la pauvreté. Ils ne pouvaient pas s’offrir l’internet et se sont donc endettés. Il faut en faire plus à ce sujet. Ce n’est pas juste. De plus, ils n’avaient pas les bons appareils et ne pouvaient pas se permettre d’aller acheter ce dont ils avaient besoin. Où sont les fonds pour aider ces parents ?

Je ne pense pas qu’un seul cas, sauf s’il s’agit d’une question de vie ou de mort, devrait être entendu en ligne. Ce n’est pas un système équitable. Les parents ne peuvent pas voir les expressions sur le visage des gens et le juge ne peut pas voir le visage des parents ou le langage corporel d’aucun d’entre eux.

Pour plus d’informations, vous pouvez suivre les liens pour lire le rapport complet de toutes les personnes impliquées.1

CC BY-NC-ND