Les “galériens du clic”

Antonio Casilli

p. 46-47

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Antonio Casilli, « Les “galériens du clic” », Revue Quart Monde, 259 | 2021/3, 46-47.

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Antonio Casilli, « Les “galériens du clic” », Revue Quart Monde [En ligne], 259 | 2021/3, mis en ligne le 01 mars 2022, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10407

Qui est derrière les plateformes que nous utilisons tous les jours, les Google, Amazon, Facebook, Twitter ? Des algorithmes, bien sûr, de l’intelligence artificielle, mais aussi des hommes et des femmes.

Nous reproduisons ici des extraits de l’interview d’Antonio Casilli, réalisée sur FranceInfo / RadioFrance par Jean Leymarie, le 28 janvier 20191.

La face inconnue de l’économie « digitale »

Sans hommes et femmes, pas de machines... et pas d’économie “digitale”. C’est la thèse d’Antonio Casilli. « Pour calibrer les intelligences artificielles, pour qu’elles réalisent les tâches qu’elles promettent, explique le sociologue, chaque jour des personnes doivent traiter des centaines et même des milliers de petites tâches : reconnaître des chansons pour organiser des playlists, retranscrire des tickets de caisse, interpréter ce que d’autres personnes ont dit à des enceintes connectées ». Ces tâches fragmentées, répétitives, constituent la face inconnue de l’économie “digitale”.  

Des tâches payées parfois moins d’un centime 

Qui sont ces travailleuses et ces travailleurs du clic ? « lls sont partout dans le monde. Souvent depuis chez eux, ils et elles se connectent à des plateformes pour accomplir des micro-tâches et sont payés très peu » » parfois un centime ou moins par tâche, si ces personnes sont installées dans des pays à faibles revenus. Dans certains pays, les travailleurs forment même des « fermes à clic » ou des « usines à clic ». « Dans les pays du Nord, ajoute le sociologue, il s’agit souvent d’un complément du revenu. Mais dans un pays comme Madagascar, où le salaire moyen est de 40 euros par mois ou un peu plus, la possibilité de gagner 30 ou 40 euros grâce à des micro-tâches constitue un deuxième salaire ». Antonio Casilli estime qu’au moins cent millions de personnes dans le monde sont aujourd’hui des « travailleurs du clic ».  

Une polarisation du travail  

La technologie progresse. Les machines vont-elles remplacer un jour ces femmes et ces hommes ? « Le remplacement n’aura pas lieu, estime Antonio Casilli : vous aurez toujours besoin de personnes qui vérifient ce que les machines ont fait. Il y aura toujours ce travail humble, invisible ». Pour le sociologue, il y a bien « une polarisation du travail produit par ces solutions technologiques intelligentes : d’un côté des data scientists, des ingénieurs, des ’sublimes’ du numérique ; de l’autre côté, des travailleurs du digital […] Digital renvoie vraiment à un travail du doigt, du clic. Un travail pour l’instant nécessaire ». Pour le chercheur, il est urgent de traiter le « besoin de reconnaissance de ces travailleurs et d’examiner les pistes qui nous permettront de sortir de cette situation ».  

Quelques références pour se documenter plus largement :

- Le site des Études critiques sur l’intelligence artificielle / L’intelligence artificielle et ses conséquences vues par les sciences humaines et sociales. https://criticalai.hypotheses.org/

- La conférence du Conseil de l’Europe du 20 janvier 2021 : https://www.coe.int/fr/web/presidency/-/high-level-conference-on-human-rights-in-the-era-of-artificial-intelligence

- Les divers travaux de Philip Alston – ancien Rapporteur spécial de l’ONU sur Droits de l’homme et extrême pauvreté – et de son collaborateur sur ces questions, Christiaan Van Veen. https://undocs.org/A/74/493

- Les travaux du Conseil de l’Europe sur la place prise par l’IA dans les décisions en matière d’aide sociale, de justice, etc. (Décoder l’intelligence artificielle : 10 mesures pour protéger les droits de l’homme) et notamment le discours de la Commissaire aux Droits de l’Homme, Mme Dunja Mijatović. https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/unboxing-artificial-intelligence-10-steps-to-protect-human-rights

- Le rapport du Défenseur des droits : Algorithmes : prévenir l’automatisation des discriminations. https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2020/05/algorithmes-prevenir-lautomatisation-des-discriminations

- Les travaux du collectif Espérance et algorithmes sur « Entreprendre à l’ère des algorithmes pour servir sans asservir ». https://www.esperance-algorithmes.org/manifeste/

- Le récent numéro de la Revue Vie sociale sur « Numérique et travail social ». https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2019-4.htm).

- En Belgique les travaux d’Idealic sur l’exclusion digitale. https://www.idealic.be/about

- Frédéric Oru, fondateur d’AI4better et également fondateur du groupe Intelligence Artificielle des Alumni de l’École Polytechnique, sur les potentiels de l’IA au regard du défi écologique. https://www.passeursdavenir.fr/conferences/intelligence-artificielle-transition-ecologique

- Un Mooc (cours d’enseignement diffusé sur internet) sur l’IA. https://cursus.edu/evenements/43555/mooc-lintelligence-artificielle-avec-intelligence-jusquau-19032022

Antonio Casilli

Sociologue, Antonio Casilli a enquêté sur ceux qu’il appelle les « Travailleurs du clic », et même les « Galériens du clic ». Il a publié En attendant les robots, aux Éd. du Seuil.

CC BY-NC-ND