« L’enfer est parfois pavé de bonnes intentions » pointe Romain Huret en titre de son article. Ce dossier en est, somme toute, l’illustration.
Depuis la Guerre contre la pauvreté démarrée en 1964 aux États-Unis, dont le contexte et un premier bilan font l’objet de la recherche menée par Alwine de Vos van Steenwijk, S.M. Miller et Pamela Roby en 19701, jusqu’à nos politiques sociales actuelles, une même constatation s’impose : un nombre significatif de personnes ne bénéficient pas des prestations et des services auxquels elles pourraient prétendre. Et ceci malgré la volonté régulièrement exprimée par les États et les organismes internationaux d’atteindre les plus pauvres. En cause ? La complexité et la volatilité des règles, les déficits dans l’information et l’accompagnement, l’insuffisance et l’impréparation des moyens humains, un décalage entre l’offre et les besoins, les défiances réciproques, les coûts d’accès aux prestations et aux services, etc. Le passage à l’administration numérique ne fait qu’aggraver les choses, comme l’exprimait Daniel Blake dans l’excellent film de Ken Loach.2
Aux antipodes de ces constatations, Axelle Brodiez-Dolino examine comment, depuis sa création dans les années 50, le Mouvement ATD Quart Monde, sous l’impulsion de son fondateur Joseph Wresinki, est conscient de cet écrémage effectif, multiplie les actions concrètes pour rétablir l’égalité des chances dans les lieux où il est implanté, et porte publiquement la revendication de « droits-planchers » pour tous.3
Dans un pays aussi meurtri par les remous de son histoire que la République centrafricaine, les équipes d’ATD Quart Monde, présentes depuis 1987, ont en quelque sorte pris au sérieux la devise nationale s’inspirant du principe Zo kwe zo – « Tout homme est un homme ». À Bangui, « la Cour » est devenue le point de rassemblement des membres du Mouvement, le lieu où ils reprennent force, échangent les nouvelles, se forment. Un lieu aux portes grandes ouvertes dont la beauté fait aussi la fierté du quartier. Niek Tweehuysen4 relate la rencontre au long cours avec cet homme, Fantastique, le compagnonnage en profondeur qui les lie, l’intérêt patient et respectueux de l’équipe pour son univers, celui des « pousseurs » – transporteurs à pied – en Centrafrique et la volonté de solliciter leur expérience, leur pensée, individuelles et collectives. Conditions incontournables pour asseoir toute politique de lutte contre la pauvreté sur le socle de l’expertise des premiers concernés, et sortir du cercle infernal des bonnes intentions sans lendemain ni effet émancipateur réel.