N° 264, décembre 2022, Vers une protection sociale vraiment universelle.

Articles attendus pour le 1 octobre 2022

« En milieu d’extrême pauvreté, (…) la santé est une véritable hantise ; ce vœu permanent dont elle est l’objet vient du fait que les gens ne maîtrisent en rien le corps, la maladie... Ils ne les maîtrisent pas parce qu’ils vivent continuellement en état d'extrême fatigue et d’angoisse ; ils sont obligés de « tirer comme des ânes » ; ils ne peuvent pas s’arrêter à cause des besoins matériels. Le signal d’alarme est l'invasion brutale de la souffrance. Quand ils ont mal, et seulement quand ils ont mal, ils s'arrêtent.(…).

Privés des moyens d’une maîtrise du corps, les pauvres vont jusqu’au bout ; ils croient d’ailleurs ne pas valoir la peine de se soigner.(…) Le milieu ne comprend pas, n’accepte pas, est dérouté par la maladie qui survient. D’ailleurs, dans l’état d'extrême indigence, on est organisé de telle manière qu’il n’y a que sur soi que l'on puisse compter ; sur celui-là même qui veut vous rendre service, on ne peut s’appuyer de la même manière ; les craintes à son sujet se multiplient: Et si l’argent allait être gaspillé ? Et s’il allait dépenser le peu qu’on a ? Et si, après, les enfants restent sans rien ?

Vis-à-vis des traitements à suivre, c’est la même peur, la même ignorance qui dominent. En Quart Monde, dès que la souffrance disparaît, on ne peut plus croire à la maladie, à la nécessité de se soigner davantage, d'où l'abandon très fréquent des soins. Sans un contexte stimulant, sans un environnement qui soutienne votre effort, dans un univers ou la notion de durée et de régularité est rendue impossible, comment persévérer dans un traitement ?

Tant de faits d’observation qui nous font dire et redire que le monde médical doit à tous la joie du corps, et la joie comporte : la possibilité d’un corps soigné, servi, que l’on fait beau. Un corps dont on est fier, qui puisse exprimer tout un langage ; le sentiment d’être bien dans sa peau, de ne plus hésiter, de ne plus avoir peur de se présenter, de parler... »

Cette longue citation de Joseph Wresinski, publiée en 1979 dans la Revue de pédiatrie, illustre l’enjeu du combat à mener pour assurer à tous les êtres humains un droit absolu à une protection sociale qui leur permettent de se soigner, de se conserver en bonne santé, de prévenir autant que faire se peut la maladie et le mal-être.

Si, au sortir de la seconde guerre mondiale, la plupart des pays européens se sont dotés de systèmes de sécurité sociale qui garantissent en principe cet accès aux soins, cet acquis, parfois remis en question aujourd’hui du fait de son coût, n’a jamais vraiment atteint l’ensemble de la population : les plus pauvres passés par les mailles d’un filet trop lâche sont souvent restés à l’écart, en dépit d’efforts certains comme, par exemple, la création de la Couverture maladie universelle (CMU) en France. Et cette sécurité sociale européenne ne s’est pas étendue au reste du monde : les populations de l’hémisphère Sud en sont encore globalement privées, alors que dans un pays comme les Etats-Unis d’Amérique, se soigner reste un défi pour les plus pauvres.

L’avènement d’une protection sociale universelle reste donc un défi. La pandémie du Covid 19 en a révélé, si besoin était, l’urgent besoin. Les Nations unies s’y sont engagées. Des expérimentations, telle celle conduite pendant plus d’une décennie par le Mouvement ATD Quart Monde en Haïti, et d’autres ailleurs, ont ouvert des chemins dont il faut tirer les enseignements.

A la hantise de la santé que connaissent les plus pauvres doit répondre une hantise de mettre en place un véritable droit universel à la protection sociale contre la maladie. Ce dossier de la Revue Quart Monde entend contribuer à ce combat pour la dignité.

CC BY-NC-ND