La police est là, elle encercle le terrain. Elle presse les familles de partir avec seulement ce qu’elles peuvent porter. Une femme, au fond du chemin, un sac au bout de chaque main, hagarde, ne peut pas bouger. Les voisins prennent leurs affaires à la hâte et promettent qu’ils viendront la rechercher. Ils sont revenus. Puis les bulldozers font leur travail : ils écrasent baraques, caravanes et voitures, avec ce qui reste dedans, ils labourent le terrain qui ressemble à un champ de ruines, ils en bouchent l’accès pour que personne ne s’y réinstalle. Plus de trace !
Janine me raconte cela ; pourtant, dit-elle, ces familles d’origine Rom, qu’elle connaît bien, n’ont pas de haine. « Moi j’ai la rage, mais pas elles, elles m’apprennent beaucoup. »
Ces derniers temps, les expulsions de terrains se multiplient, souvent avec le prétexte de protéger les occupants de l’insalubrité. On offre quelques nuits d’hôtel aux plus malades puis on les laisse sans rien, sans nulle part où aller. Parfois, elles étaient là depuis dix ans, vingt ans, les enfants scolarisés, les familles en lien avec services et institutions du coin : hôpital, PMI, médecin, service social, mairie… Janine précise : « Un point important, c’est l’accès à la santé. Je fais le lien, je demande l’Aide médicale d’état ou la complémentaire santé solidaire, puis je prends les premiers rendez-vous, après les gens se débrouillent seuls. »
Des personnes ont cru en elles, sont allées vers elles, permettant peu à peu à ces familles de passer progressivement de la dépendance à l’autonomie. Et ce qui était une vie de mendicité devient une vie de travail digne et ouvre à la protection sociale. Beaucoup travaillent comme saisonniers chez les maraîchers du coin. Ici, c’est la campagne, il y a des champs à perte de vue. Pourtant, pas un bout de terrain où les familles peuvent poser leurs caravanes. Est-ce à cause des Jeux olympiques que les communautés roms sont repoussées de plus en plus loin de la région parisienne ? Paris 2024 n’est pas une chance pour tout le monde.
Janine constate : les familles progressent, mais la société, elle, progresse moins vite dans l’accueil. Un jour, un enfant lui dit : « Pourquoi on ne nous aime pas, à nous ? » Est-ce que ces enfants continueront à vivre sans rage ? Est-ce qu’ils pourront comprendre pourquoi cette société ne reconnaît pas les efforts sans cesse anéantis de leurs parents, leur envie de vivre de leur travail, dignement, et d’avoir une place quelque part, parmi nous ? Janine conclut : « Marcher avec ces familles, c’est un enrichissement réciproque qui est source de transformation ». Laissons-nous transformer !