Revue Quart Monde : Comment êtes-vous arrivé en France ?
Amine Dramena : J’ai moi-même été victime d’un faux recruteur qui m’a dit que j’avais le talent nécessaire pour jouer dans un grand club européen. Il s’est approché de moi pour me dire qu’il voulait travailler avec moi et qu’il avait un contrat pour moi dans un grand club. Il a poursuivi en indiquant que le club avait regardé ma vidéo et qu’il souhaitait m’engager. Il m’a demandé ensuite de lui verser une certaine somme d’argent pour financer mon visa et le billet d’avion. Il ira même jusqu’à me fournir une lettre d’invitation signée par le club. Intéressé, j’en ai parlé avec mon entraîneur. Mon histoire est semblable à celle d’autres joueurs qui ont fait confiance à ces trafiquants d’espoir. Enfin ils vous expliquent que la procédure prendra deux semaines, pas plus. En général toute la famille du joueur contribue pour rassembler les sommes d’argent pour financer son départ. À la suite de cela, la famille, ruinée, peine à s’en sortir. Et puis en Europe, constatant qu’il a été dupé par des escrocs, le joueur a trop honte de rentrer à la maison. C’est exactement ce qui m’est arrivé et c’est ce qui arrive fréquemment à d’autres jeunes abusés par l’idée qu’ils ont du prestige de ce jeu, le football, et des salaires exorbitants qui sont pratiqués. Ils ont rêvé d’occuper une bonne place dans ce milieu‑là.
RQM : … D’où votre envie d’agir ?
A.D. : Oui. L’association Passeur de rêve1 que j’ai contribué à créer est une organisation apolitique qui a pour vocation de lutter contre le trafic et l’exploitation des enfants dans le milieu du football. Notre association assure une mission d’information, de conseil et de prévention auprès des jeunes et de leurs familles pour les sensibiliser contre le phénomène appelé le trafic d’espoir, constituant une dérive du football africain. Nous veillons au respect des bonnes pratiques en matière d’encadrement des joueurs dans le domaine du football. Dotée d’un responsable de projet de sensibilisation Afrique, l’association possède un service local pour assurer leur protection.
RQM : Agit-elle seulement auprès des jeunes et de leurs familles ?
A.D. : Notre association se veut être un relais entre les instances du football (Académies2, Fifa, Syndicat des footballeurs) et les pouvoirs publics pour protéger les mineurs de l’exploitation dans le monde du football. Nous voulons une prise de conscience collective afin d’empêcher les filières de faux agents intermédiaires. Nous voulons que l’on ne puisse plus duper d’autres joueurs par de fausses promesses de contrat. Pour cela nous demandons le rétablissement et le contrôle de la profession d’agent sportif, le contrôle des « académies » censées recruter des jeunes espoirs pour les grands clubs…
RQM : Qu’advient-il, en Europe, de ces jeunes abusés ?
A.D. : Je peux vous dire mon histoire. Après un passage de la Méditerranée en pirogue dans un bateau qui prenait l’eau, je me retrouve en Europe à 16 ans, abandonné sans papier, sans nouvelles de mon agent, en plein mois de décembre. Je ne suis attendu par aucun club, je n’ai pas d’endroit où dormir. Je n’ai rien dit à ma famille par peur du regard des autres, je me suis retrouvé pris au piège. J’ai été sorti de la rue par l’ASE3 et j’ai pu parvenir à une formation d’éducateur sportif et de coach. L’association Kampos Saint-Denis4, où se retrouvent des joueurs émigrés pour se remettre en forme, a été d’un grand soutien.
RQM : Pouvez-vous nous expliquer comment ces agents recruteurs frauduleux agissent ?
A.D. : Ces agents de foot peu scrupuleux agissent aussi sur internet, dans les forums ou via les réseaux sociaux pour proposer leurs services. On assiste à une prolifération de pseudo-agents de footballeurs, comme notamment sur le forum aide-afrique.com, en vous promettant un club sous 72 h ou bien encore de jouer pour le club anglais Arsenal. Les agents contactent les joueurs par le biais des réseaux sociaux en promettant un essai ou contrat si les joueurs payent en avance les frais. Sur Facebook également avec le compte : Agent de Joueur de Football Rapide et Fiable, cherchant à duper aussi de vrais recruteurs à la recherche des pépites (jeunes talents du football), en leur expliquant qu’ils détectent ces futures stars à partir de l’âge de 7 ans. Souvent de connivence avec des complices travaillant aux ambassades, ils peuvent leur préparer des passeports sous 5 jours. Concernant les négociations, l’agent réclame une commission de 30 %, le tout dans un mépris total des règlements, selon lesquels aucun joueur africain n’a le droit de signer en Europe avant sa majorité. Certains sont même prêts à proposer de l’argent aux vrais recruteurs en échange de fausses lettres d’invitation (avec un papier à en-tête et la signature du club), pour se partager ensuite l’argent.
RQM : Comment agir ?
A.D. : Il faut renforcer la protection des jeunes dans le domaine du foot pour éviter la clandestinité. Bien qu’il existe des règles sur la protection des jeunes joueurs, force est de constater qu’elles ne sont pas appliquées, voire contournées. Il faut réglementer la profession d’agent en Afrique, comme elle peut l’être en France par le Code du Sport. La lutte contre le trafic d’espoir ne pourra être gagnée que si elle est accompagnée par des campagnes de prévention pour sensibiliser à la fois les jeunes, leurs familles ainsi que les Académies de football. Les instances du football ainsi que les pouvoirs publics doivent prendre part au débat ; les pouvoirs publics ainsi que les Fédérations internationales du football doivent s’engager et donner les moyens financiers (financements privés et publics) pour en finir avec le trafic d’espoir. Les Syndicats de footballeurs professionnels pourraient également apporter leur pierre à la protection des jeunes joueurs.
RQM : Quelles sont les actions que votre association conduit actuellement ?
A.D. : Par les réseaux sociaux, je rentre en contact avec des jeunes footballeurs trompés et qui se retrouvent dans des situations que l’on n’imagine pas. Ils n’ont plus confiance, c’est le vécu qui fait cela, leurs espoirs sont totalement détruits et ils « encaissent » en silence, ils ont honte. « Celui qui pleure est malheureux, mais celui dont on ne voit pas ses larmes, celui-là est vraiment malheureux ». La confiance se crée parce que les jeunes sentent que je sais de quoi ils parlent ; je peux comprendre ce qu’ils ressentent parce que je suis passé par là. Pouvoir parler, envisager sa vie avec son espoir cassé d’une autre manière, en aidant d’autres jeunes dans la « même galère ». Ce sont eux qui peuvent convaincre et témoigner auprès des autres jeunes.
Une autre façon d’agir, très importante, est d’aller dans les pays africains, dans les clubs de foot, les centres de formation, auprès des jeunes de 17 ans car ce sont eux les plus fragiles, pour les mettre en garde et les informer par nos témoignages vécus. Il faut aller là-bas les freiner avant qu’ils partent5.