Au cœur du 17 octobre 2024

Aye Aye Win, Kysly Joseph and Sébastien Gotti

p. 3-6

References

Bibliographical reference

Aye Aye Win, Kysly Joseph and Sébastien Gotti, « Au cœur du 17 octobre 2024 », Revue Quart Monde, 271 | 2024/3, 3-6.

Electronic reference

Aye Aye Win, Kysly Joseph and Sébastien Gotti, « Au cœur du 17 octobre 2024 », Revue Quart Monde [Online], 271 | 2024/3, Online since 01 March 2025, connection on 26 March 2025. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11467

Chaque année, le thème de la Journée mondiale du refus de la misère, célébrée le 17 octobre, fait l’objet d’une large consultation animée en particulier par le Forum du refus de la misère. Les auteurs décrivent dans les lignes qui suivent, avec le résultat de la consultation, le processus qui a conduit à son choix.

Bien avant le 17 octobre 1987 et la première célébration de la Journée du refus de la misère l’année suivante, le fondateur du Mouvement international ATD Quart Monde, soucieux que « personne ne reste seul dans son engagement contre la misère », avait suscité la création d’un réseau international, ancêtre de l’actuel « Forum du refus de la misère ». Le 1er juin 1980, il écrivait une lettre aux amis d’Afrique :

« Vous savez que, depuis plusieurs années déjà, nous cherchons à établir un réseau de relations avec tous ceux qui veulent combattre l’extrême pauvreté sur les différents continents. Ce réseau, nous l’avons appelé Forum permanent sur l’extrême pauvreté. »1

Du Forum permanent sur l’extrême pauvreté au Forum du refus de la misère

Depuis les débuts du Mouvement, le père Joseph n’avait cessé d’écrire à toutes les personnes dont il avait eu connaissance, et dont l’action contre la grande pauvreté lui paraissait significative, et à ce titre, un atout précieux pour le combat contre la misère. Plus rarement, il eut l’occasion d’en visiter certains, ou d’envoyer des volontaires leur rendre visite, mais il lui paraissait nécessaire de consolider la solidarité entre ces personnes et de transformer les contacts, jusqu’ici individuels, en un courant d’échanges permanents. Le Forum permanent s’est doté à cette fin d’un outil : la Lettre aux amis du monde, qui paraît trois fois par an. Il a aussi organisé plusieurs séminaires, permettant à quelques correspondants d’Afrique en 1981, d’Amérique du Sud en 1985, du bassin méditerranéen en 2005, de se rencontrer.

Le Forum du refus de la misère poursuit cette mission et est en lien avec des centaines de correspondants à travers le monde. Ces amis ne sont pas des membres du Mouvement ATD Quart Monde. Mais tous connaissent la date du 17 octobre, Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, reconnue par les Nations unies en décembre 1992, et la marquent, chacun à leur manière.

Le Forum, en lien avec le Comité international 17 octobre, soutient ces célébrations dans le monde, depuis leurs préparations jusqu’à leurs exécutions en y faisant échos sur le site internet du Forum.2

Choisir le thème de la Journée du refus de la misère

Chaque année, le Forum met en route la consultation lancée par le Comité international 17 octobre, afin de choisir le thème de la journée, soumis ensuite aux Nations unies, qui l’officialise et le diffuse à travers le monde.

En cette année 2024, au début du mois de février, un questionnaire a ainsi été envoyé à tous les correspondants du Forum ainsi bien sûr qu’aux équipes du Mouvement lui-même. L’objectif était de retenir un thème pour un cycle de deux ans, couvrant ainsi les années 2024 et 2025.

L’envoi était adressé à un peu plus de 500 correspondants et correspondantes. De cette consultation, sont sorties pas moins de 189 contributions, individuelles et collectives, soit une participation de 214 individus au total cette année. À cet envoi s’est ajoutée une nouveauté pour 2024 : les échanges en visioconférences animés par le Forum du refus de la misère.

Pour la première fois cette année, des rencontres à distance ont eu lieu après un premier travail de synthèse des réponses reçues au questionnaire en ligne. Ces échanges ont réuni au total 22 personnes de 9 nationalités différentes lors de quatre rencontres de 2 heures : deux en français, une en anglais et une en espagnol.

L’objet de ces échanges était surtout de vérifier les analyses avancées dans cette collecte d’opinions. L’idée était de permettre aux personnes présentes de réagir, d’approfondir voire d’éclaircir certaines idées, de les reformuler, afin d’affiner la synthèse.

Les personnes en situation de pauvreté sont de véritables lanceuses d’alerte au travers de leurs expériences de vie et des savoirs qu’elles en tirent. C’est en tissant les fils de plusieurs pensées liées aux expériences des premières personnes concernées qu’on avance vers un croisement des savoirs.

Les thèmes proposés

Deux grands thèmes ont été proposés par le Mouvement ATD Quart Monde en lien avec des amis et partenaires de l’ONU à New York et ailleurs :

  • Thème 1 : Vaincre la maltraitance sociale et institutionnelle.

  • Thème 2 : De nouveaux lendemains pour chaque enfant, chaque famille et chaque personne laissés pour compte.

Une synthèse3 des réponses à cette consultation a été réalisée par le Forum. Les résultats obtenus montrent la complémentarité entre les deux thèmes proposés. Y sont revenues les définitions de la maltraitance institutionnelle d’une part, et de la maltraitance sociale d’autre part. Celles-ci figuraient déjà dans la recherche internationale menée par ATD Quart Monde avec l’Université d’Oxford sur les dimensions cachées de la pauvreté.4

Parmi les réactions, y est révélé le fait que la maltraitance grandit souvent sur des incompréhensions mutuelles, des préjugés sur les personnes en situation de grande pauvreté. Ces a priori créent de la méfiance et de la peur chez les personnes les plus éloignées des services publics, ou des institutions censées les soutenir.5

Le résultat de la consultation

La consultation a permis de développer un argumentaire qui explicite le thème et de tracer un chemin d’engagement qui est proposé.

De la maltraitance institutionnelle

Par maltraitance institutionnelle s’entend, selon les diverses contributions, la question de l’accessibilité aux services publics, ou du langage utilisé par l’administration, souvent difficile à comprendre. Aussi, avec le développement de l’automatisation et de l’intelligence artificielle, apparaît un nouveau risque d’exclusion.

La question de la violence scolaire a été également mentionnée. L’école, bien souvent, produit de l’exclusion.

« Souvent, les enfants de familles en situation de pauvreté sont orientés de manière abusive vers des enseignements d’exclusion. » Arnaud, Belgique.

Concernant l’accès aux soins, plusieurs contributions pointent le manque de prévention ou simplement d’information, ainsi que la dégradation des services de santé là où ils existent.

« L’accès aux services de santé est essentiel pour l’éradication de la pauvreté, mais des millions de personnes dans le monde n’ont pas accès aux soins de santé de base en raison de facteurs tels que le coût de ces soins, l’éloignement géographique et l’insuffisance des infrastructures de santé. » Sulosh, Afrique du Sud.

Une autre grande catégorie de réponses concerne la séparation des familles. La grande pauvreté empêche celles et ceux qui l’expérimentent de vivre en famille.

« La séparation des familles est à la base de la recrudescence du nombre des plus pauvres dans certains pays. [... ] C’est l’une des raisons qui ont causé la présence d’un grand nombre d’enfants en situation de rue, ce qui les expose à la grande pauvreté future. » Édouard, République démocratique du Congo.

Enfin, concernant la maltraitance institutionnelle, une dernière catégorie des réponses remet en cause une aide jugée contre-productive. Quand elle n’est pas pensée et construite avec des personnes directement concernées, l’aide mise en place par les États, tout comme les programmes de développement, produisent parfois plus de mal que de bien.

« L’État met en place des programmes d’aide avec des budgets pour venir en aide aux familles et aux personnes en précarité, mais les critères pour y accéder sont en complet décalage avec la réalité et des fois, ils sont discriminatoires. » Patricia, Île Maurice.

De la maltraitance sociale

Le second aspect de la maltraitance, celle de la société, a suscité des réactions par rapport au harcèlement, notamment à l’école. D’autres contributions insistaient sur un manque de modèles issus de la diversité, ce qui fait que des enfants ne s’imaginent pas faire certains métiers.

Un point extrêmement saillant dans les contributions sur ce sujet, c’est le prix de la honte, des humiliations, et du poids des préjugés. Faire tomber sur les épaules des personnes en situation de pauvreté la responsabilité de ce qu’elles vivent, voilà peut-être une des plus grandes violences qu’exerce la société sur celles‑ci.

Enfin, par rapport à la maltraitance sociale, la dernière grande idée tirée de cette consultation, fut l’exploitation par le travail. Le manque d’opportunités d’emploi et de travail décent paraît être un facteur majeur de pauvreté.

Focus sur l’existence légale

Un aspect de la maltraitance institutionnelle est souvent mentionné : le non-respect du droit à l’existence légale, c’est-à-dire autant la question de l’enregistrement de chaque enfant à la naissance que celle de la domiciliation.

« Bon nombre d’enfants, voire même d’adultes, ne possèdent pas l’acte de naissance et la majorité est dépourvue de certains services tels que l’inscription à l’école, les démarches de l’identité nationale, le visa… » Bob, Centrafrique.

Que révèle cette réalité de la maltraitance ?

La question de la maltraitance permet de mettre en évidence une dynamique plus large qui traverse l’ensemble de la société, sur le besoin de comprendre et de nommer ce que l’on vit. Dans l’expérience de ces personnes vivant dans la grande pauvreté, toutes ces différentes formes d’oppression s’articulent et se nourrissent réciproquement. Elles ont besoin de mettre des mots sur ce qu’elles vivent pour acquérir un pouvoir d’agir afin de faire changer les choses.

Vaincre la maltraitance : comment cela nous engage‑t‑il ?

[…] Si nous voulons collectivement relever ce défi de mettre fin à la misère et (re)créer une société qui garantisse à chacune et chacun les conditions pour vivre et s’épanouir, il nous faut réfléchir et construire ensemble les conditions de la participation de toutes et tous.

Le combat pour mettre fin à la misère est complexe et de longue haleine. Il nécessite que nous mettions nos efforts en commun, que nous puissions partager nos expériences et célébrer nos réussites.

1 Lettre aux amis d’Afrique, juin 1980, n° 1.

2 https://refuserlamisere.org/

3 https://refuserlamisere.org/synthese-de-la-consultation-2024/ Les auteurs remercient particulièrement Thomas Pizard, auteur principal de cette

4 https://www.atd-quartmonde.org/wp-content/uploads/2019/12/Dimensions-cachées-de-la-pauvreté-9-12-2019.pdf, p. 19.

5 https://refuserlamisere.org/affiche-internationale-17-octobre-2023-2/ Dans [boîte à outils], cliquer sur Affiche pour le prochain 17 Octobre 2024.

1 Lettre aux amis d’Afrique, juin 1980, n° 1.

2 https://refuserlamisere.org/

3 https://refuserlamisere.org/synthese-de-la-consultation-2024/ Les auteurs remercient particulièrement Thomas Pizard, auteur principal de cette synthèse pendant la période qu’il a passée dans l’équipe du Forum.

4 https://www.atd-quartmonde.org/wp-content/uploads/2019/12/Dimensions-cachées-de-la-pauvreté-9-12-2019.pdf, p. 19.

5 https://refuserlamisere.org/affiche-internationale-17-octobre-2023-2/ Dans [boîte à outils], cliquer sur Affiche pour le prochain 17 Octobre 2024.

Aye Aye Win

Aye Aye Win, originaire du Myanmar, milite depuis des années pour la défense de la dignité humaine. Elle est Présidente du Comité international 17 octobre.

Kysly Joseph

Kysly Joseph, de Haïti, et Sébastien Gotti, de Belgique, sont volontaires permanents du Mouvement ATD Quart Monde. Ils animent ensemble le Forum du refus de la misère.

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Sébastien Gotti

Kysly Joseph, de Haïti, et Sébastien Gotti, de Belgique, sont volontaires permanents du Mouvement ATD Quart Monde. Ils animent ensemble le Forum du refus de la misère.

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