Quand avec des amis de la Cour aux cent métiers, je vais voir des parents pour la première fois, ceux-ci ne savent pas qui nous sommes. Certains sont inquiets : ils ont peur que leur enfant ait fait quelque chose de grave et que nous soyons là pour les interroger. D’autres se font des illusions : ils nous prennent parfois pour ses employeurs et souhaitent qu’il reste avec nous. Mais, quand nous réussissons à avoir des relations vraies, ils nous voient autrement : ils devinent ce que nous pouvons leur apporter ainsi qu’à leur enfant. Un jour, l’oncle d’un enfant m’a confié : « Si vous saviez l’importance de ces visites, de ce renouement des liens familiaux, vous ne feriez rien d’autre dans votre vie »
Lorsque nous visitons une famille, nous n’arrivons pas comme des gens qui viennent lui imposer quelque chose, nous le faisons comme si nous allions visiter notre propre famille. Nous nous intéressons à tout ce qu’elle a déjà fait pour l’enfant et nous encourageons ses efforts.
Chaque visite nous ramène à l’éducation. C’est l’occasion pour le père, les oncles, le grand-père de se réunir pour parler de l’enfant. Nous recueillons les avis des uns et des autres. L’important pour nous est de nous associer à la famille. Nous n’intervenons pas sans ce consensus : ne rien faire pour l’enfant sans le consentement de sa famille et ne pas faire de démarche envers celle-ci sans le consentement de l’enfant. Sinon toutes nos actions ne mènent nulle part.
Quand à la suite d’une telle rencontre, un enfant reste peu dans sa famille et repart en ville, pour nous ce n’est pas un échec, du moins s’il reste présent dans la conscience de la famille et si celle-ci reste présente dans sa conscience.
L’enfant de tout le monde
Je suis issu d’une famille nombreuse. J’ai grandi au village jusqu’à l’âge de quinze ans. Mon éducation m’a donné le sens des responsabilités. J’ai appris le respect, l’intégrité. Quand j’avais faim, je savais que je pouvais trouver de la nourriture dans une autre famille, mais si on me la donnait d’une manière humiliante, je préférais rester à jeun.
Un proverbe dit : « Un bon enfant, c’est l’enfant de tout le monde ». Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de transition dans l’éducation. Les parents qui n’ont pas reçu l’éducation dite moderne ne peuvent la transmettre à leurs enfants. Ils ont aussi du mal à transmettre l’éducation ancestrale car le cadre dans lequel celle-ci se transmet est en train de disparaître. On tend à l’individualisme au village. Auparavant, si la famille n’arrivait pas à ramener un enfant difficile à la raison, la communauté faisait en sorte qu’il soit intégré. Maintenant personne ne veut et ne peut ramener un tel enfant à la raison ni aider sa famille à sortir de cette situation. Alors les parents sont confrontés à des problèmes d’ordre social, économique, et il est difficile pour eux de décider du sort de leur enfant.
C’est ensemble que nous devons rechercher des solutions d’avenir pour l’enfant et sa famille, en valorisant les paroles et les gestes des uns et des autres. Cette démarche ne devrait-elle pas être à la base de tout projet de développement ?