Placement en foyer et retour en famille

Hélène Milova

p. 37

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Hélène Milova, « Placement en foyer et retour en famille », Revue Quart Monde, 178 | 2001/2, 37.

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Hélène Milova, « Placement en foyer et retour en famille », Revue Quart Monde [En ligne], 178 | 2001/2, mis en ligne le 05 novembre 2001, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1722

Les jeunes placés en foyer ont-ils une chance de retourner dans leurs familles ?

Pour les éducateurs travaillant avec des jeunes placés en internat éducatif, l’une des priorités est le travail avec la famille des enfants vivant dans le foyer. J’ai tenté d’analyser cet aspect lors d’une recherche effectuée en 1999-2000 sur le système français de protection de l’enfance et les mécanismes de placement et de prise en charge de mineurs en internat1

En effet, le maintien des « liens familiaux » entre enfants et parents est censé être un principe primordial lors de toute intervention dans le cadre de la protection de l’enfance. L’objectif de l’ « éloignement » par un placement en foyer, tel qu’il est présenté dans les textes officiels et les ouvrages sur la protection sociale et judiciaire des mineurs, est un « rapprochement » des jeunes et de leur famille, ainsi qu’un retour en famille grâce au « maintien des liens familiaux »2. C’est ce qu’a souligné, par exemple, le directeur d’un foyer associatif :

« – Le but, je crois, de tous les foyers éducatifs, [...] c’est le retour en famille. [...] Quand c’est possible, bien entendu. Il y a des familles où ce n’est pas possible du tout.

– Par exemple, l’an dernier, vous avez eu beaucoup de retours en famille ?

– Il y a eu des changements d’établissement... Il devait y en avoir quatre, cinq [...] sur dix-huit. [...]

– C’est pas mal, quand même !

– Des fois, on a des retours, des fois, on n’en a pas. Ça ne veut pas dire que le retour en famille se soit bien passé. »

Quelles relations aux parents ?

Malgré les efforts déployés, l’objectif du retour en famille n’est pas souvent atteint. Or, ce qu’en disent les éducateurs montre que leur préoccupation première ne recouvre pas exactement celle énoncée par leurs responsables. Cet éducateur se souvient d’une expérience avec une jeune fille :

« J’ai travaillé avec elle à un niveau de maternage. Elle avait sept, huit ans. Et cette gamine est arrivée à me dire, plus tard, parce que je m’en suis occupé jusqu’à l’âge de quatorze ans : “ Ecoute, je me rappelle très bien que mon père m’a mise à la porte.” Cela a été une expérience très riche. [...] Là, je trouvais un sens à mon travail, ce qui n’a pas toujours été le cas. »

Cet éducateur livre une définition de ce qu’il considère comme succès dans son travail : avoir permis à une jeune fille de ne plus renier ce qu’elle savait de son père. D’autres éducateurs parlent de la fréquente nécessité d’une rupture, afin de soustraire le jeune à l’emprise de ses parents. En voici un exemple, évoqué par une éducatrice d’un foyer de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) :

« Sarah, au début, était en conflit avec sa mère, parfois elle pleurait avant d’y aller. Après ça, elle était en conflit avec son père, elle ne voulait pas y aller. [...] Mais on a tenu tête parce qu’on savait, fondamentalement, qu’il y avait un lien à ne pas couper... Il ne fallait pas la suivre dans ce qu’elle avançait. Il fallait lui permettre de dépasser ça. [...]

On n’a pas pansé toutes ses plaies, loin de là, mais elle est allée au bout, c’est-à-dire qu’elle a pu donner son propre avis : “ Mon espace tiers, je le préserve. J’ai dix-huit ans, je veux donc être placée et obtenir, si possible, une PJM [Protection Jeune Majeur].” [...] Et elle a su soutenir ça, qui est intéressant, malgré l’avis de sa mère, qui chargeait d’affectivité son opposition et malgré l’avis de son père, qui, lui, était plus neutre et peut-être moins investi. [...] Donc, quand le jeune arrive à soutenir sa propre position, [...] c’est quand même quelque chose de fort. »

L’objectif décrit par cette éducatrice n’est donc pas du tout un retour en famille, puisqu’elle se réjouit de ce que la jeune fille ait demandé à pouvoir continuer à vivre séparément de ses parents. L’intérêt qu’elle attribue au placement pour la relation parent-enfant est un gain d’autonomie des enfants par rapport aux parents, ou autrement dit, une perte d’influence des parents sur leurs enfants.

A en croire les éducateurs, l’objectif d’un retour en famille serait peu réaliste. Un éducateur d’un foyer associatif, qui exerce son métier depuis de longues années, paraît plutôt pessimiste sur la probabilité du rapprochement entre parents et enfants placés. Il dit n’avoir vu que rarement des « retours en famille » :

« Ça va faire trois ans que je suis ici. [...] Il y a eu des retours en famille. Il y a eu aussi des demandes de retour en famille de certains jeunes qui n’ont pas été possibles, les conditions étant inacceptables pour le juge. Conditions matérielles ou pire même, la vie des parents. Enfin il faut que ce soit stable. Il y a eu des départs, les jeunes ont pris un studio, ont été à l’extérieur, mais ils ont gardé des liens avec les parents. Mais le grand retour en famille, dans ma carrière, j’ai rarement vu ça. [...] »

A la recherche de l’autonomie

Les éducateurs font surtout référence, en ce qui concerne les relations enfants-parents, à l’objectif d’une autonomisation des jeunes par rapport à l’influence de leurs parents, et non à l’objectif, considéré comme peu réaliste, du « retour en famille ».

Cette contradiction entre les objectifs officiels du placement et les possibilités réelles qu’il offre peut être mise en relation avec le constat que faisait le sociologue américain Erving Goffman sur les « institutions totalitaires » :

« Cette contradiction entre ce que font effectivement les institutions totalitaires et ce qu’elles sont censées faire selon les déclarations des responsables constitue l’arrière-plan sur lequel s’inscrit l’activité quotidienne du personnel d’encadrement. »3

Dans les foyers étudiés ici, l’opposition a été soulignée entre le discours officiel sur l’objectif du retour en famille, formulé par l’un des directeurs, et les possibilités réelles des éducateurs de mettre en œuvre un tel retour. À première vue, les raisons nommées par les éducateurs pour expliquer la difficulté de réaliser vraiment un retour en famille ne sont pas liées à l’organisation de l’institution. En effet, ils évoquent la profondeur des conflits familiaux et la nécessité pour les jeunes de s’autonomiser face à l’emprise de leurs parents. Les éducateurs admettent eux-mêmes qu’un retrait de l’enfant à ses parents est un événement grave pour la famille.

On peut se demander si le placement n’est pas déjà en soi une entrave au retour en famille, en ce sens qu’il approfondit la rupture qui, d’après les éducateurs, existerait déjà entre parents et enfants. Il existe aussi des cas où la raison invoquée pour le placement n’est pas un conflit familial, mais une maladie, ou ce que les professionnels évaluent comme une incapacité des parents à élever leurs enfants. Dans ces cas, le placement devient l’instrument d’une rupture familiale : le jeune s’habitue à une vie plus confortable et plus stable que celle que peuvent lui offrir ses parents. Il en arrive donc à se trouver mieux en foyer que chez ses parents. Reprenons le commentaire d’une éducatrice sur une jeune fille :

« Non, on ne parle pas d’un retour en famille, parce que, économiquement, ce n’est pas réalisable, et puis la petite, maintenant, elle a vu autre chose... Elle ne veut pas rentrer chez elle. Là, elle voyage, elle apprend... »

Les meilleures conditions de vie, mais...

Fondamentalement, le but des éducateurs est de proposer aux jeunes des conditions de vie et d’éducation qu’ils pensent être les meilleures possibles dans une institution, et qui sont meilleures, du point de vue matériel, que les conditions connues par les jeunes dans leurs familles. La conséquence logique est que les jeunes s’habituent à ce mode de vie du foyer et trouvent difficile, même s’il n’y a pas de conflit grave avec leurs parents, de retourner vivre chez eux. Autrement dit, les foyers, en remplissant leur fonction même, rendent très improbable le retour en famille des enfants placés.

Mises à part des exceptions où les foyers ne remplissent pas bien leurs fonctions, l’observation de Goffman qui conclut sur une contradiction entre les objectifs officiels affichés et les fonctions réelles remplies par les institutions totales, est valable également pour les internats éducatifs. En effet, ces foyers ont bien pour fonction, comme l’admettent toutes les voix officielles concernées, d’éloigner les enfants de leurs parents, mais le deuxième objectif invoqué, appelé « rapprochement », et surtout « retour en famille », ne peut pas, de manière générale, être atteint par un placement en foyer.

1. Cette étude s’appuyait en particulier sur l’observation du fonctionnement de deux foyers éducatifs de la région parisienne : l’un, associatif
2. Cf. le rapport Naves-Cathala (présenté dans ce numéro) : Accueils provisoires et placements d’enfants et d’adolescents : des décisions qui mettent
3. E. Goffman, Asiles, Editions de Minuit, 1968, p. 121.
1. Cette étude s’appuyait en particulier sur l’observation du fonctionnement de deux foyers éducatifs de la région parisienne : l’un, associatif, accueille des jeunes placés par l’intermédiaire de l’Aide sociale à l’enfance, et l’autre, public, relève de la Protection judiciaire de la jeunesse. La recherche a fait l’objet d’un mémoire de DEA de sociologie présenté en septembre 2000 à l’université Paris 8 – Saint-Denis. Faute de temps, les seules personnes interrogées se trouvent liées aux établissements par leur profession (éducateurs, directeurs, psychologues, juge des enfants et fonctionnaires de l’ASE). Quelques jeunes ont pu être interviewés, mais aucun parent.
2. Cf. le rapport Naves-Cathala (présenté dans ce numéro) : Accueils provisoires et placements d’enfants et d’adolescents : des décisions qui mettent à l’épreuve le système français de protection de l’enfance et de la famille, IGAS, IGSJ, juin 2000.
3. E. Goffman, Asiles, Editions de Minuit, 1968, p. 121.

Hélène Milova

Doctorante en sociologie à l’université de Paris 8 Saint-Denis, Hélène Milova est affiliée au Groupe d’Analyse du Social et de la Sociabilité (GRASS), Unité de recherche mixte Paris 8 – CNRS. Sa thèse en préparation vise une analyse comparative des pratiques et conditions de travail des éducateurs de foyer en France, Allemagne et Russie.

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