Etre famille d’accueil

Jos Corveleyn and Catherine Corveleyn

p. 32

References

Bibliographical reference

Jos Corveleyn and Catherine Corveleyn, « Etre famille d’accueil », Revue Quart Monde, 178 | 2001/2, 32.

Electronic reference

Jos Corveleyn and Catherine Corveleyn, « Etre famille d’accueil », Revue Quart Monde [Online], 178 | 2001/2, Online since 05 November 2001, connection on 02 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1718

Accueillir un enfant, c’est le respecter et donc respecter ses parents

En Belgique, le placement d’un enfant en famille d’accueil est en principe une mesure temporaire, accompagnée d’une procédure d’évaluation régulière. Il peut être volontaire ou imposé. Volontaire, il se fait sur demande de la famille elle-même ou sur proposition d’un professionnel qui essaie de la convaincre de choisir ce type de placement. Celui-ci s’effectue toujours avec le consentement et la supervision d’un comité officiel (« aide à la jeunesse ») qui octroie une allocation spéciale à la famille d’accueil. Le placement obligatoire ne peut être imposé que par le juge de la jeunesse.

Dans les deux cas, le placement est réalisé par l’intermédiaire d’un service spécialisé qui s’occupe du recrutement et de l’accompagnement de la famille d’accueil, mais aussi de l’ajustement entre les deux familles. Quels sont les critères de recrutement ? En théorie : une motivation solide et sincère pour accueillir quelqu’un venant d’un autre horizon ; un climat familial relativement stable, équilibré et ouvert sur le monde. En pratique, ce service a surtout besoin de gérer un certain nombre de placements pour assurer sa mission.

Notre expérience a été positive. Nous avons accueilli sept enfants. Le premier, un garçon de six ans, faisait l’objet d’un placement imposé. Il venait d’un milieu parental psychologiquement très perturbé. Son séjour a été bref, à cause de l’état psychotique du garçon qui troublait vraiment notre vie familiale. Les quatre enfants suivants sont venus sur placement volontaire à la demande de leur famille : deux frères (8 et 6 ans) pendant un an à cause de l’hospitalisation pour dépression de leur maman ; un garçon de 14 ans, placé pour la même raison ; un garçon de dix ans, qui est resté six années, sur demande de sa grand-mère qui avait supervisé son éducation en institution jusqu’alors. Celle-ci était sa tutrice à cause de l’arriération mentale de la maman. Elle l’aimait beaucoup mais, à plus de quatre-vingt ans, elle ne se sentait plus capable de s’en occuper et souhaitait pour lui l’entourage d’autres jeunes de son âge. Actuellement nous accueillons deux enfants : une fille de trois ans et son frère de treize mois.

Concrètement, comment se déroule un placement ? Nous sommes d’abord sollicités par téléphone pour un entretien approfondi, suivi de quelques rencontres préliminaires en terrain neutre, puis à domicile. L’enfant vient ensuite passer quelques courts séjours, comme pour un stage. Après concertation, si toutes les parties sont d’accord, on régularise la situation, ce qui s’effectue parfois grâce à une rencontre directe entre les deux familles.

C’est ainsi que toutes les six semaines nous avions à nous rendre avec tous les enfants à une réunion organisée par le service dans le but de mieux nous entendre. L’enfant pouvait se rendre compte lui-même de ces contacts et exprimer la difficulté de sa situation. Cela créait un lien entre les deux familles autour de l’enfant. Par exemple, la grand-mère tenait beaucoup aux bons résultats scolaires. Nous en discutions pendant les réunions, nous savions que la grand-mère comptait sur nous et que nous avions le feu vert pour veiller aux études de l’enfant, alors qu’au début celui-ci disait que c’était contre sa famille que nous le faisions travailler ! C’était vraiment travailler ensemble pour le bien de l’enfant, qui ne se sentait pas déchiré.

Nous avons eu la chance d’avoir pu collaborer avec un service de placement qui faisait sérieusement son travail. L’accompagnateur avait à cœur les contacts avec la famille d’origine et prenait en compte ses désirs. Nous pouvions toujours l’appeler en cas de difficultés ou de doutes. Si un conflit surgissait entre nous et l’enfant, nous pouvions rapidement provoquer une réunion spéciale. Cette façon de travailler n’est hélas pas la règle générale. Certains services se limitent au strict minimum : pas d’accompagnement vrai, la visite de contrôle prescrite tous les six mois… Parfois les familles pauvres se plaignent d’un manque de respect et d’écoute, d’un regard hautain (même s’il n’est pas intentionnel). On oublie en effet trop souvent la situation totalement dépendante de la famille et on peut comprendre pourquoi ces familles ne sont pas très portées vers le placement en famille d’accueil : risque de rivalité autour de l’affection des enfants et de confrontation avec un contexte institutionnel.

Parler vrai

  • La situation de la famille d’accueil est difficile, puisqu’elle doit à la fois se substituer plus ou moins aux parents naturels et maintenir la qualité du lien entre eux et l’enfant. Comment faites-vous pour concilier les deux ?

Pour bien situer les rapports entre famille d’origine et famille d’accueil, on peut utiliser certains termes de Françoise Dolto. Elle fait la distinction entre les « parents de naissance » et les personnes qui se chargent de la fonction parentale. Normalement ces deux réalités vont ensemble, mais il y a des situations où ce n’est pas possible : incapacité temporaire, maladie, mort. En cas de placement, les parents d’accueil s’occupent de la fonction parentale sans pour autant remplacer les parents de naissance. Il est nécessaire que les parents d’accueil fondent leur engagement vis-à-vis de l’enfant sur le respect et la reconnaissance de la réalité de ses parents de naissance. C’est dans cet esprit qu’ils doivent « parler vrai » à l’enfant qui leur est confié : sur son origine bien sûr, mais aussi par exemple sur l’état réel du couple dans lequel vit sa mère.

A l’enfant de 3 ans, placé chez nous depuis l’âge de vingt mois, nous avons toujours dit que le nouveau partenaire de sa mère n’est pas son papa, et nous ne lui avons pas caché que son « vrai » papa a interrompu ses contacts. Nous parlons ainsi de toutes les réalités que l’enfant rencontre, mais avec des paroles qui lui soient compréhensibles. Par exemple, à la maison nous parlons toujours du partenaire de la maman en utilisant son prénom ou en disant « papa Fernand ». Lorsqu’il y a quelque temps le père a demandé à pouvoir revoir sa fille, nous avons dû réintroduire l’enfant à l’existence de son papa, qu’elle n’avait plus vu depuis un an et demi. Nous lui avons montré une photo en disant : « Papa a téléphoné. Il veut te revoir et t’inviter à sa maison. Il nous a dit qu’il t’aime toujours beaucoup. Pendant longtemps il n’a pas pu prendre soin de toi, et c’est pour cela que tu es chez nous. Mais maintenant il a trouvé un bon travail, un appartement, une nouvelle amie et il se sent très fort pour de nouveau t’aider à grandir. Nous allons parler avec la dame du service de placement pour voir comment nous allons faire. » L’enfant n’a pas été étonnée par ces propos ni d’entendre parler de « son » papa, alors qu’il s’agissait là d’une réalité affective pas très simple à encaisser. C’était comme si nous avions confirmé ce qu’elle savait déjà.

Autre exemple. Quand nous emmenons la petite à la crèche, nous passons devant l’ancien appartement de sa maman. Au début, à chaque fois elle disait : « Maman, ici ! » Alors, à chaque fois, nous lui tenons à peu près ce langage : « Maman et toi, vous avez habité ici lorsque tu étais très petite. Maintenant maman n’habite plus là. Elle n’a pas disparu, tu le sais, elle habite avec papa Fernand dans une autre maison. Elle t’aime bien, mais elle ne se sent pas assez forte pour prendre soin de toi. Elle nous a demandé de l’aider pour que tu ailles à la crèche jouer avec d’autres enfants, pour que tu dormes bien et que tu manges régulièrement. Tu sais qu’elle t’attend toujours dans sa nouvelle maison pendant le week-end, avec papa Fernand. » C’était comme un rituel rassurant, une occasion aussi pour nous de lui donner des mots corrects pour comprendre son monde. Semaine après semaine, elle faisait l’expérience de la régularité de ses visites à sa maman, de l’affection de celle-ci, et de la continuité des soins, de la tendresse et de l’attention qu’elle recevait chez nous.

Cette façon de faire a permis à l’enfant de garder un lien affectif intense et fidèle envers sa maman. Son affection pour le nouveau partenaire a pu grandir. Dès qu’elle a commencé à parler, elle a pu utiliser nos paroles pour elle-même raconter ce qu’elle vivait. Cela a fortement renforcé son estime d’elle-même et de sa maman. Nous n’avons pas pris la place des parents. Nous vivons notre rôle comme délégués des parents dans l’exécution des tâches éducatives. Ainsi nous permettons à l’enfant de se positionner en participant activement à cette situation complexe. Nous osons l’affirmer à cause du fait que l’enfant a commencé à vivre de façon très détendue, surtout à partir du moment où elle a pu parler et nous interroger sur toutes sortes de choses. Si on a toujours recours à des paroles vraies, l’enfant pourra entendre dans toutes les réponses qu’elle reçoit la même histoire, la même cohérence dans l’explication de sa situation. Aujourd’hui, elle ne nous interroge presque plus, elle est rassurée et manifeste une joie de vivre.

Créer la confiance

  • Certains estiment qu’il serait préférable qu’un enfant soit placé dans une institution plutôt qu’en famille d’accueil. Qu’en pensez-vous ?

En cas de placement imposé, les travailleurs sociaux ont raison de préférer l’institution. Pour eux c’est beaucoup plus facile à gérer. La petite fille qui est chez nous fait l’objet d’un tel placement depuis décembre dernier. La personne du service social qui vient la visiter nous a déclaré un jour : « Au fond, c’est une enfant qui devrait être en institution. Nous n’aurions pas à faire toutes ces concertations, mais seulement un rapport qui s’en tiendrait au règlement, en préconisant éventuellement des sanctions comme la suppression temporaire des visites ! »

En cas de placement volontaire, il est absolument impossible de travailler si la famille n’a pas le sentiment de contrôler la situation, ce qui n’est justement plus le cas lorsque les travailleurs sociaux s’en mêlent. Ceux-ci choisissent ce qui leur paraît le moins menaçant et les parents se sentent dépossédés de leur enfant. C’est pour cela qu’il faut avant tout se baser sur la confiance qui a pu naître, sur un lien affectif qui a pu se tisser.

Nous avons parcouru un tel processus. Dès avant la naissance de la petite, un réseau de soutien familial avait demandé à Catherine de prendre contact avec la maman pour devenir un peu son amie afin de la soutenir pendant les grands changements qui allaient arriver avec la venue de son premier enfant. Cette maman avait alors 18 ans, venait de sortir d’un internat et essayait de vivre en ménage avec le père de l’enfant qui n’avait que vingt ans. Il s’agissait d’un rôle de soutien. Trois fois par semaine, Catherine allait rendre visite à la future maman et l’accompagnait pour faire des courses, se rendre au bureau de chômage ou chez son propriétaire, préparer des repas. Après la naissance, ce besoin de contacts s’est accru. La maman téléphonait journellement pour demander toutes sortes d’informations ou pour se plaindre de ses conditions de logement. Elle voulait surtout être rassurée sur des petits détails concernant la vie de son bébé ou au sujet de tensions avec le papa. Parfois, Jos accompagnait Catherine pendant ses visites, surtout quand il y avait un problème pratique à résoudre avec l’électricité ou quand il a fallu chercher un logement. Le placement (volontaire au début) a commencé lorsque l’enfant a eu 20 mois, soit dix mois après la rupture du couple, et deux mois avant la naissance du deuxième enfant. Nous étions devenus de fait les confidents de la maman, qui nous disait que nous étions comme de vrais parents, comme des parents qu’elle n’avait jamais eus. Elle nous a textuellement dit qu’elle ne « plaçait » pas l’enfant chez nous mais qu’elle nous la « confiait ». C’est parce que nous avions déjà accueilli la maman que nous avons en conséquence aussi accueilli son enfant. Nous aimons et respectons beaucoup cette maman. Elle le sait. Bien que la séparation et l’échec ne soient pas faciles à vivre, elle se sent en sécurité avec nous, et par conséquent l’enfant également, et nous aussi. Nous pouvons être très directs avec elle, sans peur de la froisser ou de briser quelque chose.

Apprendre la solidarité

  • Comment évaluez-vous vos expériences d’accueil antérieures ?

Ayant pu travailler dans le même esprit à l’occasion des placements antérieurs, nous pouvons dire que nos expériences ont été bonnes, sinon nous n’aurions pas continué ! Pour les placements tout à fait temporaires, nous n’avons plus que quelques échos des enfants. Celui qui est resté six ans chez nous a repris contact deux ans après son départ un peu difficile. Depuis, nous nous voyons très régulièrement. Ces contacts sont très gais, ils nous donnent même de l’énergie, à nous et à nos propres enfants. Ils ont vraiment appris à se respecter, alors qu’ils sont pourtant d’un tout autre milieu, avec d’autres valeurs. Lorsqu’il vient en visite, nos garçons sont tous là pour le revoir, manger ensemble. A table recommence la vieille atmosphère de taquineries mutuelles : « Tiens, est-ce que tu étudies toujours autant ? » ; « Et toi, combien de vélos as-tu déjà démolis au cours de tes séances de réparation ? ». Quoique son séjour n’ait pas toujours été facile pour nos enfants, ceux-ci ont appris à vivre dans une atmosphère de camaraderie, à respecter n'importe qui dans notre société, à partager, à être solidaires de ceux qui, par le destin, sont obligés à vivre dans une situation difficile. Et lui-même est reconnaissant, ouvert, très fier de pouvoir nous montrer comment il gère sa vie et essaie de se maintenir. A vingt-deux ans, il vit maintenant avec son amie dans les environs. Il entretient des contacts réguliers avec sa maman qui se débrouille pour survivre dans la capitale. Il nous dit : « Maintenant je comprends pourquoi maman ne pouvait pas s’occuper de moi. Elle n’en avait pas les capacités. Mais nous nous aimons bien. Elle a eu le courage de me placer dans une famille où je pouvais apprendre à vivre. C’était dur, mais j’ai appris beaucoup. Maintenant je m’occupe d’elle, je lui rends régulièrement visite ainsi qu’à ma sœur, qui vit avec un bon gars que j’accepte bien. Je veille sur ses consultations chez le psychiatre et si elle n’est pas satisfaite, je cherche un autre centre de guidance pour elle. Je ne la laisserai pas tomber. »

Jos Corveleyn

By this author

Catherine Corveleyn

Parents de quatre enfants aujourd’hui âgés de 19 à 25 ans, Catherine Maës et Jos Corveleyn sont famille d’accueil en Belgique depuis 1986 et membres du Mouvement ATD Quart Monde depuis 1992. Ils accueillent actuellement deux enfants de 3 ans et 1 an, qui sont frère et sœur. Ils ont rédigé leurs réponses aux questions écrites de Xavier Godinot

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