En Italie, l’occupation d’un immeuble n’est pas un délit si...

Linda Traversa

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Linda Traversa, « En Italie, l’occupation d’un immeuble n’est pas un délit si... », Revue Quart Monde [Online], 207 | 2008/3, Online since 01 March 2009, connection on 02 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2394

Le 26 septembre 2007, la Cour de cassation italienne a jugé que le droit au logement figure parmi les prérogatives essentielles attachées aux droits fondamentaux des personnes. De ce fait, selon la Cour, loccupation dun logement social inutilisé par une personne indigente et en état de nécessité peut ne pas constituer un délit pénal. Lauteur situe la décision dans le contexte juridique et politique italien et en analyse son applicabilité dans dautres pays.

La Déclaration universelle des droits de lhomme déclare dans son article 25 que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour [...] le logement ». A travers cette Déclaration, le droit à un logement décent a fait son entrée dans de nombreuses Constitutions en Europe, entre autres en Italie et en France1. Ces deux pays ont aussi signé la Charte sociale européenne, sengageant ainsi au sein du Conseil de lEurope à favoriser laccès à un logement dun niveau suffisant et à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes.

En vue de loccupation dun immeuble, le droit au logement soppose au droit de propriété, qui figure lui aussi parmi les droits de lhomme. Le droit de propriété nest pas un droit absolu. Il peut être limité au nom de la « fonction sociale » de la propriété (Italie) ou dans lintérêt collectif (France). Cest ainsi que l’État, par une politique adéquate du logement, sest donné comme mission de garantir la possibilité doffrir une maison à tous ceux qui ne disposent pas dun revenu suffisant pour pouvoir accéder au marché du logement privé.

En France, le droit au logement est depuis peu opposable, cest-à-dire quon peut le faire valoir contre autrui. Jusqu’à présent, ce nouveau dispositif permet aux personnes sans domicile de recourir auprès des autorités pour le faire appliquer, de manière dabord amiable, puis en justice mais il ne justifie en rien une occupation.

Le logement social en Italie

Laffaire examinée par la Cour de Cassation italienne2 concerne un logement social géré par un Institut autonome pour le logement social (I.A.C.P - Istituti autonomi per le case popolari). Les instituts autonomes pour le logement social sont apparus au début du siècle dernier suite à ladoption dune loi pour faciliter la construction dhabitations sociales. Ils sont chargés de construire des immeubles, de gérer les logements, ainsi que de développer des activités immobilières sous le contrôle de la Région.

Depuis la deuxième moitié des années 80, la politique du logement social est caractérisée par un retrait de plus en plus accentué des pouvoirs publics, dabord de l’État, puis des Régions, qui depuis 1998 sont compétentes en cette matière3. Ainsi, en 2004, seules 1 900 nouvelles habitations subsidiées ont pu être construites, alors que ce nombre s’élevait à 34 000 en 1984. Ceci peut sexpliquer par le fait que les I.A.C.P. étant désormais seuls responsables de leur financement, ils sont obligés de vendre leurs biens immobiliers afin de financer leurs activités. Or, un immeuble I.A.C.P. se vendant à un tiers du prix courant, les I.A.C.P. doivent vendre trois immeubles afin den faire construire un nouveau.

LItalie se trouve actuellement face à une pénurie de logements sociaux. Les logements sociaux publics ne constituent que 5 % de lensemble du parc de logements. La moyenne européenne est de 16%4. De plus, les habitations sociales gérées par les I.A.C.P. sont parfois lobjet dabus. Par exemple, il arrive quelles soient attribuées à des gens qui ne sont pas ou ne sont plus dans le besoin. Il se peut aussi que ces logements se trouvent en possession des héritiers des personnes auxquelles les logements ont été originairement attribués : ils peuvent légalement continuer à habiter le logement même sils disposent de leur propre habitation et laissent le logement social inhabité pour la plus grande partie de lannée. Vu la pénurie générale des logements sociaux, cette pratique cause un véritable dommage aux gens réellement dans le besoin.

En Italie, il existe des critères daccès aux logements sociaux ainsi quun système de quotas qui permettrait aux autorités compétentes dattribuer des logements directement selon leurs propres critères de priorité5. Malgré tout, le nombre croissant de personnes qui attendent en vain une attribution de logement montre que lItalie narrive pas à mettre en œuvre le droit au logement. Pour la France, ce même manquement a dailleurs été constaté récemment par le Comité européen des droits sociaux qui concluait que les démarches entreprises ne suffisaient pas à assurer la priorité dune offre de logements sociaux aux plus défavorisés.

Le raisonnement de la Cour de cassation

En Italie, comme dans la plupart des pays, loccupation dun logement sans titre est illégale et sanctionnée pénalement. La question a dès lors porté sur le fait de savoir si une telle occupation illégale pouvait dans certains cas être justifiée par un intérêt supérieur. En droit italien, un article du Code pénal prévoit en effet que l’état de nécessité peut valoir limpunité à une personne qui commet une infraction pour échapper elle-même à une menace ou à un danger ou en protéger un tiers.

Avant larrêt de 2007, la jurisprudence de la Cour de cassation admettait en général quune menace sur la personne concernait les droits constitutionnels, qui insistent sur le concept de la dignité et des droits inviolables de lhomme. A la lumière de ce concept, la disponibilité dun logement a été considérée une condition préalable (« instrumentale ») à la jouissance et à lexercice effectifs des droits protégés par la Constitution.

Pourtant, la Cour suprême nallait pas au-delà de ces affirmations générales. Elle évitait ainsi de se prononcer sur les « droits instrumentaux », qui servent à jouir véritablement de ses droits constitutionnels. La Cour suprême a abordé les cas doccupation abusive dimmeubles en appréciant plutôt le danger menaçant ou non la personne. Ainsi, elle niait aux personnes sans domicile fixe l’état de nécessité, car elles auraient dû recourir aux agences compétentes pour obtenir une assistance spécifique au lieu denfreindre les droits dautrui.

Dans le cas d’espèce, la Cour suprême italienne a accepté le recours d’une mère isolée contre la condamnation au payement d’une amende de 600 € par le tribunal d’appel de Rome pour avoir occupé un immeuble I.A.C.P. La Cour suprême a considéré que le tribunal d’appel de Rome n’avait pas effectué une enquête suffisamment précise afin de vérifier l’état de nécessité invoquée par l’accusée. Le tribunal d’appel de Rome devra donc réexaminer le dossier.

Dans larrêt du 26 septembre 2007, la Cour de cassation semble avoir accepté lapplication de la thèse de l’état de nécessité en matière de droit au logement. Contrairement donc à sa jurisprudence antérieure, elle dit que l’état de nécessité ne sapplique pas seulement quand le danger menaçant une personne concerne une atteinte à sa vie ou à son intégrité physique mais aussi quand elle touche à ses droits fondamentaux en général. De ce fait, l’état de nécessité sapplique aussi à des situations qui ne menacent quindirectement lintégrité de la personne, pour autant quelles portent atteinte à la sphère des droits primaires liés à la personne. Parmi ces droits primaires figure le droit au logement.

La décision de la Cour suprême italienne a été considérée par la doctrine italienne comme une source déterminante de légitimation et reconnaissance du « droit au logement » présent dans plusieurs traités internationaux, dont la Déclaration universelle des droits de lhomme.

Le droit au squat en divers pays

Pour occuper un immeuble sans disposer dun titre de propriété ou bail de location, il nexiste pas de bases légales ni en Italie ni en France. La violation de la propriété dautrui est considérée illégale et est poursuivie pénalement.6

Si on regarde les législations dans dautres pays européens, on doit constater que la mise en œuvre du droit au logement peut être beaucoup plus progressiste. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni en sont deux exemples remarquables, car leurs législations permettent le squat7. En Espagne, malgré une législation restrictive, le phénomène du squat fait lobjet dune certaine tolérance de la part des juges.

En 1971, la Cour suprême hollandaise décida dans une série darrêts que le concept de linviolabilité du domicile (huisvrede) sapplique aussi aux squatters. Ainsi, loccupation dimmeubles inhabités (kraken) a trouvé une base légale par voie de la jurisprudence. Aujourdhui, la loi hollandaise permet doccuper (kraken) un immeuble sous certaines conditions : limmeuble ne doit pas avoir été utilisé pendant une durée de douze mois ; il doit être vide ou laissé inoccupé par le propriétaire qui na pas besoin de lutiliser, ce qui serait le cas si un bail locatif commençait le mois suivant.

La communauté des squatters est très bien organisée aux Pays-Bas. Dans les grandes villes, les gens qui souhaitent occuper un immeuble peuvent se renseigner auprès de krakers plus expérimentés lors des kraakspreekuurs (heures de consultation). Normalement, le squatter envoie une lettre au propriétaire afin que celui-ci invite la police à examiner si limmeuble est réellement habité par le squatter, ce qui suppose la présence dun lit, dune table, dune chaise ainsi quune serrure permettant douvrir et de fermer.

Au Royaume-Uni, le squat est aussi permis, si limmeuble à occuper est vide. LAssociation Advisory Service for Squatters conseille les squatters et publie depuis 1976 un manuel des squatters The Squatters Handbook.

Aux Pays-Bas ainsi quau Royaume-Uni, loccupation dune maison est permise si le squatter respecte certains critères. A lexception dune entrée forcée, le squat nest pas poursuivi pénalement. Le propriétaire qui souhaite récupérer son immeuble doit recourir aux instances juridiques du droit civil.

Comme aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, le mouvement des squatters (okupas) est particulièrement fort en Espagne, notamment à Barcelone. Néanmoins, lapproche juridique espagnole se distingue de la hollandaise et de la britannique. En fait, jusquen 1996, il nexistait aucune mesure légale pénalisant loccupation dendroits abandonnés. Les propriétaires devaient revendiquer leurs droits devant le juge civil qui souvent donnait raison aux okupas. En tout cas, la lenteur du procès civil conférait aux squatters lespoir dune certaine durée de loccupation. Dans les années 90, le nombre des occupations montait particulièrement vite, suite à une hausse rapide du prix de lhabitat.

Comme remède à ce phénomène fut introduit au Code pénal en 1996 le délit dusurpation. Cela devait permettre daccélérer les procès dexpulsion des squatters. Pourtant en pratique, les juges appliquent rarement cette disposition et préfèrent régler la question de lexpulsion en archivant le dossier. Les rares condamnations en relation avec la okupación dérivent de plaintes pour résistance à lautorité publique lors dune expulsion.

L’état de nécessité appliqué au logement

En Italie comme en France, l’occupation d’un immeuble est considérée illégale : elle viole le droit d’autrui même si l’immeuble était vide au moment de son occupation. L’arrêt de la Cour suprême italienne a montré qu’une véritable nécessité peut aboutir à l’impunité de l’occupant. Néanmoins, celui-ci sera incriminé et un juge décidera au cas par cas de l’état de nécessité.

Si on prend en considération l’évolution aux Pays-Bas, où le droit au logement s’est développé à partir d’une série d’arrêts de la juridiction la plus haute, la décision de la Cour de cassation italienne peut être vue comme un premier pas dans la bonne direction afin de mettre en œuvre le droit au logement en Italie. Néanmoins, la portée de l’arrêt de la Cour de cassation doit être relativisée. Quelques jours après sa décision en faveur du droit au logement, la Cour de cassation italienne a rendu un autre arrêt qui a été considéré comme un brusque virement de jurisprudence. La Cour a considéré que les logements I.A.C.P. sont destinés à la poursuite d’une finalité d’intérêt public et ne peuvent qu’être assignés à ceux qui en ont le droit. Par conséquent, l’occupation abusive serait illégale.

En outre, il convient de rappeler que la décision en question ne fait quannuler larrêt du tribunal dappel de Rome et renvoyer la cause à celui-ci pour une nouvelle décision. Au-delà de l’écho médiatique qua rencontré cette décision, il ne faut donc pas oublier que même dans le meilleur des cas - si le tribunal dappel concluait que la femme avait agi en état de nécessité - cette dernière se verrait seulement dispensée de payer lamende. Il ne lui serait conféré aucun titre doccupation légitime.

La possibilité doccuper un immeuble inhabité devrait rester lexception à la règle. Car quiconque ne disposant pas de moyens suffisants pour trouver un logement doit pouvoir demander un logement approprié aux autorités compétentes et lobtenir.

En conclusion, malgré son acceptation universelle, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que le droit au logement soit effectivement mis en œuvre, même en Europe.

1 Art.2 de la Constitution italienne, droits humains reconnus et Préambule de la Constitution française de 1946.

2 Cass. pen., n° 35580, disponible sur le site htpp:// www.cortedicassazione.it/Documenti/35880.pdf

3 Cf. Comité européen de la coordination sociale http://www.cecodhas.org

4 Le nombre de logements sociaux pour 1000 habitants est de 18 en Italie, 71 en France, 85 au Royaume-Uni, 145 aux Pays-Bas, 3 en Espagne.

5 Cf. Le logement social en Italie, http : // www.cecodhas.org

6 Il en est de même en Allemagne et en Autriche o? les squatters peuvent ?tre poursuivis en justice pour violation d’habitation.

7 Les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont ratifié la Convention des droits l’homme. Par contre, la Charte sociale n’a été ratifiée que par les Pays-Bas.

1 Art.2 de la Constitution italienne, droits humains reconnus et Préambule de la Constitution française de 1946.

2 Cass. pen., n° 35580, disponible sur le site htpp:// www.cortedicassazione.it/Documenti/35880.pdf

3 Cf. Comité européen de la coordination sociale http://www.cecodhas.org

4 Le nombre de logements sociaux pour 1000 habitants est de 18 en Italie, 71 en France, 85 au Royaume-Uni, 145 aux Pays-Bas, 3 en Espagne.

5 Cf. Le logement social en Italie, http : // www.cecodhas.org

6 Il en est de même en Allemagne et en Autriche o? les squatters peuvent ?tre poursuivis en justice pour violation d’habitation.

7 Les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont ratifié la Convention des droits l’homme. Par contre, la Charte sociale n’a été ratifiée que par les Pays-Bas.

Linda Traversa

L’auteur a étudié le droit en Autriche, en Italie et en Belgique et travaille actuellement comme juriste à Bruxelles.

CC BY-NC-ND