Les enfants ont le droit de participer à la société

Annick Dendoncker Ardisson

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Annick Dendoncker Ardisson, « Les enfants ont le droit de participer à la société », Revue Quart Monde [En ligne], 167 | 1998/3, mis en ligne le 01 mars 1999, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2788

La Convention des droits de l'Enfant devient peu à peu un point d’appui pour permettre à l'enfant d’apporter sa propre pierre à la société.

La référence permanente des politiques et des décisions doit être l’intérêt de l’enfant, mais l’enfant lui-même doit être entendu lorsqu’il s’agit de déterminer ces politiques et cet intérêt. Les Etats signataires de la Convention doivent donc prendre les mesures nécessaires.

Du côté des Etats : quelques exemples d'avancée

C'était en Belgique, à l'automne 1993 : des centaines de milliers de femmes, d’hommes, d’enfants, marchent ensemble, en silence, toutes catégories sociales, professionnelles, religieuses, confondues. Ils se sont rassemblés autour d’enfants violés et assassinés, de familles comme les leurs, pour que de tels crimes ne se reproduisent plus jamais. Bien des citoyens se sont réveillés ce jour-là. Ce jour-là, sans doute, les enfants ont été entendus. Mais après cette Marche blanche, est-on tellement sûr que c’est bien l’intérêt de l’enfant qui est resté la référence des débats ?

A cet égard, le témoignage du Délégué général de la Communauté française aux droits de l’Enfant, peut éclairer sur le rôle de la Convention, ainsi que sur celui des institutions créées dans son sillage dans les différents Etats.1

Bien avant les tragiques événements de l’été 1996, durant ceux-ci et dans les remous qui ont suivi, il continue, dit-il, « vaille que vaille, à être le Délégué général aux droits de l’enfant devant accomplir sa mission de veiller à la sauvegarde des droits et des intérêts de tous les enfants », tout en s’efforçant de « relayer les aspirations légitimes à partir d’un travail d’information et de réflexion, de discussion, de négociation pour aboutir à des améliorations des droits de l’Enfant, à une plus juste application de la Convention internationale ».

Et il écrit encore : « On voit là toute l’importance de cet instrument juridique international pouvant être l’élément fondamental d’union, de revendication et de réconciliation, facteur de solidarité et de changement. » Il dit avoir toujours tenté de s’accrocher aux principes fédérateurs contenus dans la Convention internationale des droits de l’Enfant.

C'est en 1991, année où la Belgique ratifia la Convention des droits de l’Enfant, que ce pays institua un Délégué général aux droits de l'Enfant. En 1996 ont été mises sur pied la Commission nationale des droits de l’Enfant, et la Conférence interministérielle de la protection des droits de l’Enfant, dont est sorti un éventail de propositions très concrètes. Ensuite, en 1997, a été créé un Observatoire de l’enfance, de la jeunesse, et de l’aide à la jeunesse.

Dans un autre pays, l’Italie, viennent d’être institués, fin 1997, une Commission parlementaire pour l’enfance et un Observatoire national pour l’enfance. Un fonds national pour l’enfance et l’adolescence doit financer des projets en faveur des enfants, et en particulier, les services de soutien aux relations parents-enfants et de mesures alternatives au placement des mineurs en institution, conformément aux principes de la Convention.

Enfin, à un niveau international, parmi les outils inspirés par la Convention des droits de l’Enfant, il faut souligner l’existence de l’ENOC (European Network of Ombudspersons for Children). Ce réseau européen des médiateurs des droits de l’Enfant, récemment constitué, réfléchit en priorité à la participation des enfants : d'une part, création des modèles de participation active des enfants dans la prise de décision nationale, régionale, locale et, d'autre part, détermination de la méthode à suivre par les médiateurs pour consulter les enfants de manière efficace.

La mise sur pied d’institutions et de normes nouvelles dans les pays signataires de la Convention ne garantit pas, à elle seule, le respect de la parole et la contribution des enfants. Mais elle est révélatrice d’une évolution dans les mentalités et du souci des Etats. Il revient ensuite à tous les citoyens de développer ce courant.

Quand les enfants commencent à être écoutés

Là où les enfants et les jeunes poussent la porte et prennent la parole, on ne peut plus les ignorer : ils dérangent, bousculent, remettent en question... Il faut adapter, transformer. Et les changements apportés vont souvent dans le sens de plus d’humanité, tant il est vrai que les enfants ont le don de réveiller chez l’adulte le sens de l’essentiel.

La France est le premier pays à avoir créé le Parlement des enfants.

En Italie, en mars 1996, des élèves de l’école moyenne (11/12 ans) écrivent leur indignation au président de la République : des assistants sociaux sont venus chercher deux d’entre eux, à l’école, pendant les heures de cours, pour exécuter une décision du tribunal des mineurs et les confier à une famille d’une autre région. Le père, prévenu par les voisins, est arrivé au moment où l’on emmenait ses enfants en larmes, sans leur laisser le temps de repasser chez eux ni d'emporter leurs affaires. Au père, on laissa une adresse, et une heure de visite par semaine, à plus de 160 Km de là. Les enfants sont profondément choqués qu’on ait ainsi enlevé leurs compagnons, comme des malfaiteurs. La directrice de l’école essaie de leur faire comprendre qu’on ne peut contester la décision d’un tribunal. L’école doit éduquer à la légalité... Mais la vice-présidente de la commission des affaires sociales du Parlement européen leur écrit à son tour, pour les féliciter de leur démarche et leur confier ses préoccupations en la matière.

En Belgique, plus récemment, des jeunes participent à un Parlement de jeunes, dans les locaux du conseil de la Région bruxelloise. Devant décider de l’affectation prioritaire d’un budget, ils privilégient les projets permettant la participation des jeunes à la vie publique, car ils estiment que la première exclusion dont ils sont victimes est d’ordre politique. Ils proposent de constituer un Parlement de jeunes permanent.

Les enfants participent de plus en plus fréquemment à la vie politique de leur commune à travers des conseils communaux d’enfants. En Italie, par exemple, dans une commune du Val d’Aoste, ils ont demandé, parmi leurs propositions d'amélioration, qu'un tronçon de chemin de terre soit asphalté pour permettre à un camarade handicapé d’y circuler en voiturette.

La Convention des droits de l’Enfant donne la parole aux enfants lors des procédures en justice et pour les affaires qui les concernent, en cas de divorce ou séparation des parents, etc.

L’enfant doit aussi pouvoir garder le contact avec ses parents détenus. En Belgique, par exemple, deux expériences ont eu lieu pour améliorer la situation des mères incarcérées avec leur bébé.

Le droit pour l’enfant de recevoir une information adaptée ainsi que celui de s’exprimer à travers les différents canaux existants apparaît de manière de plus en plus visible. On assiste à l’apparition de journaux télévisés et de journaux adaptés aux enfants, qui leur permettent de comprendre l’actualité et de prendre position. Les comités de rédaction composés d’enfants sont de plus en plus fréquents et apportent un autre regard sur la société. Un exemple. Dans « Le petit reporter », journal rédigé par des enfants de plusieurs écoles primaires de Tournai (Belgique), ceux-ci publient leurs réactions à propos d'un livre (« Maxime fait de la politique ») et une lettre qu’ils ont écrite au ministre belge de l’Education. Inspirés par le héros, Maxime (9 ans), qui crée un syndicat pour sauver les classes d’adaptation et défendre les élèves les plus en difficulté, ils lui demandent de réfléchir aux conséquences de ses mesures sur les élèves les plus faibles.

Analyser ou énumérer toutes les transformations dues aux enfants dans les domaines de la famille et de l'école est impossible. Mais l'une et l'autre ont profondément changé. L’enfant n’est plus seulement celui qui a tout à apprendre. Il est aussi un être à part entière, qui peut lui aussi enseigner quelque chose, donner son avis, apporter sa contribution. Au sein de la famille, on grandit, on apprend ensemble, et les parents commencent à réaliser qu’eux aussi sont « éduqués » en permanence par leurs enfants.

Grâce à l'engagement des adultes

Certes, tous ces changements ne sont pas forcément liés à la Convention et bien des professionnels ou des particuliers ne l’ont pas attendue pour écouter réellement et respecter les enfants.

Aucune prise de parole sérieuse des enfants ne serait possible sans l’engagement d’adultes qui les aident à s’exprimer et à se faire entendre. Et qui remettent sans cesse au premier plan leur intérêt et leur contribution. Car leur voix est faible, et les bonnes intentions sont vite étouffées par d’autres intérêts, plus rentables, plus immédiats, ou plus urgents ; ou par la passivité, les solutions de facilité.

C’est aussi grâce à l’engagement des adultes que tous les enfants pourront se faire entendre, et faire profiter la société de leur expérience, en particulier ceux qui vivent dans des conditions difficiles.

Pour soutenir ces engagements et les renforcer, des outils, des instruments juridiques internationaux existent, auxquels on peut faire référence ; des institutions ont été créées, à qui on peut demander des comptes, et qui constituent aussi une garantie contre les excès et les dérives qui feraient perdre de vue l’intérêt des enfants au profit d’autres intérêts personnels ou partiels. Il faut les utiliser, les faire connaître, les soutenir.

3 extraits de la Convention

- Art. 12 : Les Etats-parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

- Art. 13 : 1. L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.

- Art. 17 : Les Etats-parties reconnaissent l’importance de la fonction remplie par les médias et veillent à ce que l’enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale...

Au Parlement des enfants

Le Parlement des enfants réunit à l’Assemblée nationale, chaque année depuis 1994, 577 élèves de CM2 représentant toutes les circonscriptions électorales de la France métropolitaine et des DOM-TOM.

L’enfant, membre de la cité, est appelé à exprimer son opinion sur les services que lui offre la collectivité et à faire connaître les attentes et les besoins qui sont siens. En effet, les premières expériences vécues à Fécamp et à Epinal ont révélé combien un conseil municipal d’enfants de par sa volonté de choisir des projets concrets et sa capacité d’imagination et d’initiative peut apporter à la vie communale. Ces expériences ont débouché en 1994 sur la création du Parlement des enfants qui a pour rôle de présenter et de faire voter de nouvelles lois. Un jury national composé de députés et de représentants de l’Education nationale sélectionnent les meilleures propositions de lois envoyées par les classes. Les députés juniors voteront ensuite les trois propositions qui leur semblent les plus importantes. En 1996, et sans doute pour la première fois au monde, la proposition lauréate du Parlement des enfants ayant pour objet le maintien des liens entre frères et sœurs en cas de placement est devenue une loi de la République. (Loi n°96-1238 du 30/12/1996 relative au maintien des liens entre frères et sœurs, art. 37165 du Code civil).

Ce texte sur le maintien des fratries en cas de placement revêt un caractère d’autant plus important qu’il a été élaboré par des enfants à partir de situations vécues par des camarades. A l’Assemblée nationale, les députés l'ont voté à l’unanimité. Dorénavant, la Journée des droits de l’Enfant le 20 novembre, sera réservée chaque année au vote des meilleures propositions de loi présentées par le Parlement des enfants.

Chantal Martin

1 « Au-delà de la honte ». Claude Lelièvre. Extraits du rapport annuel 96-97 du Délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant. Ed.

1 « Au-delà de la honte ». Claude Lelièvre. Extraits du rapport annuel 96-97 du Délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant. Ed. Luc Pire. Bruxelles 1998.

Annick Dendoncker Ardisson

Juriste, Annick Dendoncker Ardisson a été volontaire permanente du Mouvement international ATD Quart Monde pendant plusieurs années. Aujourd'hui, mère de famille, elle habite en Italie. Elle continue à collaborer avec ce Mouvement, en particulier dans le domaine des droits de l'Enfant.

CC BY-NC-ND