« Je voudrais que le Parc soit joli »

Chantal Thiébaud

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Chantal Thiébaud, « « Je voudrais que le Parc soit joli » », Revue Quart Monde [En ligne], 167 | 1998/3, mis en ligne le 05 janvier 1999, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2796

L’action avec les enfants pour le respect de leur cité et de leur environnement a permis en même temps de redonner sens et dignité à ce travail de balayeur si peu considéré…

« Je voudrais que le Parc soit joli,

Qu’il y ait des oiseaux dans leur nid,

Et une pelouse avec des fleurs,

Des murs peints avec des cœurs… »

Ainsi commence un poème écrit par des enfants de la bibliothèque de rue. Le Parc, c'est la cité du Parc Bellevue, rue Félix Pyat à Marseille, 6 000 habitants entassés dans de grands immeubles qui peuvent compter jusqu'à dix-huit étages, la plupart sans ascenseur en état de marche. En juin 1997, alors qu'un groupe de jeunes a été embauché en emploi-ville pour nettoyer la copropriété côté centre social, l'endroit où nous faisons la bibliothèque de rue devient de plus en plus sale. La différence entre les deux côtés est plus que frappante. Mais les enfants dans leurs poèmes, leurs mots, aspirent à la propreté même s'ils sont les premiers à jeter les papiers par terre, même si leurs parents ne croient pas qu'il soit possible de changer quelque chose : « C'est comme ça ici, c'est Félix Pyat »

Pendant un moment, le lieu est encombré de carcasses de voitures calcinées entre lesquelles nous installons nos couvertures pour nous y asseoir avec de beaux livres. Nous repartons de là, couverts de suie, le visage et les mains noircis. Une maman qui ne peut que laisser descendre ses enfants, très demandeurs pour venir vers nous, nous donne des nattes pour nous asseoir dessus  - une façon de nous dire de veiller à ce que les enfants restent propres. Alors que nous sommes dans la saleté complète, il y a ces petits signes qui montrent que tout n'est pas fatalité. Personnellement, je suis allée à chaque bibliothèque de rue en tee-shirt blanc en me disant que si je repartais sale, les enfants aussi seraient sales. C'était ma façon à moi de résister à la saleté : aller avec des habits propres.

Nous avons cherché en équipe comment répondre à cette demande des enfants que leur cité soit propre. Avec eux, nous avons commencé un grand nettoyage de l'endroit de la bibliothèque de rue, ce même endroit qui devait accueillir les ateliers de rue de la Semaine de l'avenir partagé. Les enfants retournent noirs de suie chez eux, les parents sont furieux mais nous mettons dans un album les photos pour mettre en valeur ce qu'ils ont fait.

Puis nous faisons avec eux une pétition au maire afin de lui demander comment il peut soutenir les efforts des enfants. Le maire répond. Et un jour, les enfants voient venir, lors de la bibliothèque de rue, le responsable du service de nettoiement de l'arrondissement. Il vient, lettre dans la poche, pour les remercier de ce qu'ils ont fait. Les enfants sont impressionnés, leur demande a été entendue et leurs signatures sont sur la lettre que tient à la main ce responsable de la mairie qu'ils prennent pour le maire. A cette occasion, il distribue des bonbons et il est étonnant de voir les enfants ramasser leurs papiers après la distribution. Saïd (10 ans) ne sait pas quoi en faire. Il était, marteau à la main, en train de démonter la cabane brûlée. Il dit à un animateur : « Maintenant, je ne vais pas le jeter par terre, mon papier. Qu'est-ce que j'en fais ? » Il est bien embarrassé de ce papier qu'habituellement, il aurait jeté sans réfléchir.

Pendant toutes les vacances d'été, le nettoyage était devenu un atelier à part entière de la bibliothèque de rue. Les enfants sont plus attentifs et Patrice (8 ans) dit à un cousin : « On ne brûle plus de voitures ici, c'est propre ! »

Les enfants ont entraîné les parents derrière eux, par la force des choses puisqu'ils revenaient sales de l'aire de jeux, parce qu'ils les voyaient balais à la main à chaque bibliothèque de rue. Certains ont commencé à venir nous aider, à l'image de cette maman qui nettoie avec nous, de ce papa qui va chercher des balais, ou de cette grand-mère qui avoue que, de son balcon, elle surveille les arbres pour que les enfants ne les abîment pas, dit-elle.

Le responsable du service de nettoiement explique combien il pense important ce droit à la propreté pour tous et comprend la démarche des enfants, une démarche citoyenne pour rendre leur quartier plus beau. Il dit la nécessité de les encourager et de montrer que des adultes sont là pour les soutenir.

Faire entrer le Beau dans la cité, c'est aussi ce qu'avaient fait, voilà quelques années, des volontaires du Mouvement ATD Quart Monde avec les enfants. Ils avaient peint une grande fresque sur le mur du métro. Nous avons voulu la nettoyer pendant une Semaine de l'avenir partagé en avril 1998, les enfants aidant les hommes de la mairie à frotter et balayer. Le partenariat n'est pas simple au départ, les hommes trouvant inefficaces ces enfants qui courent dans tous les sens. Mais ils se laissent prendre au jeu et les autorisent même à emprunter leurs propres balais et jet d'eau. Ils disent la difficulté de leur travail, un travail non reconnu où il faut tous les jours recommencer à nettoyer ce que les autres jettent. Cette fois-ci, la rencontre se fait réellement et Fayçal (14 ans) leur dit : « C'est bien comme travail, moi j'aimerais faire ça ! ». Les enfants présents reconnaissent aussi le responsable du service de nettoiement, venu les saluer pour l'occasion.

Notre combat pour la propreté se poursuit, dans chaque bibliothèque de rue, dans chacun de nos gestes et les enfants vérifient parfois notre vigilance en jetant devant nos yeux des papiers et en attendant nos réactions. Les parents viennent de nouveau s'asseoir près de nous, à côté de la bibliothèque de rue.

Les enfants sont les moteurs de parents parfois dépassés, désespérés par une fatalité qui écrase. L'équipe de la bibliothèque de rue a été le catalyseur d'un désir des enfants de voir leur cité propre comme n'importe quel autre endroit, pour ne plus avoir honte : « J'aimerais que le Parc Bellevue soit propre, comme ça les gens ne rigoleraient pas de nous » disait Aurélie - 8 ans.

Chantal Thiébaud

Géologue de formation, Chantal Thiebaud est volontaire du Mouvement international ATD Quart Monde. Depuis deux ans, elle est à Marseille où elle coordonne les actions culturelles menées dans la rue auprès des enfants (Bibliothèques de rue, Semaines de l’Avenir partagé)

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