L'enfer des inégalités
Alors que la Déclaration universelle des droits de l'homme donnera lieu à de nombreuses manifestations solennelles, 800 millions de personnes ne se voient toujours pas reconnaître le droit à se nourrir dans un monde qui croule sous les récoltes. La faim reste une arme braquée sur 30 millions d'êtres humains, parmi les plus vulnérables : minorités ethniques, religieuses et politiques, et, en leur sein, femmes et enfants surtout sont victimes de famines délibérées [...].
Trois ans après la Charte de Copenhague, par laquelle 185 pays se sont engagés à retenir parmi leurs priorités la lutte contre la pauvreté, le constat des Nations unies est inquiétant. Un être humain sur cinq vit aujourd'hui dans le monde avec moins de 6 francs par jour, un sur trois avec moins de 12 francs. (Le Monde,18/10/1998)
Le fossé entre les riches et les pauvres se creuse
C’est une photographie saisissante de la planète que révèle le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Jamais la consommation de biens et de services n'a atteint un tel niveau : on n'a jamais autant consommé dans l'alimentation, l'énergie, les transports, la communication, l'éducation, les loisirs. Pour autant, tout ne va pas pour le mieux pour la planète, car la boulimie consumériste creuse le fossé entre les riches et les pauvres. Les 20 % d'êtres humains vivant dans les pays les plus riches se partagent 86 % de la consommation. Ils ne laissent que 1,3 % aux 20 % de personnes vivant dans les pays les plus pauvres. Plus d'un milliard d'êtres humains ne sont même plus en mesure de satisfaire leurs besoins de consommation élémentaires. Les experts du PNUD analysent aussi les inégalités à l'intérieur même des pays riches, où plus de 100 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Le rapport du PNUD met aussi en évidence les conséquences sur l'environnement de cette consommation effrénée. Spirale infernale, ce sont les pauvres qui sont les plus touchés par les catastrophes écologiques, ce qui accentue encore leur pauvreté.
L'accès à la consommation constitue pour beaucoup une nécessité vitale et un droit élémentaire, mais il est urgent d'élaborer un mode de consommation différent au service du développement humain, pour effacer les inégalités et éradiquer la pauvreté. (60 millions de consommateurs, octobre 1998)
Etre privé de contribuer à la vie de la communauté
Etre pauvre ce n'est pas seulement ne pas avoir un revenu suffisant, c'est aussi être privé des occasions de participer et de contribuer à la vie de sa communauté. Ce sont les Etats-Unis qui, de ce point de vue, affichent la plus grande disparité : malgré un revenu par habitant le plus élevé du monde, près de 16,5 % de sa population vit dans la pauvreté. Le cinquième de la population de l'Amérique est analphabète et 13 % ont une espérance de vie inférieure à soixante ans.
Le rapport souligne que le monde en développement dans son ensemble a progressé davantage sur le plan du développement humain, au cours des trente dernières années, que le monde industrialisé au cours du dernier siècle, mais une centaine de pays (en développement ou en phase de transition économique et politique.) décrochent : 70 à 80 d'entre eux ayant un revenu par habitant aujourd'hui inférieur à ce qu'il était il y a dix ou trente ans. L'espérance de vie régresse dans de nombreux pays à mesure que la pandémie du sida s'aggrave. Les conflits armés sapent le progrès dans de nombreux pays où près de 100 millions sont pris dans un cycle de guerre civile et de famine et où environ 50 millions de personnes ont été contraintes de quitter leur maison. Dans les pays riches, une nouvelle forme de pauvreté, liée à l'exclusion, se répand. L'abondance de biens matériels atteint des niveaux sans précédent mais le nombre de ceux qui n'ont pas de toit, pas de travail et pas assez à manger augmente. Pour la première fois, le PNUD a introduit un indicateur de pauvreté humaine dans les pays industrialisés, qui, outre la mesure traditionnelle du revenu, tient compte du pourcentage de la population ayant une espérance de vie inférieure à soixante ans, qui est analphabète, qui est au chômage. (Le Monde, 10/9/1998).
Partout, des conditions de vie terriblement éloignées du droit
- Droit même à l'existence :
40 millions de naissances non déclarées.
Selon le rapport de l'UNICEF de 98 sur « le progrès des nations », 40 millions de naissances (près d'une sur trois) ne seraient pas déclarées dans le monde. On estime à 140 millions par an le nombre moyen de naissances dans le monde. Les difficultés d'enregistrement sont réelles pour celles qui interviennent hors hôpital, dans les zones rurales éloignées, ce qui est le cas de plus de la moitié des accouchements en Afrique et en Asie du Sud. Elles le sont plus encore pour les nombreuses populations mobiles ou déplacées (Tsiganes, minorités ethniques, réfugiés). A cela s'ajoutent le paiement parfois exigé à chaque déclaration, l’analphabétisme, l'ignorance ou la crainte des populations démunies. Sans existence légale, un jeune ne peut être vacciné, soigné dans un centre de santé ou scolarisé. Il ne peut obtenir un passeport et prouver sa nationalité, voter ou se marier. Les adolescentes sans papiers sont, davantage que d'autres, vulnérables aux trafiquants. (Nouvelle République, 9/7/1998).
- Droit à une existence décente :
Portugal : L'eau potable est un bien commun et pas une marchandise
L'accès à l'eau fait partie du droit à la vie et c'est un processus qui doit appartenir à la démocratie. La gestion de l'eau au niveau mondial doit appartenir aux communautés de base. Le monde ne respecte pas le milliard et demi de citoyens qui manquent d'eau ou qui en ont de mauvaise qualité. Dans les pays développés, les pauvres ont un accès restreint à ce bien, au Royaume-Uni, où l'augmentation des prix a rendu impossible le paiement de l'eau par les familles pauvres, il y a même des robinets qui ne marchent que si l'on y introduit une pièce. L'eau est un bien vital et le patrimoine commun de toute l'humanité. (Jornal de Noticias, 13/9/1998).
- Droit au logement :
Portugal : La population cohabite avec les couleuvres et les rats
Fernanda Pereira habite à Lisboa depuis six ans, avec son mari et ses trois enfants, sa maison n'est qu'un couloir de trois mètres de long. Elle n'est pas la seule à habiter dans ce quartier Vila da Amendoeira où les rats et les couleuvres cohabitent avec une dizaine de familles. Les maisons tombent en ruines et les égouts circulent à ciel ouvert entre les maisons. La plupart des habitants du quartier n'a pas d'eau à la maison et se baigne dans les fontaines publiques. (Correio da Manha, 23/8/1998).
France : Swann, l'enfant abandonné
Démuni d'argent, et parce qu'on menaçait de lui supprimer ses dernières aides sociales, un couple de Toulousains s'est résolu à abandonner son enfant âgé de 18 mois. (Sud-Ouest 12/8/1998).
Le père a été condamné à six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de la ville de Carcassonne. Le tribunal pour enfants doit prendre uni décision de placement de l'enfant. Sa compagne absente, seul avec son bébé, ce père, qui s'était rais à boire, a déclaré qu'il était « désespéré ». (Nouvelle République, 13/8/1998).
- Droit et travail
Italie : « Je n'ai pas de travail » et se tue
Il s'est tué à 33 ans, éreinté par la vie, dans une île qui a un taux de chômage de 21 %. Il y a cinq mois cet homme s'était adressé à un journal « Nuova Sardegna » expliquant : « Si cela pouvait servir à quelque chose, je serais disposé à donner un rein, je suis de ceux qui vivent en dessous du seuil minimum de pauvreté » (La Repubblica, 19/8/1998).
Belgique : Les chômeurs ont des droits
La façon dont les chômeurs sont actuellement contrôlés, sanctionnés, exclus est inadmissible. Nous demandons un traitement plus humain des chômeurs, un code déontologique pour les contrôles et des sanctions plus en rapport avec les « fautes ». Les sanctions les plus choquantes sont celles qui découlent d'une erreur commise par le chômeur suite à sa méconnaissance de la réglementation au demeurant scandaleusement complexe. Un exemple tout simple, malheureusement réel lui aussi. Un ouvrier, père de deux enfants et dont l'épouse ne travaille pas, est victime d'une restructuration après une carrière professionnelle déjà longue. Grippé pendant semaine, il omet d'apposer un « m » sur sa carte de pointage. Par erreur, pas parce qu'il a voulu tricher, l'enquête l'a démontré. Il n'empêche, ce chômeur a commis ce qu'on appelle un faux et a été privé d'allocations pour huit semaines. Deux mois sans revenus quand on a une famille à nourrir pour un papier mal rempli, c'est intolérable. (Syndicats, 5/6/1998).
- Droit à la santé
France : Monstrueux signe des temps
Les jeunes français de 16-25 ans sont comptés, question santé, parmi une classe d'âge à risque. Notre système est plein de failles. Première faille : la protection sociale accessible aux salariés, aux chômeurs ayant cotisé et aux Rmistes n'est pas accordée automatiquement aux jeunes qui ne rentrent pas dans ces critères. Seconde faille : les structures de prévention classique, comme les services de médecine scolaire, ont des moyens dérisoires, ou encore les fameux trois « jours » ne jouent plus leur rôle. La médecine du travail ne touche pas 30 % des jeunes au chômage. (Turbulences, mars avril 98).
Allemagne : A l'Est, un enfant sur cinq vit dans la pauvreté
Un rapport du gouvernement allemand analyse en détail pour la première fois la situation des enfants : à l'Est, 21 % des enfants de moins de 16 ans sont pauvres et à l'Ouest, 11,8 %. Le nombre des enfants de familles recevant l'aide sociale croit continuellement. (Züddeutsche Zeitung, 16/7/1998).
Des groupes humains sans droits, chassés de partout
Belgique : Ils sillonnent les rues de nos grandes villes, en Flandre et en Wallonie
Ils sont de plus en plus nombreux à Bruxelles. Ils font parfois la manche avec leurs petits enfants (mais dans quelle crèche pourraient-ils les mettre ?). Ils n'attirent pas forcément la sympathie des Belges. Beaucoup d'entre eux vendent le journal plutôt que de mendier. La plupart de ces vendeurs viennent des pays de l'Est. Quelques-uns d'entre eux sont polonais, hongrois ou ressortissants de l'ex-Yougoslavie, Leur appartenance au groupe ethnique des tsiganes fait qu’ils sont rejetés de tous ces pays tout autant qu'en Europe occidentale. Ils ne sont chez eux nulle part. Des préjugés tenaces demeurent à leur égard. Ils sont systématiquement évincés des rouages économiques et ne peuvent pratiquement jamais trouver du travail. Leur demande d'asile politique est systématiquement rejetée. Ils se voient alors délivrer un ordre de quitter le territoire dans les cinq jours. La suite c'est le recours au Commissariat aux réfugiés. Cette seconde étape prend du temps : de quelques semaines à plusieurs mois. En cas de refus, il restera encore une démarche possible auprès du Conseil d'Etat. Mais pendant ce temps, comment vivre ? Comment survivre plus exactement ? N'ayant aucun statut légal chez nous, ces familles ne bénéficient évidemment d'aucune allocation. (SDF journal, juillet 1998).
France : Une tranchée contre les gens du voyage
En Meurthe-et-Moselle, un maire a fait creuser une tranchée autour d'un terrain de la commune où sont installés sans autorisation des cens du voyage. (Nouvelle République, 12/8/1998).
En Lorraine, deux maires ont pris des arrêtés afin d'interdire l'accès de leur ville aux tsiganes qui commencent à converger vers le grand rassemblement prévu à Lure. Le maire de Longuyon a fait fermer « pour préserver l’ordre public » un complexe sportif après que les nomades eurent arrêté leurs caravanes autour du bâtiment. Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) a dénoncé ce « retour au Moyen Âge ». En Seine-Saint-Denis, onze familles tsiganes occupent un centre d'hébergement de la ville après leur expulsion d'un immeuble de la SNCF qu'elles squattaient depuis un an. (Le Monde, 14/8/1998).
L'Europe du Sud face aux sans-papiers
Les pays du sud de l'Europe s'efforcent de faire face aux vagues de sans-papiers d'Afrique ou d'Albanie en menant des politiques alliant régularisation et pratiques répressives, qui ont pu aller jusqu'à laisser des naufragés se noyer cet été dans le détroit de Gibraltar sans leur porter secours. L'Italie qui va régulariser 300 000 immigrés irréguliers a commencé à installer des camps de transit pour les nouveaux sans-papiers. En Grèce, un programme de régularisation a été aussi décidé. En Espagne, où 16 000 clandestins (marocains ou africains) avaient été arrêtés l'an dernier, les autorités ont aussi aménagé des camps d'hébergement provisoire. (Alternatives Economiques, septembre 1998).
Luxembourg : Jeunes réfugiés - années perdues
Ils n'ont pas le droit de suivre des cours, ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Les jeunes réfugiés d'Albanie ou de la région du Kosovo en crise n'ont pas de perspective d'avenir. Ils semblent être les grands perdants parmi les réfugiés, leurs vies s'effondrent juste au moment où il s'agit de choisir une direction pour l'avenir et, parallèlement, ils sont déjà trop âgés pour arriver à s'intégrer facilement dans un autre pays. Les écoles ne sont pas obligées d'admettre des élèves ayant atteint l'âge de 15 ans. « Quand tu arrives au Luxembourg, on te dit : « Apprends le français » et quand tu sais le français, on te dit : « Maintenant tu es trop vieux pour l'école » » Le temps d'attente pour l'aboutissement de leur demande d'asile est de deux ans, un délai bien long pour les jeunes et bien souvent leur demande d'asile est rejetée. Ils ne sont pas renvoyés mais tolérés, une situation sans base juridique dans laquelle il n'est pas possible de travailler ni de recevoir une formation, une fois l'âge limite de l'obligation scolaire dépassé. (Telecran, 8/8/1998).
La pauvreté reconnue par une loi
La France approuve la loi destinée à intégrer cinq millions d'exclus sociaux
Le Parlement français a permis une notable avancée pour que le droit des citoyens à une vie digne soit quelque chose de plus qu'un beau principe constitutionnel. La loi contre l'exclusion approuvée par l'Assemblée nationale est loin de garantir l'intégration économique et sociale des cinq millions de marginaux existants mais elle tient à concrétiser en droits réels ce qui jusqu'à présent restait dépendant de l'assistance. « C'est un pas important, cette loi suppose un tournant décisif dans l'histoire de notre démocratie » déclare Geneviève de Gaulle-Anthonioz. (El Pais, 11 juillet 1998).