L’Ecole et des parents qui ne sauraient être des partenaires
Le 4 avril 1992, à Arras, le rectorat de Lille organisait un colloque intitulé « Toutes les familles partenaires de l’école ». On a pu y entendre des familles, que leur situation sociale empêche habituellement d’être partenaires de l’école, dire leur espoir de voir leurs enfants réussir, espoir parfois démesuré, parfois timide, mais toujours présent.
Intérêt ou désintérêt ? Le malentendu
Quelle image ces familles ont-elles généralement aux yeux de l’école ? Quand on sait l’importance que peut avoir, pour la réussite scolaire des enfants, l'image positive ou négative d’une famille, parents et enfants confondus, dans le regard des enseignants, il est utile de s’interroger. Car plus les familles ont de points communs avec les enseignants, pour la culture, l’habitat, les ressources, l’utilisation des mêmes commerces, loisirs, voire des combats syndicaux ou politiques… plus les liens seront naturels et les implicites importants dans les relations.
En revanche, certains enfants « arrivent » à l’école d’une planète inconnue et l’image de leur famille se bâtit alors dans la tête de la plupart des enseignants sur quelques signes extérieurs qui concernent par exemple l’adaptation de la famille aux exigences de l’école en matière de propreté, l’ajustement des vêtements à la météo, l’existence et le contenu du cartable, la ponctualité, la présence des parents aux réunions, la réponse aux convocations, les délais pour les signatures demandées, le suivi des devoirs et des leçons du soir, l’appui moral a priori aux décisions de l’école, l’attitude face à l’inscription en classe de neige ou dans une classe spécialisée…
Si l’on reprend chacun des points, on verra vite que les familles qu’on appelle du « Quart Monde » donnent souvent l’image de mauvais parents ou de parents qui se désintéressent de la scolarité de leurs enfants. Et ne sont pas abordées ici les questions plus subtiles de codes sociaux dont la méconnaissance est répréhensible aux yeux de certains enseignants. Or, que ce soit à l’écoute des intervenants au colloque d’Arras, à la lecture de récits d’enfance de personnes issues du Quart Monde, ou au vu des résultats d’enquêtes sociologiques, on peut affirmer que la déception de ces parents est à la mesure de l’intérêt et de l’espoir qu’ils ont mis dans l’école au début de la scolarité de leurs enfants ; il en résulte une intériorisation de l’idée d’incapacité à élever ses enfants chez des parents qui, peut-être plus que d’autres, souffrent des mauvais résultats scolaires.
Le malentendu est donc grave. Il participe de la reproduction, de génération en génération, de la marginalité sociale et provoque des actes d’exclusion de la part des personnes dont la fonction, mais aussi le désir, est de promouvoir les enfants les plus pauvres.
Ajoutons que les animations périscolaires, en proposant d’accompagner les enfants dans leur travail à faire le soir, vont parfois aussi, de fait, apporter une preuve supplémentaire aux parents du Quart Monde de leur incapacité à s’occuper positivement de la scolarité de leurs enfants. Ayant senti le danger, certains responsables d’AEPS2 sont maintenant attentifs à se servir de cet accompagnement pour inclure et non exclure les parents.
Un enjeu de reproduction ou de rupture
Si l’on situe dans la longue durée la scolarité des enfants du Quart Monde, on s’aperçoit que le temps est court pendant lequel la nouvelle génération pourra dévier du chemin tout tracé de la marginalité. Et il ne s’agit pas de « traiter » les enfants hors des parents – on connaît la nocivité de ces pratiques – il s’agit bien de tisser des liens avec des parents qui se caractérisent justement par l’absence de liens sociaux.
L’enjeu est la rupture de cette transmission de la marginalité entre générations. Le moyen n’est pas le sourire, même s’il peut faciliter, mais la réussite scolaire des enfants. L’école est faite pour cela. Un enseignant « gentil » mais qui ne fait pas réussir ses élèves peut même entretenir aux yeux des parents un certain malentendu : il renforce en eux l’intériorisation de leur incapacité à élever leurs enfants, puisque la situation d’échec ne peut trouver d’explication dans une attitude d’indifférence ou d’agressivité de l’enseignant. Il faut donc s’entendre avec les parents sur la notion de réussite car les espoirs sont parfois démesurés : de longs dialogues seraient nécessaires alors que, justement, les contacts sont particulièrement rares.
L’affaire est donc complexe. Mais quand l’école a repéré l’enjeu, l’a inscrit parmi les questions à traiter dans ses projets et a mis en œuvre les mesures nécessaires, les résultats vont au-delà de tout ce que l’on peut espérer. Le colloque d’Arras en a donné des témoignages, mais aussi différents récits où l’on constate que des parcours individuels, statistiquement voués à l’échec, ont pu être déviés par des stratégies de confiance et d’exigence de la part d’enseignants. Ceux-ci avaient d’abord saisi que le respect dû aux enfants ne pouvait se dissocier de celui, combien plus difficile, dû aux parents. Ils avaient aussi saisi que des objectifs de cursus scolaires établis en fonction des capacités des enfants pouvaient être intégrés comme des parcours de réussite et légitimer, cette fois-ci, une capacité des parents à élever leurs enfants.
Il semble que cet effort de repérage et de mise au point de projets propres à tisser des liens sociaux par la réussite scolaire soit particulièrement réalisable à l'école élémentaire. Les actions en ce sens menées dans des écoles maternelles et des collèges sont, elles aussi, importantes – c’est sur toute la durée de la scolarité qu’il faut intervenir – mais ces deux niveaux sont moins lisibles pour les parents en grande difficulté sociale. Pourtant, en 1994, ceux-ci ont quasiment tous fréquenté en tant qu’élèves la maternelle et le collège, qu’ils connaissent donc de l’intérieur. Il faut néanmoins constater la permanence d’une obscurité sur les finalités et la pédagogie de ces deux niveaux, tandis que l’école élémentaire reste globalement lisible, même si cette lisibilité est quelque peu décalée de la réalité.
Il serait donc plus facile pour un enseignant de l’élémentaire d’engager le dialogue : on sait qui il est, ce qu’il fait et que chacun est en droit d’attendre de l’autre. Là, il fait agir avec détermination, sans que cela justifie un abandon de toute responsabilité avant et après.
Le rapport Joutard
Jusqu’ici, l’Education nationale a surtout compté sur des individualités pour que cette responsabilité pourtant collective vis-à-vis du Quart Monde soit assumée. La promotion de la partie la plus démunie de notre société ne pouvait être, selon l’opinion dominante, que la conséquence mécanique de la promotion de la classe ouvrière. On a vu que la mécanique n’embrayait pas toujours, qu’il fallait en même temps agir spécifiquement, avec tous les risques. Car comme pour l’immigration, les handicapés ou les surdoués, aussi bien le seul traitement spécifique que le refus de considération propre sont néfastes pour les catégories en question.
Avec le rapport du recteur Joutard3 (janvier 1993), le ministère prend enfin les problèmes à bras-le-corps. Il faudrait qu'il engendre une structure de suivi afin que la responsabilité particulière de l’Education nationale ne soit plus répartie au hasard des bonnes volontés, des lecteurs du rapport ou des appartenances associatives.
Le rapport rappelle que les familles de cette catégorie sociale sont heureusement peu nombreuses comparées à l’ensemble des familles, mais d’une part, on l’a vu, une responsabilité particulière existe vis-à-vis d’elles, d’autre part elles cristallisent et caricaturent les attitudes que l’on trouve d’une manière générale vis-à-vis des familles de milieux populaires.
Il faut bien dire qu’on ne saurait assimiler les parents d’élèves de Zep4 au Quart Monde. En Zep, c’est là un fondement du dispositif prioritaire, on ne partage pas les élèves, et sur un territoire donné différentes catégories coexistent. Il y a donc différentes catégories sociales représentées dans les Zep, même si dans certaines les familles très pauvres sont très nombreuses. Si on définit les familles du Quart Monde comme vivant des conditions socio-économiques précaires et situées hors d’un tissu suffisant de liens sociaux, on constate que, même dans les Zep les plus défavorisées, le Quart Monde reste en petite minorité. Mais on trouve aussi, bien entendu, ailleurs qu’en Zep des familles du Quart Monde.
Typologie des attitudes de l'école
Dans le rapport Joutard, les lecteurs sont invités à « changer de regard » afin d’admettre que ces parents sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants, même si les apparences ne le laissent pas deviner au premier abord. C’est ainsi que l’on pourrait caractériser, en une typologie volontairement un peu caricaturale, les attitudes ou les différents « regards » que l’école porte sur les parents du Quart Monde.
Rejet et dénonciation
La première attitude que l’on peut trouver chez les enseignants vis-à-vis de ces parents est celle du rejet et de la dénonciation. Exposant cette réalité à des étudiants d’Institut universitaire de formation des maîtres, on s’entend dire que c’est du siècle dernier. Globalement, en effet, cette attitude archaïque est devenue rare. Cependant, on retrouve des traces ici ou là, et encore dans un récent numéro de la revue Panoramiques sur les banlieues5 où, sans aucun commentaire ou précision de contexte de la part des coordinations du numéro, est exposé l’opinion fataliste et dénonciatrice d’une directrice d’école maternelle de Zep, à bout de souffle, envers des parents violemment jugés irresponsables et dangereux. On enseignait encore dans certaines écoles normales en 1960 l’intérêt de soustraire le plus longtemps possible les enfants à l’influence néfaste de leurs parents et l’on invitait les élèves- maîtres à organiser des patronages le jeudi. Certes, il ne faut pas tomber dans une attitude inverse d’angélisme où tous les parents seraient en toute occasion des éducateurs parfaits, mais, en formation initiale aujourd’hui, on invite plutôt à la coopération avec les parents.
Tolérance et amabilité
La seconde attitude est assez répandue aujourd’hui chez les enseignants : tolérance et amabilité. Ce qui sous-entend cette attitude, c’est que les temps sont durs, le chômage entraîne des difficultés et des défaillances chez les parents. Il faut donc comprendre. De plus, il entre dans le métier d’être aimable avec tous, c’est une obligation de laïcité, comprise au sens le plus large, et c’est une attitude qui peut-être utile pour la scolarité des enfants. Il n’en reste pas moins que la clé de l’analyse est un constat de défaillance chez les parents et le fatalisme s’ensuit rapidement. Pas de heurts mais la conviction qu’avec ces enfants et ces parents-là il n’y a pas grand chose à attendre. Paradoxalement, ce fatalisme entraîne à la fois des revendications de moyens supplémentaires pour changer les résultats scolaires et la certitude que, de toute façon, on ne changera jamais rien d’important. Cette attitude entraîne des équipes entières de certaines Zep à justifier l’existence de ce dispositif prioritaire par la défaillance des parents et à définir la Zep comme une zone à moyens supplémentaires ; ce faisant, on oublie que seule la présence d’un projet de zone peut justifier l’existence de ces moyens supplémentaires.
Association ou soumission
La troisième attitude est plus active, mais part de la même analyse : associons les parents à des activités scolaires où ils pourront rendre visite. Ils seront donc invités à fabriquer des gâteaux pour une fête, à accompagner une classe dans une sortie, à couvrir les livres de la bibliothèque centre documentaire. Cette attitude, si elle existe vis-à-vis de parents du Quart Monde, pourra, le cas échéant, entraîner des modifications dans les relations et créer des liens. Elle peut donc être positive, voire décisive, mais se rencontre surtout avec les familles qu’on pourrait appeler « mixtes », celles qui sont pauvres mais avec lesquelles, néanmoins, on trouve quelques points communs, par celles qui, justement, sont sans liens sociaux. De plus, ce rôle d’auxiliaire de l’école peut aussi se transformer en une sorte de mépris, hypocritement salué par des signes de reconnaissance. Les trois premières attitudes, bien que si différentes, en restent au fatalisme. On fait ce qu’on peut, au mieux, avec des familles déficientes.
Apprendre à éduquer
La quatrième attitude se refuse au fatalisme et veut agir. C’est une attitude de plus en plus courante dans les Zep de la vague 1990–1994. La formule est indiquée dans un projet de zone : « Il faut éduquer les parents à exercer leur métier de parents. » Alors, se développent des programmes étonnants où des « stages » sont offerts aux parents. Par exemple, en six samedis matin sur deux trimestres, on va leur présenter le système scolaire, les filières d’orientation, mais aussi ce qu’il convient de faire pour nourrir, habiller, soigner etc. ses enfants.
Ces programmes sont imaginés et réalisés par des enseignants ou chefs d’établissement et des conseillers d’éducation particulièrement dynamiques qui apprécient de voir les parents fréquenter de plus en plus, année après année, ces stages où l’absentéisme reste quand même partiel mais réel.
Deux questions se posent alors : quel est le rôle de l’école ? La composition du cartable ou les filières d’orientation doivent être expliquées aux parents assurément, mais peut-être pas la fabrication du petit déjeuner. Des limites doivent être tracées sous peine d’embrouiller l’image de l’école. La seconde question est celle des absents. Se réjouir que sur trois ans la fréquentation soit passée de 40 % à 65 % est légitime. Mais il faut s’interroger sur l’utilité de transmettre les messages éducatifs à ceux qui sont venus si, pour une part, ils possédaient déjà l’information, et sur les moyens de contacter ceux que l’on vise et qui sont, peut-être, justement, les absents. Ne rejetons pas ces actions a priori, elles sont d’abord la marque de personnes refusant le fatalisme et, avec une auto-évaluation régulatrice, elles ne tomberont pas dans les pièges tendus.
Des parents partenaires
La cinquième attitude va changer le point de vue : jusqu’ici les parents étaient considérés comme des objets ; repoussants et condamnables, défaillants mais pardonnables, défaillants mais utiles ou encore défaillants mais éducables. Ici, il s’agit de les considérer comme des sujets.
Parents porteurs d’expérience, de savoirs et de valeurs
Ces parents, comme tout parent, ont une expérience, des savoirs, socialement légitimés ou non, des capacités éducatives basées sur des valeurs, reconnues ou non. Ce constat étant fait, des stratégies éducatives peuvent être mises en route pour amener les enfants à considérer leurs parents comme porteurs d’expérience, de savoirs et de valeurs, et pour amener simultanément les parents à considérer leurs enfants comme porteurs justifiés des espoirs parentaux par des progrès légitimés par l’école.
Car les deux vont ensemble : comment un enfant peut-il apprendre s’il n’a pas la certitude que ses parents sont porteurs d’expérience, de savoirs et de valeurs ? Ou comment des parents peuvent-ils avoir l’attitude souhaitée par les enseignants vis-à-vis de la scolarité de leurs enfants s’ils sont persuadés qu’ils ne sont pas vraiment capables ? Eux-mêmes et leurs enfants, car les deux vont ensemble, qu’on le veuille ou non.
La précarité est un exemple d’expérience inconnue des enseignants. Elle a apporté aux familles du Quart Monde des souffrances mais aussi des connaissances des hommes et des institutions. Pour certains parents, des parcours migratoires auront également apporté un capital d’expérience important même si le bilan en est pour le moment négatif puisque les liens sociaux sont à créer.
Savoirs inconnus des enseignants, ceux que les livres de la BCD ou du CDI6 ne répertorient pas : connaissances fines du quartier, de l’utilisation des institutions de secours, des moyens de subsistance quotidiens, savoirs manuels, savoirs de tradition orale… Ceux que le « Mouvement des réseaux d’échanges de savoirs » sait si bien faire émerger, aux yeux mêmes des gens qui les possèdent alors qu’ils disent ne rien savoir7.
Valeurs, enfin. L’avis du Conseil d’Etat de 1989 (à la suite de « l’affaire du voile ») commence par un rappel opportun : la République garantit la liberté d’opinion. Avec les familles du Quart Monde, on n’a pas de problèmes de voile, mais celui, par exemple, d’un attachement aux enfants jugé outré et devenant vite insupportable. Que des valeurs soient différentes à l’école et dans la famille ne pose pas, en soi, de problèmes aux enfants. Même petits, on le voit dans tous les milieux, ils savent bien gérer ces différences : « A l’école c’est comme ci et à la maison c’est comme ça ». Le problème provient de la dénonciation des valeurs d’une partie par l’autre. Nous vivons dans un état de droit et les limites sont tracées. Les valeurs de l’école seront d’autant plus efficacement diffusées que l’école appliquera l’une de celles-ci, le respect des valeurs de l’autre.
Il n’est pas facile pour un enseignant d’admettre l’existence d’expérience, de savoirs et de valeurs chez des parents dont l’image est si négative. D’autant plus qu’on trouvera ici ou là des enfants en situation d’abandon ou de danger réel et grave pour lesquels l’inaction est coupable. C’est pourtant à partir de cette expérience, de ces savoirs et de ces valeurs que les parents pourront devenir sujets, devenir acteurs, devenir partenaires de l’école.
Parents témoins et / ou informateurs
Des parents, dès lors, fussent-ils les plus démunis, pourront devenir témoins et / ou informateurs. Une telle orientation pédagogique reste encore très marginale dans l’école. C’est pourquoi il nous paraît nécessaire de développer un peu l’exemple de ce qui a été entrepris par Marie-Gabrielle Philipp dans une cité de transit de Gennevilliers puis dans la Zep des Mureaux. Ce travail présente pour nous d’autant plus d’intérêt qu’il s’est déroulé sur plusieurs années, s’est inscrit dans un projet de rapprochement entre école et familles et que la démarche en a été formalisée.
A Gennevilliers, vingt-quatre entretiens ont été organisés sur plusieurs années entre un parent et une classe, après contrat et préparation. Ayant présenté une expérience de vie (et ce récit ayant permis l’édition d’un livret de lecture destiné aux enfants8, les parents questionnés par ces enfants n’en ressortaient pas comme ils étaient arrivés. Les enfants non plus. Au-delà des personnes directement impliquées, petit à petit s’est construite la conviction collective que dans cette « cité pourrie », selon le terme habituellement utilisé dans la ville, les parents avaient une expérience reconnue par l’école. L’image des enfants vis-à-vis de leurs parents et donc d’eux-mêmes s’est modifié positivement et on peut imaginer que la scolarité en a bénéficié.
Mais ces témoignages restent un moyen pédagogique lourd, qui demande une implantation ancienne dans le milieu local et beaucoup de temps et d’énergie. En revanche, de façon plus légère, on peut prendre d’habitude de considérer, et de faire considérer par les élèves, les parents comme des informateurs. On se référera, là aussi, aux travaux de Marie-Gabrielle Philipp, dans la Zep des Mureaux cette fois-ci. Il faut avoir vu les enfants d’un CM2 qui ont pris l’habitude de considérer leurs parents comme informateurs potentiels, pour mesurer l’immense intérêt de cette attitude. Devant une interrogation, on cherche autour de soi la réponse, le maître en premier lieu, qui renvoie aux documents disponibles, dictionnaires et encyclopédies, mais aussi aux autres élèves ; l’habitude peut alors s’acquérir de prendre les parents comme informateurs sur différentes questions.
Les élèves savent vite faire le tri et ne se retourneront pas vers leurs parents pour connaître le nom du fils de Philippe 1er. La BCD et le CDI sont là pour ça. Mais, pour un nombre de questions plus important qu'on ne l’imagine, les parents, même les plus démunis de la classe, ceux qu’on ne saurait considérer comme partenaires de l’école, pourront donner des réponses. Que le nombre en soit modeste, qu’il y ait parfois des erreurs à corriger, peu importe. L’habitude de considérer les parents, tous les parents, comme informateurs éventuels permet de modifier le rapport que l’école entretient avec eux, et c’est cela qui est essentiel.
La bande vidéo9 montre divers exemples de cet automatisme chez les enfants. Ainsi, dans une exposition, un enfant découvre que des élèves de Pondichéry écrivent en français. Comment cela se fait-il ? Il dit soupçonner une colonisation mais ne pas avoir de savoirs à ce sujet. « Dans mon escalier, il y a quelqu’un qui vient des Indes, je vais le lui demander ». A onze ans, cet enfant estime donc vivre dans un environnement porteur d’information qu’il a à exploiter, lui qui est à l’âge d’apprendre. Le travail mené depuis des mois dans cette classe, située dans un quartier bien connu de tous pour n’être caractérisé que par ses défaillances, a porté ses fruits : cet enfant et ceux de sa classe entreront en sixième convaincus de la valeur de leur milieu de vie, même si chaque jour leur en rappelle les malheurs et les difficultés.
D’autres formes de participation des parents à la scolarité sont envisageables. Il faudrait examiner ce qui se fait à Vienne (Isère) ou dans d’autres Zep qui expérimentent, en lien avec le MRES, ces échanges de savoirs, partant de l’idée que tout le monde sait quelque chose et peut le transmettre à d’autres. Ce point de départ doit faire réfléchir dans les écoles et établissements où l’on ne pense parents d’élèves de Zep que comme parents déficients et défaillants. Il ne s’agit pas de nier les difficultés réelles du milieu mais d’admettre l’idée, puis de chercher et de trouver les points d’appui sur lesquels de nouvelles relations école / parents d’élèves de Zep pourront s’établir. Et parmi ces parents, bien entendu, les plus démunis d’entre eux. On notera qu’il n’y a pas confusion de rôles dans ces pratiques : les parents ne sont pas invités à enseigner. On notera aussi que des conflits peuvent surgir à l’occasion de ces relations. Les conflits font partie de la vie et les enfants le comprennent plus facilement que mes parents ou les enseignants. Bien résolus dans la clarté (résolu pouvant signifier le constat d’une divergence claire), ils seront préférables à ce que l’on voit ordinairement, à savoir des attitudes de repli et de déni réciproque de valeurs.
Coéducation entre citoyens
On en arrive à une sixième attitude, utopique pour le moment, où les parents les plus en difficulté, ceux qui semblent se désintéresser de leurs enfants, qui s’en occupent mal et, de plus, y sont trop attachés, seraient de prime abord considérés comme des citoyens pleinement responsables de l’éducation de leurs enfants, porteurs de savoirs et d’expérience, se référant à des valeurs estimables tant qu’elles ne transgressent pas les lois.10
Ces citoyens-parents seraient partenaires d’autres citoyens, chargés, eux, d’une fonction publique d‘éducation, et qui auraient pour premier souci d’affirmer aux yeux des enfants et des parents la validité de leur projet éducatif, donc l’existence de capacités éducatives chez les parents et de capacités à être enseignés chez les enfants. Ces deux affirmations sont les deux volets d’une même certitude : le projet de zone et, plus généralement, celui de l’école et de la République, s’appliquent aussi aux enfants du Quart Monde.