A la rencontre de l’Université populaire Quart Monde1 (UP) de ce 17 février, le thème n’est plus lié à la crise – sujet abordé le mois précédent – mais Paul qui fait partie du groupe d’une petite ville du bassin sidérurgique wallon veut revenir sur le sujet : « La fois dernière, dans le cadre de la crise, notre groupe avait dit qu’il craignait qu’il y ait des pertes d’emploi à l’usine de verre locale et que le nouveau four ne soit pas mis en action. Hélas ! C’est ce qui est arrivé. Plus de 200 travailleurs sont concernés par ces pertes d’emploi. » Des pertes d’emploi qui ne concernent sans doute pas ceux qui étaient déjà exclus du monde du travail, mais qui savent bien que cette situation ne fait qu’accroître le fossé qui les sépare du marché de l’emploi.
La crise : comment est-elle perçue par ceux qui connaissaient déjà de grandes difficultés ?
A l’UP de janvier, entièrement consacrée à la crise, deux militantes Quart Monde ont introduit le sujet. « La crise, c’est très politique et très difficile à comprendre. Dans un premier temps, je ne trouve pas que ça change grand-chose parce qu’on n’a déjà presque rien. Il est rare qu’on ait de l’argent en banque et si on en a, il ne reste pas bien longtemps. »
« Si demain les banques font faillite, c’est terrible pour nous : la sécurité sociale pourrait tomber et nous pourrions perdre plein de choses que nous avons acquises pendant toutes ces années. Évidemment, ce serait les petites gens comme nous qui en pâtiraient le plus. Je ne comprends pas non plus comment les banques peuvent être si mal gérées. Elles avançaient l’argent un peu trop facilement à plein de personnes pour acheter des biens alors que pendant la crise, des gens perdent leur travail, ne peuvent plus rembourser et doivent remettre ce bien à la banque. Tout ça me travaille dans la tête. »
D’autres participants apportent ensuite leur point de vue :
« Je me demande si l’argent que le gouvernement a avancé aux banques ne va pas être récupéré en nous mettant plus de taxes ? C’est nous qui devrons payer pour les riches ? »
« En un week-end, l’État a pu sortir des fonds énormes pour soutenir les banques alors que pour boucler le budget, il lui faut des mois. Cela pose quand même pas mal de questions. »
« La crise, c’est la bourse qui se casse la figure parce qu’elle a voulu se faire trop grosse. Elle a commencé il y a un an ou deux, quand ils ont voulu jouer avec le prix du blé, du riz. A ce moment-là des gens dans le monde ont commencé à mourir de faim. »
« La crise n’est pas seulement les faits que nous voyons en Belgique. Elle a des effets parfois beaucoup plus graves dans le monde. »
Pour beaucoup de participants, la crise n’est pas un phénomène nouveau, quand ils se réfèrent à leur propre vécu et aux difficultés qu’ils rencontrent :
« Il y a longtemps que la crise existe. Seulement, il a fallu que les banques aient des problèmes et que des gens nantis soient touchés pour que ce soit médiatisé et qu’on s’y intéresse. »
« Nous qui vivons dans de grandes difficultés, la crise on la connaît depuis très longtemps. Elle n’a pas commencé en octobre ou au printemps passé. Parfois depuis qu’on est né, parfois depuis plusieurs générations. »
S’interroger sur les causes de la crise et le contexte dans lequel elle se déroule, c’est aussi penser aux mesures à prendre. Pour les participants, les pouvoirs publics doivent moins chercher à sauver un système qu’à mettre en place des mécanismes de régulation : « On a voulu la libéralisation à outrance, un profit maximum, une rentabilité immédiate et on a trop laissé aller les affaires avec de moins en moins de contrôles nationaux et internationaux. C’est pour ça que maintenant on entend beaucoup parler de ‘régulation’, c’est-à-dire mettre des systèmes de contrôle avec des règles. »
« Je voudrais savoir comment nous, ‘petits citoyens’, on peut encourager à mettre plus de règles. Cela nous dépasse tellement. »
« Ce que je trouve bien dans une crise, c’est qu’on est obligé d’être plus sérieux. Des gens reçoivent ‘des parachutes dorés’. Aujourd’hui on ose remettre cela en question. On ne l’aurait pas fait sans la crise. On ne peut plus tolérer ces choses-là. S’il y a une crise, on est obligé de se poser des questions : ‘ Pourquoi ça ne va pas ?’, ‘Qu’est-ce qu’il faut changer pour que ça aille mieux ?’. C’est un temps d’interrogations collectives. Je trouve important que l’UP se pose cette question-là parce que c’est dans les moments de crise qu’il faut pouvoir aussi faire passer ces messages et ces paroles. La difficulté, c’est comment faire connaître ce qu’on pense être important pour que cela puisse être pris en considération ? »
Le contexte, c’est aussi l’inquiétude face à l’avenir : « Il y a aussi une espèce de ‘sinistrose’, c’est-à-dire qu’on a peur. La méfiance grandit aussi dans la population. De plus en plus de gens se disent : ‘Et si jamais je perds mon travail ? On dit que des entreprises vont encore fermer.’ Cela a un effet négatif sur le moral, sur l’ensemble des gens, alors qu’ils pourraient quand même encore entreprendre des choses. »
Certains ont exprimé leur incompréhension face à des pratiques qui persistent : « Malgré cette crise, on reçoit plein de publicités dans la boite aux lettres : le crédit à 0 % ! On n’arrive déjà pas toujours à nouer les deux bouts, avec l’électricité et le loyer à payer. Alors pourquoi les banques envoient toujours des publicités pour inciter à emprunter ? »
Et maintenant quel avenir ?
Aux groupes de préparation, il avait été suggéré de réfléchir aussi à l’avenir. Dans ce contexte de crise, quelles sont nos craintes ? Dans un tel contexte, que faut-il défendre en priorité ? Cinq domaines sont ressortis des préparations. Pour chacun d’entre eux, les idées principales ont été reproduites sur des affiches. Lors de la soirée de la rencontre mensuelle, on a proposé aux participants de réagir.
Le travail et le chômage
La crise financière est aussi une crise économique qui est marquée d’abord par une augmentation du chômage. Il y aura des restructurations dans les entreprises. Certains craignent même que des entreprises ne profitent de la crise pour faire passer des plans de restructuration. Dans ce contexte de chômage croissant, ceux qui ont les statuts les plus précaires vont être les premiers touchés.
« Les entreprises vont licencier davantage. Les sous-traitants vont également être touchés. Il y aura encore plus de pertes d’emplois. »
« Le droit au travail n’est pas un droit absolu. Personne n’est obligé de te donner un travail. Personne n’a l’obligation de garantir ce droit. »
« Il faut défendre en priorité l’emploi des jeunes. »
« Quelles sont les bonnes solutions ? Changer le système capitaliste ? »
« Des entreprises ont moins de commandes et donc, des travailleurs se retrouvent au chômage économique. Des entreprises risquent de garder les personnes qui ont des contrats à durée indéterminée (emplois plus stables), mais de ne pas renouveler les contrats à durée déterminée ni les contrats d’intérim. Ceux qui ont des statuts plus précaires, plus fragiles se retrouveront sans emploi. »
L’avenir des enfants
Dans ce contexte, la plupart des parents s’inquiètent plus pour leurs enfants que pour eux-mêmes. L’avenir risque d’être de plus en plus sombre. Face à de telles perspectives, l’école a un rôle particulier à jouer.
« On a peur pour les générations futures. »
« Nos enfants risquent d’être plus malheureux que nous. »
« Il faut se battre pour l’éducation et l’école en priorité. »
« On pollue de plus en plus. S’il y a moins d’argent, les entreprises vont moins investir contre la pollution. Comment sauver la planète pour nos enfants et ceux qui viennent après ? »
« Les études sont de plus en plus chères. Les frais scolaires vont-ils encore augmenter ?
Pourra-t-on obtenir une bourse d’études pour tous les enfants d’une même famille ? »
« Le chômage des jeunes peut avoir comme conséquence qu’ils resteront plus longtemps chez leurs parents avec l’impossibilité de fonder une famille, de se lancer par eux-mêmes dans la vie. »
« Comme le monde évolue, les enfants doivent encore plus étudier pour avoir un bon bagage quand ils sortent de l’école. Nous, parents, nous nous battons pour que nos enfants aient un meilleur avenir que nous. »
La solidarité
Les participants craignent que la crise ne mette à mal les mécanismes de solidarité et que les inégalités ne s’aggravent encore. Quand on évoque la solidarité, on ne parle pas seulement de notre pays, mais aussi de la solidarité avec des pays plus pauvres.
« Le fossé entre riches et pauvres va augmenter. »
« La peur risque de faire augmenter le ‘chacun pour soi’. »
« Il faut des ressources et de la nourriture pour le monde entier. On est tout à fait d’accord pour promouvoir une solidarité avec les pays pauvres. »
« La crise va-t-elle faire avancer ou faire reculer la solidarité ? Des personnes qui avaient une certaine richesse ont perdu de l’argent. Elles ont les moyens de se faire entendre ; elles se défendent. On espère qu’elles seront un peu solidaires de ceux qui ont moins qu’elles. Mais de cela, on n’en est pas sûr. La crise permet une prise de conscience. On peut avoir de nouvelles idées, défendre des choses ensemble, s’organiser pour obtenir des droits. Ce qui peut être dangereux, c’est que les pauvres restent entre pauvres pour être solidaires entre eux et que les riches se mettent ensemble aussi pour défendre leurs richesses. »
« Il faut venir en aide à tous ceux qui souffrent de la faim ou qui ont moins que nous. Que la sécurité sociale - la solidarité organisée – n’empêche pas la solidarité qui peut exister immédiatement entre les gens. »
Le pouvoir d’achat
La question des faibles revenus et de la diminution du pouvoir d’achat n’est pas nouvelle. Elle avait d’ailleurs été abordée lors d’une UP, il y a un an. Mais on sent bien qu’il est devenu de plus en plus difficile de se procurer les denrées de première nécessité.
« On fait plusieurs magasins moins chers pour faire ses courses en regardant les publicités. On fait encore plus attention qu’avant. Il faut savoir calculer au plus près. »
« Le minimum vital, c’est le minimum pour pouvoir manger. Or aujourd’hui ce qu’on a n’est pas suffisant. Par exemple, le prix du pain est élevé alors que c’est une denrée alimentaire importante qu’on utilise tous les jours. Les conséquences, c’est que ça casse la tête, ça crée des disputes et ça casse le moral. »
Les acquis sociaux
Est-ce que la crise va entraîner une diminution des budgets sociaux ? C’est une crainte qui est clairement exprimée. Même si, au moment de l’UP en janvier, aucune mesure ne permettait d’affirmer que ce serait le cas, beaucoup craignaient que cela n’arrive.
« Il faut garantir les revenus aux familles : que nos enfants puissent faire une bonne rentrée à l’école, qu’ils puissent manger, se loger et que les parents puissent garder les enfants près d’eux. »
« Est-ce qu’on ne va pas diminuer les moyens des CPAS2. On craint pour la carte médicale et le remboursement des médicaments chers. On craint un contrôle plus sévère des chômeurs. »
« Pour le moment, les droits de base n’ont pas été menacés. Personne n’a parlé de supprimer le droit au chômage ou au R.I.S.3 Mais les personnes, par leur expérience, savent que quand tout va mal, on va gratter dans les budgets sociaux. »
Vivre dans une situation de crise, beaucoup d’entre nous l’expérimentent depuis longtemps. Quand un système est en crise, c’est l’occasion de voir comment on peut le transformer vers quelque chose de plus juste, qui fonctionne mieux pour tout le monde et pas simplement pour certains.